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Vie des entreprises

Restructurations

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.12.2001 | Jean-Emmanuel Ray

Trop de protection peut se retourner contre les salariés. S'il préserve le maintien du contrat de travail, l'article L. 122-12 peut ainsi être instrumentalisé par l'employeur pour externaliser son personnel. De même qu'un encadrement trop strict des licenciements économiques peut le conduire à recourir à d'autres formes de contrats et de ruptures.

Sous la pression de l'actualité, de grandes manœuvres sont en cours pour réformer le droit des restructurations et du licenciement pour motif économique, en France (projet de loi de modernisation sociale) comme à Bruxelles où deux directives générales sont dans les tuyaux.

La question reste évidemment de savoir où placer le curseur pour éviter les effets pervers d'un encadrement trop rigide : au-delà du recours au travail précaire (CDD, intérim) ou à la sous-traitance, qui fera le sale boulot en cas de difficultés, il est par exemple curieux de constater la montée régulière des licenciements pour motif personnel en France (environ 35 000 par mois aujourd'hui, contre… 18 000 pour motif économique).

A. – Les avantages de l'article L. 122-12 du Code du travail (suite)

Cet article datant de 1928 et qui terrorise les repreneurs américains (« One-two-two est-il applicable ? ») est devenu l'archétype de l'ambivalence du droit du travail : s'il permet le maintien du contrat au jour de la fusion ou du rachat (1°), il permet aussi d'extérioriser les problèmes sociaux à venir (2°).

1° L'article L. 122-12 à l'endroit : maintien des contrats

« L'application de l'article L. 122-12 entraîne de plein droit le transfert du contrat de travail du salarié concerné : la procédure de licenciement engagée par le précédent employeur ou la constatation de la démission postérieurement à son transfert est nécessairement dépourvue de tout effet. » L'arrêt du 6 novembre 2001 rappelle que cet article est d'ordre public et que tout acte contraire est nul.

L'article L. 122-12 s'impose à toutes les parties, y compris aux salariés qui préféreraient parfois bénéficier du sort de leurs collègues allemands à qui est laissé le choix du transfert ou du licenciement (ex. : directeur de la communication s'étant brillamment illustré dans la campagne anti-OPE).

Depuis soixante-dix ans, tout a été tenté côté repreneur pour éviter le transfert du personnel. Le juge essaie de déjouer les tentatives de fraude, sans toutefois créer une présomption de culpabilité à l'égard d'entreprises en difficulté, pour l'instant sans espoir de reprise et qui montent un plan social quelques mois avant la cession. Encore faut-il que ce ne soit pas le futur chevalier blanc qui ait dressé avant le rachat la liste des licenciables, évitant ainsi de passer pour un chevalier noir commençant son règne par un plan social.

Vieille question sur le plan collectif : l'article L. 432-1 indiquant que « le comité est informé et consulté sur les modifications de l'organisation de l'entreprise, notamment en cas de fusion, cession », le défaut de consultation fait-il obstacle au transfert ? « Le non-respect de l'article L. 432-1 du Code du travail est sans effet sur le transfert du contrat », répond l'arrêt du 6 novembre 2001.

S'inspirant peut-être de la directive du 12 mars 2001 relative « au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert » (allant donc plus loin que notre seul transfert des contrats individuels), l'arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2001 rappelle que les usages et engagements unilatéraux du vendeur sont également transmis. En l'absence d'un accord de substitution qui aurait remplacé l'ancienne convention applicable, mais qui aurait également pu remettre en cause les usages existants sur les mêmes thèmes, une salariée « était en droit de se réclamer du statut collectif applicable à l'entité économique transférée » : avantages tirés de la convention collective, des usages et des engagements unilatéraux de l'employeur.

2° L'article L. 122-12 à l'envers : « cœur du métier » et externalisation des problèmes sociaux

Avec les arrêts Perrier du 18 juillet 2000, la Cour de cassation avait voulu empêcher l'instrumentalisation de l'article L. 122-12 : car, de plus en plus souvent, la cession permettait moins d'externaliser une activité que d'extérioriser une partie du personnel, qui perd dans un premier temps les avantages conventionnels, puis souvent son emploi dans des conditions beaucoup moins médiatisées. Ainsi, dans l'arrêt du 9 octobre 2001, une société de presse avait transféré son département imprimerie et obligé le personnel à suivre : « La reprise par un autre employeur d'une activité exercée jusqu'alors au sein de l'entité économique autonome n'entraîne le maintien des contrats de travail que si l'ensemble des éléments constituant l'entité économique est transféré. »

Si l'article L. 122-12 est inapplicable, la situation du cédant devient très difficile : a) Le salarié peut refuser ce changement alors conventionnel d'employeur, constituant une modification de son contrat de travail. b) Si le vendeur n'a plus de poste à lui proposer (la machine est parfois vendue), il devra être licencié pour motif économique, et un plan social le plus souvent monté, ce qu'il s'agissait justement d'éviter. c) Mais si le cédant n'a pas accepté ce refus de transfert et l'a donc considéré comme acquis, le salarié peut prendre acte de la rupture et la faire requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Même motif, même sanction dans le pédagogique arrêt du 16 mai 2001 : « La sous-traitance du stockage et de la livraison de marchandises à une société spécialisée n'avait pas entraîné le transfert d'une entité économique autonome », c'est-à-dire « d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique poursuivant un objectif propre ». (Cass. soc., 9 octobre 2001.)

B. – Obligations de reclassement et d'adaptation revues et corrigées

Le licenciement économique, ultima ratio : c'est sur ce terrain que la chambre sociale s'est montrée depuis 1992 la plus créative. Et le législateur a consacré ses choix dans l'article 33 du projet de loi dit « de modernisation sociale », sans toutefois reprendre la limitation jurisprudentielle aux entreprises du groupe où existaient « des possibilités de permutation de tout ou partie du personnel ».

1° Une obligation nécessairement personnalisée

Cette ardente obligation montre parfois ses limites s'agissant de salariés âgés, peu qualifiés et propriétaires de leur logement dans une zone économiquement sinistrée (cf. Moulinex ou les LU, 77 % des seconds ayant refusé toute mutation, l'indemnisation étant toutefois trois fois supérieure à celle des premiers). Mais le reclassement interne puis subsidiairement externe constitue le noyau dur du futur « plan de sauvegarde de l'emploi », dénomination devant, hélas, remplacer celle de « plan social », dont on pensait enfin, dix ans après, avoir cerné le contenu exact.

L'arrêt du 25 septembre 2001 a rappelé aux entreprises qu'elles ne pouvaient se contenter d'offres générales et impersonnelles, style journal interne papier ou en ligne envoyé à chaque collaborateur : « La société s'était bornée à faire état d'une liste de postes vacants, sans faire au salarié aucune proposition personnalisée ni prévoir son adaptation à l'un des emplois disponibles. »

Raisonnement repris le 17 octobre 2001 – « l'employeur devait rechercher un poste susceptible d'être proposé à chaque salarié pris individuellement » –, ajoutant qu'il ne faut pas « se limiter aux possibilités de reclassement prévues par le plan social », des postes pouvant se libérer en cours de procédure.

Question classique de la chauve-souris en cas d'entreprise détenue à 50/50 par deux sociétés : « Pour les bénéfices, je suis oiseau ; pour le reclassement, je suis souris ? » Il serait singulier que, dans cette hypothèse, les deux puissent jouer au ping-pong avec l'éventuel licencié en rejetant sur l'autre l'obligation de reclassement ; il est au contraire fort probable que la chambre sociale de la Cour de cassation y voit, conformément à sa jurisprudence constante, une obligation à la charge des deux sociétés. L'employeur n'a pas, enfin, a se faire juge de la décision finale du salarié, même si, dans la pratique, on imagine facilement son embarras. Fallait-il vraiment proposer à un directeur administratif et financier un poste d'exécution ? Bien sûr, à lui de décliner le cas échéant (Cass. soc., 15 mai 2001).

Faut-il vraiment proposer un reclassement avec modification géographique à un salarié ayant indiqué haut et fort qu'il refusait à l'avance tout changement de son lieu de travail ? Oui : lorsque la porte s'approche avec l'entretien préalable, son opinion peut changer et son acceptation in extremis interdit alors de le licencier (Cass. soc., 11 juillet 2001).

2° Élargissement légal de l'obligation d'adaptation

La chambre sociale avait sans doute une vision plus réaliste de l'obligation d'adaptation que le projet de loi de modernisation sociale, qui frappe de défaut de cause réelle et sérieuse tout licenciement prononcé si « tous les efforts de formation et d'adaptation n'ont pas été réalisés ». « Tous » ? Mais encore ? L'entreprise doit-elle se transformer en supercollège ou faculté des sciences ? Ce n'est pas la position de la Cour de cassation. « Il ne peut être imposé à l'entreprise d'assurer au salarié une formation initiale faisant défaut au salarié. » (Cass. soc., 3 avril 2001.) « M. X n'avait pas les compétences pour occuper le nouveau poste de contrôleur de gestion vacant, et une simple formation était insuffisante pour lui assurer cette compétence. » (Cass. soc., 3 juillet 2001.)

Reste la question des pouvoirs (réels) du juge sur les choix de gestion faits par un chef d'entreprise. Rendu par l'Assemblée plénière le 8 décembre 2000, l'arrêt SAT a été repris le 3 octobre 2001 : « Il n'appartient pas au juge, dans le cadre du contrôle juridictionnel du plan social, d'apprécier les choix économiques qui ont conduit l'employeur à engager une procédure de licenciement économique. » Récidive le 16 octobre 200 : « Il n'appartient pas au juge de contrôler le choix fait entre plusieurs solutions possibles. »

Cette solution est de bon sens à tout point de vue : les juristes sont fâchés avec les chiffres et les juges à mille lieues du marché d'aujourd'hui ; la gestion est un art plutôt qu'une science ; la visibilité est de plus en plus réduite… Elle n'empêche cependant pas la Cour de cassation d'aller fort loin lorsqu'il s'agit de contrôler la cause réelle et sérieuse. Comme le résumait le doyen Waquet en juillet dernier : « Ni le souci d'augmenter les bénéfices ni, a fortiori, celui de valoriser en Bourse les actions de la société ne peuvent en aucun cas justifier des licenciements économiques. » (Cf. RJS 7/01 p. 571.)

Or la loi dite « de modernisation sociale » veut manifestement contraindre le juge à aller encore plus loin : supprimant l'adverbe « notamment » dans l'article L. 321-1, elle supprime par exemple l'hypothèse jurisprudentielle de la cessation d'activité. Transformant par ailleurs « la sauvegarde de la compétitivité » en « nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise » (bref, un prédépôt de bilan), elle remplace des inconvénients finalement connus par des inconvénients inconnus… jusqu'à un arrêt de décembre 2005, qui viendra régler la question.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray