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Vie des entreprises

Quand les salariés prodigues rentrent au bercail

Vie des entreprises | REPORTAGE | publié le : 01.12.2001 | Catherine Lévi

Fini le temps où les entreprises considéraient les démissionnaires comme des traîtres, excluant toute nouvelle collaboration. Pénurie de talents oblige, les come-back ne sont plus l'exception. Et tout le monde y gagne : le salarié qui a satisfait son désir de changement, et l'entreprise qui récupère des cadres plus expérimentés et… évite les erreurs de recrutement.

« Back home » ! Au printemps dernier, Kenneth Sandven, 36 ans, réintègre Cap Gemini, qu'il a quitté au début de l'année 2000 pour créer sa start-up, une place de marché spécialisée… dans les cuirs et peaux. Après huit années de bons et loyaux services chez le géant du conseil, il avait décidé, comme tant d'autres à l'époque, de se lancer dans l'aventure de la Net économie. « J'avais envie de voir ce qu'était Internet et de me plonger dans la technologie », rappelle Kenneth, alors analyste de marché pour la péninsule Ibérique. Mais l'expérience a tourné court. Pas seulement parce que son entreprise en herbe battait de l'aile. Le conseil commençait à manquer à Kenneth, qui consacrait beaucoup trop de temps, à son goût, à des tâches administratives. Redevenu salarié, il est à présent responsable de la stratégie à Barcelone et visiblement satisfait de sa nouvelle situation. Son patron, Richard Serat, voit d'un œil très favorable ce genre de « repêchage ». « Consultant moi-même, je trouve courageux que l'on quitte une situation établie et prenne le risque d'entreprendre, même si, en tant qu'employeur, cela me contrarie. Il n'y a aucune raison, en fonction des conditions du marché, de ne pas reprendre les meilleurs. C'est un peu comme s'ils étaient partis suivre un MBA. »

Les récents déboires de la nouvelle économie ont provoqué bon nombre de retours au bercail d'informaticiens, de consultants et autres jeunes auditeurs échaudés, voire tout simplement licenciés après un bref séjour dans une start-up. Auparavant, ces allers et retours n'étaient pas monnaie courante, car la seule idée de voir revenir un salarié qui a quitté le navire hérisse la plupart des recruteurs. Pourtant, pénurie de talents oblige, cette pratique commence à faire des émules. Même si, avant que les cas d'espèce ne se transforment en cas d'école, il reste encore bien des réticences à surmonter.

Pas de tapis rouge

Si les entreprises encouragent vivement aujourd'hui la mobilité interne, rares sont celles, en effet, qui acceptent de bon cœur que leurs collaborateurs prennent l'air. Un départ non souhaité est toujours une perte pour l'entreprise et une source de questionnement, a fortiori si la personne est compétente. Pas question, donc, de dérouler le tapis rouge aux « lâcheurs », de faire la fête au fils prodigue. Les réactions oscillent entre le pragmatisme forcé et l'irrationnel le plus complet.

Certaines entreprises fonctionnent sur un registre fusionnel avec leurs collaborateurs et font du clonage un mode de gestion. à l'annonce d'un départ, les managers sont donc piqués dans leur amour-propre. Tout se passe dans le non-dit, mais le message implicite est clair : tu t'en vas, tu ne reviens pas. « Le sentiment de doute et de trahison est très fréquent dans les entreprises latines », confirme Laurent Poulom, directeur de la division ingénieurs du cabinet de recrutement Michael Page.

Les grands groupes qui offrent à leurs collaborateurs de multiples possibilités d'évoluer en interne ont également du mal à comprendre qu'on les quitte. Une démission passe le plus souvent à leurs yeux pour un manque d'adhésion à la culture d'entreprise. Ils sont favorables aux retours, mais à dose homéopathique. « Quand on regrette un départ, on laisse toujours la porte ouverte. Nous avons ainsi réembauché un Vénézuélien qui avait monté sa start-up. Mais c'est en pratique très rare. Peu de gens partent et cherchent à revenir chez nous, à l'exception de ceux qui vont faire un MBA et qu'il nous arrive de réembaucher à la sortie, confirme Jérôme Tixier, directeur des ressources humaines des produits grand public de L'Oréal. Nous ne sommes pas non plus dans la logique d'aller les rechercher. Nous avons un vivier interne suffisamment fort pour alimenter nos besoins. » Une opinion largement dominante aujourd'hui.

Un départ, c'est un loupé !

Mais tous les recruteurs n'ont pas les mêmes préventions. « Comme toute entreprise, notre objectif est de recruter et de fidéliser. Mais, quels que soient nos efforts, la mobilité et le turnover sont en expansion. Ceux qui vont voir à l'extérieur ont acquis une expérience nouvelle enrichissante pour l'entreprise. Nous n'en faisons pas une politique, mais nous n'avons pas d'œillères », estime ainsi Pierre Meynard, DRH du groupe Pechiney. Sans aucun état d'âme, IBM entend à l'avenir faire des retours une stratégie à part entière. « Quand des salariés partent, c'est qu'il y a un loupé quelque part, reconnaît Dominique Calmant, DRH d'IBM France. Nous cherchons à conserver leurs traces, et demain nous n'hésiterons pas à aller les chercher. Dans la logique de guerre des talents, nous sommes favorables à cette flexibilité. » Rien de vraiment surprenant sur le fond de la part d'entreprises d'origine anglo-saxonne, où la mobilité est reine. Chez IBM, tout collaborateur sur le départ remplit un questionnaire où il explique ses motivations, et l'entreprise demande à son manager s'il serait prêt à le reprendre. Dans l'affirmative, son éventuelle candidature sera examinée d'un œil bienveillant.

Chez les « revenants », la situation n'est pourtant pas toujours facile à vivre, car il faut affronter le regard des autres. Portrait-robot des adeptes des allers et retours ? Si on laisse de côté les retours très politiques liés aux jeux de pouvoir et de copinage, ils sont généralement jeunes, entre 30 et 40 ans, mais déjà expérimentés. D'un naturel plutôt curieux et entrepreneur, ils n'aiment pas ronronner et profiter de situations acquises. La plupart n'ont rien à reprocher à leur employeur, mais ils ont envie d'acquérir d'autres expertises, de tenter de nouvelles expériences, de découvrir des cultures différentes. Des aspirations que les entreprises ne peuvent pas toujours satisfaire au moment voulu. Ce qui se solde généralement par des départs.

Des retours gagnants

Mais lorsque, quelques années plus tard, elles sont en mesure d'offrir les postes tant convoités, les partants reviennent. Peu importent, alors, les questions d'argent ou de titres, même si les revenants sont presque toujours gagnants. Actuellement DRH de sept sites industriels d'une filiale de Pechiney, Hugues, 37 ans, avait décidé de quitter le groupe métallurgique après sept ans de fidélité inconditionnelle. Il était alors responsable RH d'une usine. « Je souhaitais voir comment travaillent les autres firmes et enrichir mon approche. » Parti pendant trois ans exercer son métier dans une autre société sur un site industriel plus important, il a ensuite souhaité quitter le terrain. « Quand une opportunité s'est présentée au siège, Pechiney m'a fait une proposition. J'ai plongé. »

Après trois ans d'audit chez Pricewater houseCoopers, Sylvain Burel était lui aussi désireux de découvrir de nouveaux horizons. « Je ne souhaitais pas, comme d'autres auditeurs, prendre des responsabilités financières dans une entreprise. J'étais attiré par le secteur public. C'est pourquoi je suis parti à la COB en tant que chargé de mission, puis aux affaires économiques du Medef », explique-t-il. De retour dans la société de conseil, ce salarié de 30 ans travaille au département des publications et consultations techniques, ce qui lui permet d'enrichir ses expériences et d'évoluer dans une petite équipe au sein d'un grand réseau. Sébastien Duquet, lui, avait quitté Andersen pour s'engager dans l'humanitaire. Ce consultant est revenu parce que la société de conseil a créé un marché « pays émergents » prévoyant des missions sur le terrain.

Les travaux d'approche se passent généralement d'une façon très informelle. Ils ne donnent pas lieu à des candidatures en bonne et due forme, par courrier ou par l'intermédiaire d'un chasseur de têtes. Tout se joue, la plupart du temps, par le bouche-à-oreille, à l'occasion de retrouvailles avec des collègues au détour d'une mission ou d'un dîner en ville. C'est par cette voie détournée qu'Annick, 33 ans, a réintégré Pechiney. « J'avais gardé des amis dans l'entreprise. Je leur ai dit que je cherchais du travail. Ils en ont parlé au DRH, qui m'a appelée. » Elle avait quitté le groupe trois ans auparavant, pour un poste ronflant de directrice de cabinet dans une grande société de conseil. Spécialiste du marketing, elle a pu ainsi s'ouvrir à la finance.

Pour réussir son retour, il est indispensable de laisser un bon souvenir à son ancien employeur. Car les vieilles rancœurs sont rédhibitoires. Éric Salmon, président du cabinet de recrutement Éric Salmon & Partners, suggère d'ailleurs aux cadres d'écrire en lettres d'or : « Quittez toujours votre entreprise en bons termes, on ne sait jamais. » Illustration chez IBM France, où Dominique Calmant, la directrice des ressources humaines, ne reprend jamais, par principe, un collaborateur parti avec une transaction. Les candidats au retour doivent aussi apporter du nouveau dans la corbeille de la mariée, car les entreprises veulent en avoir pour leur argent.

Des remarques parfois acerbes

Ces préalables étant posés, les entreprises jouent sur du velours : elles récupèrent des cadres motivés et battants, dotés de nouvelles expertises et enrichis d'autres cultures. « Les DRH connaissent les intéressés et évitent les erreurs de recrutement », note Hugues, revenu dans le giron de Pechiney. Mais l'argument ne les empêche pas de faire preuve de prudence. « Sur le papier, l'exercice est toujours parfait. En pratique, c'est plus délicat, juge Éric Albert, psychiatre et directeur de l'Institut français de l'anxiété et du stress. Ce n'est jamais simple à gérer envers ceux qui sont restés, car une entreprise peut ainsi faire la preuve que la promotion interne ne marche pas. Il faut vraiment que ces retours soient légitimes. Quant aux intéressés, ils doivent se faire pardonner leur courage d'avoir osé partir. »

Inévitablement, les revenants courent le risque d'essuyer des remarques acerbes de la part d'anciens collègues. Annick n'a pas vécu ce genre d'expérience lors de son retour chez Pechiney, mais l'une de ses amies de promotion n'est jamais parvenue à retrouver ses marques dans une entreprise de distribution. Aussi y a-t-il quelques préalables à respecter de part et d'autre pour que la greffe prenne. « Il faut en particulier être vigilant en termes de salaire vis-à-vis de ceux qui sont restés en poste, insiste Marcella Le Blanc, DRH chargée de la gestion de carrière d'Andersen. Surtout, les intéressés ne doivent pas revenir en terrain conquis. » Car ils prennent le risque de repartir illico. Et, cette fois-ci, sans ticket de retour…

De l'ESCP à l'ESCP, en passant par la BNP…

Dans les grandes écoles, les professeurs ont souvent toute latitude d'aller et venir. Ils peuvent prendre des congés sabbatiques pour écrire un livre, par exemple, ou se mettre un temps en disponibilité. Il est même plutôt apprécié que les enseignants, qui jonglent au quotidien avec les activités de recherche et de conseil, prennent le vent du large pour compléter leurs connaissances et enrichir leurs cours.

Le cas de Franck Bancel, 36 ans, professeur de finances à l'ESCP-EAP, est révélateur d'une pratique en voie de banalisation. Il s'est mis en disponibilité pendant un an pour aller travailler au service des fusions-acquisitions de BNP Paribas. Une banque qui a l'habitude de travailler avec des enseignants et a elle-même des professeurs vacataires. « Après huit ans d'enseignement, j'avais le sentiment d'avoir achevé une première étape », explique-t-il. Il tire de cette expérience en entreprise un bilan positif puisqu'il a enrichi ses connaissances techniques et évolué dans un milieu très pro.

Mais l'enseignement lui manque. Aussi décide-t-il de rempiler alors même que sa disponibilité lui permettait de rester plus longtemps à la BNP. Même s'il a retrouvé le même poste, il estime vivre aujourd'hui une aventure nouvelle.

« L'école a changé de périmètre et j'ai plein de nouveaux projets en tête. Je me suis réoxygéné », estime-t-il. à ses yeux, tout le monde est gagnant dans ces allers et retours : son école, qui récupère des professeurs mieux formés avec un réseau de relations plus larges, et « l'entreprise hôte », qui se frotte à des expertises. Pas de problème non plus avec les collègues, qu'il n'a jamais perdus de vue. « Nous ne sommes pas dans une organisation hiérarchique ; il n'y a pas de compétition entre nous, je ne revendique rien », affirme-t-il.

Auteur

  • Catherine Lévi