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Repères

Un redressement en trompe l'œil

Repères | publié le : 01.12.2001 | Denis Boissard

Lionel, Martine, Élisabeth… qu'avez-vous fait de la croissance ? À regarder de près l'état des comptes de la Sécu, la critique faite à Michel Rocard d'avoir laissé filer les dépenses publiques lors de la précédente phase de croissance de la fin des années 80 et du début des années 90 n'a manifestement pas servi de leçon au gouvernement actuel. Sans rire, la ministre chargée des Affaires sociales voit dans les prévisions d'excédent du régime général pour 2002 l'assurance « de la solidité du redressement » de la situation financière de la Sécurité sociale. Une jolie fable préélectorale à laquelle Élisabeth Guigou ne croit bien évidemment pas une seule seconde. Car là où la ministre feint de voir de la « solidité », c'est d'une grande fragilité qu'il conviendrait de parler.

Première remarque : si la Sécu est sortie du rouge l'an dernier, c'est uniquement grâce à l'impact mécanique du boom économique de ces quatre dernières années sur ses recettes. L'effet conjugué des créations d'emplois et des revalorisations salariales a fait rentrer les cotisations sociales à flots dans les caisses de l'État providence.

Deuxième remarque : la croissance des dépenses de santé (comme d'ailleurs celle des dépenses d'assurance vieillesse) n'est pas maîtrisée. Focalisées sur la résorption du chômage, les 35 heures et les emplois jeunes, novices sur le dossier complexe de la protection sociale, appliquant sans conviction et donc avec mollesse le plan Juppé de 1996, guerroyant avec les partenaires sociaux gestionnaires de la Cnam, les ministres Aubry et Guigou ont laissé filer les dépenses. Le plafond des dépenses d'assurance maladie voté chaque année par le Parlement a ainsi été systématiquement enfoncé : de près de 10 milliards de francs (1,5 milliard d'euros) en 1998, de 11 milliards (1,6 milliard d'euros) en 1999, d'un peu plus de 17 milliards (2,6 milliards d'euros) en 2000 et de pratiquement 16 milliards (2,4 milliards d'euros) en 2001.

Troisième remarque : pour financer les 35 heures, le gouvernement a allégrement pioché dans les recettes de la Sécu, et contribué à alourdir ses charges. Non seulement les exonérations de cotisations liées à la réduction du temps de travail n'ont été que partiellement remboursées par l'État (contrairement aux engagements pris), mais celui-ci a – pour les financer – détourné le produit d'un certain nombre de taxes (sur le tabac, les alcools, les contrats d'assurance et de prévoyance, les véhicules à moteur) en principe affectées à la Sécurité sociale. De surcroît, cette dernière va devoir supporter le coût des créations d'emplois générées par le passage des hôpitaux aux 35 heures. En l'espace de quinze jours, 4,6 milliards de francs supplémentaires (700 millions d'euros) viennent d'être lâchés par le gouvernement à ce titre, la plus grosse partie aux hôpitaux pour amadouer les députés communistes, le reste aux cliniques pour désamorcer le mouvement de grève qui a immédiatement suivi. Et qui paiera l'essentiel de la facture ? Inutile de chercher, c'est la Sécu.

Dernière remarque : les prévisions financières pour 2002 sont fondées sur des hypothèses macro économiques qui ne tiennent pas la route. Après un déficit de 6,7 milliards de francs en 2001 (1 milliard d'euros), le gouvernement table sur un excédent de 6,1 milliards de francs (940 millions d'euros) l'an prochain. Seul problème : pour y parvenir, il parie sur une croissance de 2,5 % du PIB et sur un strict respect du plafond des dépenses de santé. Une chimère ! Pour le FMI, la croissance française sera deux fois moindre (+ 1,3 %) et l'OCDE est à peine plus optimiste (+ 1,6 %). Quant à l'objectif voté par le Parlement, il est chaque année dépassé d'une bonne dizaine de milliards de francs (voir ci-dessus).

Contrairement aux propos lénifiants de l'Avenue de Ségur, les comptes de la Sécurité sociale seront donc vraisemblablement dans le rouge en 2002. Inévitable. Car, faute de volonté politique, faute d'un dispositif efficace de régulation des dépenses de santé, faute d'une réforme des retraites, l'équilibre financier de la Sécu est à la merci du moindre retournement conjoncturel : quand le flot de la croissance économique se retire, les récifs du déficit structurel réapparaissent aussitôt.

On peut bien sûr brocarder les propositions récentes du Medef sur l'assurance maladie et les retraites. Elles ont au moins le mérite d'avancer des solutions dans un domaine où les politiques brillent soit par leur silence, soit par l'indigence de leur réflexion. Espérons que les lendemains de scrutins présidentiel et législatif seront propices aux réformes de fond, tant de fois promises et tant de fois repoussées.

Auteur

  • Denis Boissard