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Enquête

NOTRE ARSENAL SOCIAL FAIT PEUR AUX INVESTISSEURS

Enquête | publié le : 01.12.2001 | Marc Landré

Attention ! l'image de la France se dégrade dans les groupes internationaux. Réputée pour ses infrastructures ou sa main-d'œuvre, elle cumule à leurs yeux de gros défauts sur le plan social : coût du travail élevé, réglementation étouffante, culture du conflit… Et ce ne sont pas les 35 heures ni le durcissement du droit du licenciement qui vont arranger les choses.

La coupe est pleine ! Les patrons français en ont ras-le-bol de l'interventionnisme de l'État. Et une bonne cinquantaine d'entre eux l'ont écrit, noir sur blanc, à Lionel Jospin et Élisabeth Guigou, le 24 octobre dernier. C'est la première fois que des grands dirigeants d'entreprise prennent ainsi la plume pour demander publiquement au gouvernement de revoir sa copie. De Claude Bébéar, d'Axa, à Gérard Mestrallet, président de Suez, en passant par Bertrand Collomb, de Lafarge, Jean-Martin Folz (PSA Peugeot) ou encore Michel Pébereau (BNP Paribas), la liste est impressionnante. On y trouve même des patrons réputés de gauche comme Louis Schweitzer, P-DG de Renault, Serge Weinberg, patron de Pinault-Printemps-Redoute, tous deux proches de Laurent Fabius, ou Jean Peyrelevade, du Lyonnais, un ancien du cabinet Mauroy. Leur message est net, et la menace, à peine voilée : le projet de loi de modernisation sociale en voie d'adoption au Parlement restreint encore un peu plus les marges de manœuvre des entreprises et constitue une nouvelle entrave à leur compétitivité. Selon « les 56 », si le gouvernement ne fait pas marche arrière, alors il doit s'attendre, dans les années à venir, non seulement à de grandes vagues de délocalisations vers des terres plus hospitalières, mais encore à une volte-face des sociétés étrangères, dissuadées de venir s'implanter dans un pays où l'on respecte si peu la liberté d'entreprendre. Quatre ans après le vote de la loi sur les 35 heures, vigoureusement combattue par le patronat, le renforcement de la législation contre les licenciements économiques représenterait un frein supplémentaire à l'attractivité de l'Hexagone.

Certes, la France peut se targuer d'être la quatrième puissance économique mondiale et le quatrième pays d'accueil des investissements internationaux, qui ont atteint, selon le FMI, 45,6 milliards d'euros (299,5 milliards de francs), en progression de 20 %, en 2000, année record à bien des égards. Il n'en est pas moins vrai qu'elle se situe aussi à la deuxième place des pays investisseurs, derrière le Royaume-Uni et devant les États-Unis. Les investissements français à l'étranger ont progressé l'an dernier de… 74 %, pour atteindre les 148 milliards d'euros (972,3 milliards de francs). Traduction : les entreprises hexagonales se risquent près de quatre fois plus en dehors du territoire que les sociétés étrangères en France. Le solde est un déficit de plus de 102 milliards d'euros. Un écart qui se creuse fortement depuis 1997, même s'il sera moindre en 2001 en raison de la chute des investissements français sur les neuf premiers mois. Pis, dans les dix dernières années, la progression des investissements étrangers n'est que de 19 % en France, contre 120 % aux États-Unis ou 111 % en Irlande. Seule l'Allemagne fait moins bien. « C'est loin d'être un hasard si les deux pays le plus en retard sont les deux plus rigides socialement », estime Dominique de Calan, de l'UIMM.

Le bonnet d'âne du social

« La France a un grave problème de compétitivité par rapport à ses homologues européens», abonde Jacques Creyssel, le directeur délégué du Medef. Une opinion confirmée par les conclusions des trois rapports (Lavenir, Charzat et Ferrand) publiés ces derniers mois sur l'attractivité de la France et aussitôt enterrés par le gouvernement. Dans le baromètre 2001 du World Economic Forum de Davos, qui mesure chaque année la compétitivité et l'attractivité des 49 pays les plus industrialisés de la planète, la France perd trois places. Elle se situe désormais au 25e rang, loin derrière la plupart de ses concurrents européens. À côté des éternels prix d'excellence décernés pour la qualité de son enseignement (3e) ou de ses infrastructures de transport (8e), la productivité horaire du travail (3e), l'emploi des jeunes (4e) et les dépenses en R & D (9e), la France cumule les bonnets d'âne dans le domaine social. Elle trône, en effet, à la dernière place du classement en ce qui concerne la durée annuelle du travail, la qualité des relations sociales, le niveau de charges patronales et salariales ainsi que la complexité du droit du travail. Elle est avant-dernière pour sa gestion du chômage, la flexibilité de sa main-d'œuvre ou son attitude face à la mondialisation.

Une autre enquête, réalisée par Ernst & Young en octobre 2000 auprès de 350 dirigeants de filiales françaises de groupes internationaux, confirme la détestable image sociale de la France. S'ils vantent ses atouts (importance du marché, position géographique, qualité de vie…), ils épinglent ses défauts : droit du travail complexe, faible durée du travail, grèves à répétition dans le secteur public. Si bien que près de la moitié de ces entreprises envisagent désormais de délocaliser une partie de leurs activités françaises vers le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique ou l'Irlande. « Nombre de dirigeants me disent qu'ils ne développeront plus à l'avenir d'unités de production en France », témoigne d'ailleurs ce patron d'une banque hexagonale. Pis, si c'était à refaire, plus de six sur dix ne retiendraient plus la France dans leur choix. Jean-Philippe Montel, le P-DG d'International Paper (120 000 salariés dont 4 000 en France), est de ceux-là. « J'ai de plus en plus de mal à promouvoir la France auprès du directoire américain. Si nous devions aujourd'hui nous réimplanter en Europe, nous opterions pour la Pologne à cause de son meilleur retour sur investissement et de sa législation sociale moins contraignante », avouait-il en octobre dernier, lors du colloque inaugural de l'Agence française pour les investissements étrangers. Patrick Mermilliod, P-DG de Robert Bosch France, s'inquiète pour sa part de n'avoir pas remporté de nouveaux projets de développement au sein du groupe depuis cinq ans. « Le prochain responsable de la filiale sera peut-être étranger et rien ne dit qu'il mettra autant de cœur que moi à défendre la France. »

Le Code du travail ? Un mille-feuille !

Pour Pierre Jacquet, directeur adjoint de l'Institut français des relations internationales, « la France possède des facteurs structurels qui rebutent les investisseurs étrangers, comme la culture de la grève ou de la lutte des classes ». L'actualité récente lui donne raison. Comment expliquer à un patron américain qu'après avoir plombé de 140 millions d'euros (1 milliard de francs) les comptes des entreprises avec onze jours de grève en mars les syndicats de la SNCF récidivent en octobre, alors que la planète craint d'entrer en récession ? Ou comment justifier devant un entrepreneur nippon qu'à cause du conflit pour l'application des 35 heures dans les établissements culturels 415 000 personnes, dont une majorité de ses compatriotes, se sont vu refuser l'accès au Louvre depuis le printemps dernier ?

« Une des attentes des investisseurs étrangers est une approche stable et cohérente du droit du travail, souligne Alain Ménard, avocat chez HSD Ernst & Young. Or notre Code du travail ressemble à un mille-feuille, et il est clairement dissuasif. » Pour ce juriste, l'incertitude et l'insécurité juridiques en France découragent les entreprises étrangères de s'implanter sur le territoire. « La loi change tout le temps et le chef d'entreprise ne sait jamais de quoi demain sera fait », avance-t-il. Thierry Breton, P-DG de Thomson Multimédia, multinationale d'origine française qui emploie 8 % de ses effectifs en France, le confirme : « Nous avons besoin, pour évoluer et rester réactifs, de règles claires et simples, qui ne changent pas tous les deux ans. » En dix ans, le nombre d'articles nouveaux en matière fiscale a doublé et celui d'articles modifiés, plus que triplé ! « Le droit français est beaucoup plus difficile d'accès pour un groupe international que le droit anglais, plus pragmatique et moins procédural », abonde Frédéric Lavenir dans son récent rapport, et il se caractérise par « la faible place faite au contrat par rapport à la loi, en particulier en matière de relations sociales et de négociation collective ». Au Medef, on critique fortement ce mode de régulation sociale. « Ailleurs, les problèmes sociaux se règlent par la convention et le contrat, remarque Jacques Creyssel. En France aussi, mais en théorie seulement, car tout relève en réalité de la loi. À force de vouloir réglementer le moindre détail en ne laissant pas aux partenaires sociaux la liberté de négocier, le politique pond des lois générales, comme sur les 35 heures, qui sont appliquées uniformément aux entreprises, qu'elles soient industrielles ou de services, qu'elles emploient 20 salariés ou plusieurs milliers. »

Seize mois pour licencier

Dans ce contexte d'inflation législative, il n'est guère surprenant que le projet sur la modernisation sociale ait mis le feu aux poudres. « On nous parle depuis un an des problèmes d'attractivité et le gouvernement sort ce projet qui va à l'encontre de ce qu'attendent les entreprises », tonne l'avocat Alain Ménard. Il a suffi de deux plans sociaux, ceux de Danone et de Marks & Spencer, pour que le gouvernement décide, sous la pression des communistes et sans concertation avec les partenaires sociaux, de durcir les conditions de licenciement économique. Celui-ci devra désormais être consécutif à des « difficultés économiques sérieuses n'ayant pu être surmontées par tout autre moyen », ou à des mutations technologiques « mettant en cause la pérennité de l'entreprise ». En outre, une troisième cause concerne les « nécessités de réorganisation indispensable à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise », et non plus comme avant, à la « sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ». Une nuance qui rendrait illégal le plan social de Danone et augmenterait considérablement les difficultés des sociétés à anticiper les crises et à s'adapter à la concurrence internationale.

« Cela revient à dire que vous ne pouvez plus vous soigner sauf à avoir un cancer généralisé », ironise Dominique de Calan. « À trop faire peser de contraintes sur les entreprises, ce sont au final les salariés que l'on pénalise », clament les 56 signataires de l'appel à Lionel Jospin. Même Laurent Fabius, le locataire de Bercy, a critiqué, « à titre personnel », le projet de loi en indiquant qu'il suscitait « des questions sérieuses comme l'adaptation d'une nouvelle réglementation aux nécessités d'une économie moderne qui doit être réactive et compétitive ».

Mais le projet de loi prévoit d'autres mesures qui vont compliquer et allonger la mise en œuvre d'un plan social. Comme la dissociation des procédures sur la décision économique et la préparation du plan social, le recours à un expert à chaque étape, l'appel à un médiateur avec suspension de la procédure, le droit de proposition du CE, ou le renforcement du pouvoir des juges pour apprécier la légitimité d'une restructuration… Résultat, une entreprise de plus de 1 000 salariés qui veut se séparer d'une partie de ses effectifs devra attendre, sans incident judiciaire ou administratif, au mieux sept mois après le début de la procédure pour pouvoir notifier les licenciements et… seize mois pour rompre les contrats de travail. Un record en Europe !

Les congés payés n'ont pas tué l'économie

Aux yeux de la majorité plurielle, le durcissement du droit de licenciement n'est pas un frein à l'attractivité. « Le patronat est opposé à la création de nouvelles garanties sociales. Il ne doit pas s'étonner que le législateur s'en charge, se défend Gaëtan Gorce, responsable national à l'emploi au PS. Les deux semaines de congés payés en 1936 devaient tuer l'économie en France et on est toujours là. Il en sera de même après cette loi. » Au PC, on est également sûr de son fait. « Il n'y a qu'à regarder les chiffres de la balance des paiements pour se rendre compte que la France est toujours attractive, expose Yves Dimicoli, économiste en chef de la Place du Colonel-Fabien. Et, contrairement à ce que certains disent, l'accélération des plans sociaux de ces dernières semaines n'est nullement due à une anticipation de la loi, mais au retournement de la conjoncture. »

Toujours est-il que, si elle n'est pas encore votée, la loi de modernisation sociale fait déjà réfléchir les patrons étrangers. L'AmCham 2001 (baromètre de la Chambre de commerce américaine de Paris), qui mesure le moral des investisseurs américains en France, est révélateur de leur inquiétude. Si la loi passe, un quart d'entre eux envisagent de stopper leurs recrutements et de recourir à l'intérim et aux CDD. Toujours selon ce sondage, la moitié des investisseurs américains estiment que la loi aura un impact sur leurs décisions de développement. La simplicité des procédures de licenciement leur semble primordiale dans le choix de localisation et représente l'un des principaux handicaps de la France, au même titre que la fiscalité des entreprises (voir encadré page 17), le coût de la main-d'œuvre et la rigidité de l'organisation du temps du travail.

Une RTT contre-productive

Un éditorialiste du Financial Times écrivait récemment que, « grâce aux 35 heures, les Français ont recréé le mois d'août en mai », tant il est rare de trouver une entreprise qui tourne avec la totalité de ses effectifs avant l'été. La durée annuelle du travail des Français a diminué de 200 heures depuis la fin des années 70. Elle est tombée à 1 500 heures en 2000, alors que les Américains culminaient à 1 900 heures. Pas besoin de franchir l'Atlantique pour constater de tels écarts. Les Italiens et les Anglais travaillent 200 heures de plus par an, les Espagnols 300 et les Tchèques 600. Depuis mars dernier, la France est le pays européen qui affiche la plus faible durée hebdomadaire. « Avec les 35 heures, on a donné au monde le sentiment que les Français ne voulaient plus travailler », explique l'économiste Christian Saint-Étienne. « Si vous ajoutez à cette image l'existence de sept smics différents en fonction de la date de passage des entreprises aux 35 heures, vous comprendrez que les étrangers soient plus que sceptiques quant à notre réduction du temps de travail », ajoute Gaël Dupont, de l'OFCE.

Pendant très longtemps, l'amélioration de la productivité horaire en France a compensé la baisse de la durée du travail. Notamment grâce à l'amélioration du niveau de formation initiale de la population active et à l'augmentation du nombre d'emplois qualifiés. Depuis janvier 2000, c'est une autre histoire. Et nombreux sont les patrons à imputer aux 35 heures cette contre-performance en matière de productivité. L'année dernière, la croissance de la productivité par tête n'a été que légèrement supérieure à 1 point, contre une progression de 6,4 points en Irlande, 4 en Finlande ou 2 aux États-Unis. Ce score place la France en avant-dernière position en Europe. Un rang qu'elle ne devrait pas quitter en 2002, en raison du passage des PME aux 35 heures.

La faute aux charges sociales

Autre paramètre essentiel : le coût du travail. Et, là encore, la tendance n'est pas favorable à la France. Si tous les pays européens ont connu une baisse du coût horaire réel (inflation déduite) depuis 1993, celle de la France a été la moins prononcée. Tandis que nos cousins de l'Union européenne, hormis les pays nordiques, verront leur coût horaire reculer en 2001 et 2002, la France connaîtra une hausse, toujours en raison des 35 heures. En niveau absolu, seuls l'Allemagne, la Belgique, le Danemark et l'Autriche présentaient début 2001 des coûts salariaux horaires supérieurs à ceux de la France. La faute, principalement, aux charges sociales, qui atteignent en France 57,4 % du coût total du travail, contre 43 % en Italie ou 20 % au Royaume-Uni. Pour assurer un revenu net de 68 600 euros (450 000 francs) à un salarié célibataire, un patron français devra débourser 44 % de plus que son homologue allemand ou 49 % de plus que son voisin britannique.

Aussi, pour défendre le rôle des entrepreneurs et inverser la tendance en matière d'attractivité, le Medef prévoit de s'immiscer dans la prochaine campagne présidentielle. Ses chevaux de bataille ? La réduction de l'imposition des entreprises, l'assouplissement de la loi sur les 35 heures et l'abrogation de celle de modernisation sociale, une politique attractive d'implantation des sièges sociaux et l'amélioration du régime fiscal des stock-options. Les deux principaux protagonistes, Lionel Jospin et Jacques Chirac, seront-ils sensibles aux arguments de l'organisation patronale ? Premiers éléments de réponse lors du coup d'envoi de la campagne présidentielle, en début d'année prochaine…

Un impôt qui fait mal
La France championne d'Europe de la pression fiscale

Non contente d'être vilipendée pour son interventionnisme et sa rigidité en matière sociale, la France est également pointée du doigt pour ses taux d'imposition sur les sociétés. Une étude récente du cabinet Baker & McKenzie la place en effet au premier rang des pays de l'Union européenne pour la pression fiscale. Tandis que la plupart de nos concurrents ont réduit en cinq ans leur taux maximal d'imposition sur les entreprises (de 18 points pour l'Irlande, 6 pour l'Allemagne ou 4 pour le Portugal), les gouvernements Juppé et Jospin leur ont infligé des surtaxes, portant sur plus de 3 points. Mais en allégeant par ailleurs l'impôt sur le revenu et en supprimant… la vignette auto. « Nos réformes fiscales portent avant tout sur les ménages et non sur les sociétés, mais la baisse totale est équivalente à celle des autres pays, remarque Gaël Dupont, économiste à l'OFCE. Le hic, c'est que nous sommes en économie ouverte et que nos réformes ne nous rendent pas vraiment plus attractifs. » Bien au contraire. « Le drame de la fiscalité française est que nous sommes mauvais partout, lâche Jacques Creyssel, du Medef. En plus d'une imposition sur les sociétés très élevée, on taxe, fait unique en Europe, non seulement la fortune, mais également les plus-values et la transmission. » En dépit de contreparties indéniables en termes de qualité du service public, une pression fiscale trop importante sur une assiette trop large peut rebuter nombre de candidats potentiels à l'implantation, mais aussi tout simplement nuire à l'image du pays. Et, à terme, être désastreuse en termes d'emplois… « S'il y a juste 1 point d'écart dans les prélèvements entre deux pays, les atouts de la France peuvent facilement faire la différence, prévient Thierry Breton, le P-DG de Thomson Multimédia. Mais s'il y en a 4 ou 5, cela devient impossible d'être concurrentiel. »

Auteur

  • Marc Landré