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De moins en moins d'opérateurs

Dossier | publié le : 01.12.2001 | F.C.

Institutions de prévoyance et mutuelles sont engagées dans de vastes mouvements de concentration. Objectif : atteindre une taille critique pour résister à la concurrence des compagnies d'assurances qui ont déjà fait leur mutation.

Les grandes manœuvres sont loin d'être achevées sur le marché de la protection sociale. Objectif des opérateurs : se préparer à affronter une concurrence européenne, voire mondiale. « Ils n'y sont pas encore prêts parce qu'ils n'ont pas la taille suffisante », indique Jean-Pol Mairiaux, président des Mutuelles Mieux-Être. Ceux qui redoutent la déferlante des grosses machines d'assurances anglo-saxonnes et scandinaves en France estiment que cette nécessaire restructuration n'est pas assez rapide. Néanmoins, la situation se décante. Meilleur exemple, le secteur de la retraite complémentaire. En 1995, l'Arrco (non-cadres) comptait 43 régimes et une centaine de caisses et l'Agirc 55 caisses. Six ans plus tard, il n'existe plus qu'un régime unique à l'Arrco et 80 caisses. Quant à l'Agirc (cadres), elle a ramené la voilure à 35 caisses. Et le mouvement n'est pas terminé. Les accords Agirc-Arrco de février dernier ont confirmé l'objectif de constituer 25 groupes de retraite et de prévoyance dans les trois ans – l'idée du Medef et de la CFDT étant, en fait, de parvenir finalement à une douzaine de groupes. Parallèlement, le 23 octobre dernier, une étape supplémentaire a été franchie avec une forme de sectorisation, une entreprise nouvelle n'ayant plus le choix qu'entre deux institutions par département. Ce qui force les regroupements…

Très largement amorcé dans les institutions de prévoyance, le mouvement de concentration s'est engagé avec retard dans les mutuelles. Mais il promet d'être massif. En 1998, le rapport du sénateur Alain Lambert faisait état de l'existence en France de plus de 5 700 groupements mutualistes. De tailles inégales, il est vrai. Mais, après de très nombreux rapprochements, on chiffre aujourd'hui le nombre des groupements à environ 3 000. Avec la réforme du Code de la mutualité, désormais sur les rails, les experts estiment qu'on devrait très vite tomber à quelques centaines de groupements.

Un risque de banalisation

Cette concentration entre quelques très grands opérateurs possède sa logique. D'abord, les opérateurs privés ont pris une bonne longueur d'avance. Côté sociétés d'assurance, le marché s'est déjà fortement concentré avec un opérateur dominant, le groupe Axa, devant le GAN-Generali et les AGF-Allianz et des sociétés mutuelles d'assurance qui, elles aussi, se sont rapprochées : la Maaf avec les Mutuelles du Mans Assurances et, tout dernièrement, la Macif, premier assureur automobile de France, qui a fait un pas en direction de la Maif. Autres facteurs qui poussent au rapprochement : le désengagement de la Sécurité sociale et les besoins croissants des Français qui exacerbent la concurrence. Car c'est bien par une réduction des coûts, exigée par des entreprises soucieuses de leur compétitivité, que passe la conquête des marchés. Les principaux postes de dépenses des opérateurs de la protection sociale sont essentiellement des coûts de fonctionnement informatique, des dépenses de personnel et d'action sociale. Sur l'informatique, il est clair que la constitution de grands ensembles avec mise en commun de moyens permet de rationaliser un outil représentant des investissements colossaux et de réaliser des économies d'échelle considérables.

En matière de dépenses de personnel, les marges de manœuvre sont à l'évidence plus limitées, encore que, dans les seules institutions de retraite et de prévoyance, les effectifs dépassent 20 000 salariés. Mais les réductions de dotations de gestion de 30 % sur cinq ans appliquées à l'Agirc comme à l'Arrco montrent que les gestionnaires ont déjà donné un sérieux tour de vis. Au risque, d'une part, de porter atteinte à la qualité du service alors que, successivement, le passage à l'an 2000, puis à l'euro et, surtout, l'arrivée à l'âge de la retraite de la génération du baby-boom nécessitent des moyens supplémentaires. Pour les institutions, l'autre risque est qu'elles soient contraintes de limiter leur budget d'action sociale et de se banaliser vis-à-vis des sociétés d'assurance.

Une nouvelle frontière lucratif-non lucratif

Mais d'autres paramètres poussent à « une privatisation rampante ». Depuis les lois du 31 décembre 1989 et du 8 août 1994, les institutions de prévoyance (IP) sont entrées dans l'assurance individuelle. Exemple : les chômeurs bénéficient depuis la loi Évin de 1989 d'un droit de suite qui oblige les IP à maintenir une couverture individuelle à un coût abordable pour le salarié sorti du contrat collectif du fait de la rupture de son contrat de travail – et à s'adapter aux contraintes des directives assurances. La même logique a conduit à l'adoption de l'ordonnance réformant le Code de la mutualité. Une nouvelle frontière entre le lucratif et le non-lucratif est ainsi tracée. Et malheur à ceux qui franchissent la ligne jaune. Car, sur plainte des assureurs, le juge vient immanquablement sanctionner les mutuelles ou les institutions de prévoyance qui auraient le malheur de faire de la publicité commerciale, alors qu'elles sont censées appartenir au secteur non lucratif.

Après les mutuelles AMI de Maurice Ronat, auxquelles le juge a demandé 120 millions de francs pour avoir enfreint cette règle, et le groupe Apicil Upese, auquel le juge réclame 500 millions de francs, c'était au tour de l'Union mutualiste des Pyrénées-Atlantiques de voir sa condamnation confirmée par la Cour de cassation en juillet 2001. « Beaucoup d'autres jurisprudences vont dans le même sens », déplore l'avocat en droit social Gilles Briens. Mais comment une mutuelle pourrait-t-elle se positionner sur un marché hyperconcurrentiel si elle ne peut faire la promotion de ses produits ?

Distorsion de concurrence

Ce n'est pas la seule difficulté. Alors que les institutions de prévoyance bénéficient d'une position privilégiée dans l'entreprise, puisque les partenaires sociaux peuvent désigner l'institution de leur choix dans des accords collectifs, les assureurs privés, mais aussi les mutuelles, exigent la suppression de cette « clause de désignation », responsable, selon eux, d'une distorsion de concurrence injustifiable. Autre anomalie régulièrement dénoncée par les assureurs et qui vient de faire l'objet d'une demande de fin d'exonération par la Commission européenne : le maintien d'une taxe de 7 % sur les produits de santé, dont sont exonérées les institutions de prévoyance et les mutuelles, parce qu'elles ont à leur charge les coûts de fonctionnement élevés de leurs « œuvres sociales », c'est-à-dire centres optiques, hôpitaux, cliniques, etc.

Puisque le principe de spécificité interdit à un assureur de faire autre chose que de l'assurance, la question est réglée sur le papier. Les œuvres sociales seront détachées de la mutuelle et logées dans une institution sœur, et les mêmes règles fiscales s'appliqueront à tous les opérateurs sur les produits de santé. Mais lesquelles ? S'agira-t-il d'une fiscalité zéro pour tout le monde ou d'une fiscalité à un taux modéré de 2 ou 3 % sur des produits dits « solidaires » et 15 % au-delà, comme le recommande la Mutualité française ? Alors que cette mesure est déterminante dans l'optique d'une harmonisation européenne, la question n'est pas abordée dans le projet de loi de finances pour 2002. Dans ces conditions, la réforme prévue sera-t-elle effective, comme l'exige Bruxelles, avant le 22 avril 2002, ou faudra-t-il attendre les prochaines échéances électorales ? En l'absence de réponse, la Mutualité française consulte le Conseil d'État pour s'enquérir des risques courus…

Sur le marché de la retraite, le mouvement est très différent de celui de la prévoyance. Parce que l'affiliation aux régimes complémentaires Agirc et Arrco est obligatoire, ces derniers relèvent désormais de la coordination 1408/71, document qui établit des passerelles entre les régimes de protection sociale des États membres. Autrement dit, ils sont purement et simplement assimilés à des régimes de Sécurité sociale. Cette qualification n'a rien d'illégitime si l'on considère, d'une part, qu'on reste bien dans le secteur non lucratif, et que, d'autre part, pour beaucoup d'allocataires, notamment les cadres, ce « complémentaire » est désormais devenu l'élément principal de leur pension.

Auteur

  • F.C.