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Débat

Quelle conclusion tirer de l'échec des négociations sur la formation continue ?

Débat | publié le : 01.12.2001 |

Il n'y aura pas de cinquième accord au bilan du round de la refondation sociale. Le 25 octobre dernier, les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à s'entendre sur le thème pourtant crucial de la formation professionnelle. Quelles sont les raisons de cet échec ? Quel jugement porter sur le contenu du projet d'accord ? Les négociations ont-elles une chance d'aboutir ultérieurement ? Les réponses de trois experts.

« Le projet d'accord établissait enfin les bases concrètes d'une formation tout au long de la vie. »

JEAN PRIEUR Associé du cabinet Progress et ancien délégué à la formation professionnelle.

Selon certains commentateurs, l'échec de l'accord national interprofessionnel relatif à l'accès des salariés à la formation continue est dû à des conflits internes au patronat ou à l'incapacité des partenaires sociaux à trouver un terrain d'entente sur la répartition de la durée de la formation hors temps de travail et pendant le temps de travail. Cela n'est pas le cas : les deux motifs qui ont conduit à l'échec des négociations sont beaucoup plus graves. Ils tiennent à la hiérarchie des normes, adoptée par les partenaires sociaux dans la position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective. Conformément à cette position, la partie patronale a proposé que l'accord interprofessionnel sur la formation s'impose aux branches et aux entreprises en l'absence de dispositions relatives au même objet dans des accords de branche ou d'entreprise. Les confédérations syndicales se sont alors rendu compte des risques de voir cet accord se transformer en « texte-balai », d'où le refus de la majorité d'entre elles de signer un tel texte. D'autre part, il paraissait difficile de revenir sur l'article L. 932-2 du Code du travail prévoyant que le plan de formation de l'entreprise pouvait s'organiser hors temps de travail, disposition inacceptable pour nombre de syndicats de salariés.

Les conséquences d'un tel échec sont lourdes et nombreuses. Tout d'abord elles mettent à mal le projet de refondation sociale, alors que la formation constitue traditionnellement un terrain de consensus. Surtout elles sont particulièrement préjudiciables aux intérêts des salariés et des entreprises : le projet d'accord établissait enfin les bases concrètes d'une formation tout au long de la vie, assurant le maintien des compétences, et donc de l'employabilité, ce qui n'était pas le cas de l'accord de juillet 1970. Par ailleurs disparaissent toutes les dispositions novatrices constituant l'aide au projet professionnel des salariés, la validation des acquis professionnels ainsi que la simplification du dispositif actuel, dont la complexité n'est plus à démontrer. Enfin, on peut regretter la disparition de la disposition prévoyant la mise en place d'une formation qualifiante différée, financée pour partie par l'État. Il est en effet injuste que celui-ci finance à certains des formations supérieures et pas à d'autres.

De tout cela on peut retenir que les partenaires sociaux ont du mal à définir une hiérarchie des normes sociales qui accorde toute sa place à l'interprofessionnel, à une époque où de plus en plus d'emplois sont transversaux et où il convient d'assurer un minimum d'égalité des salariés. L'État, par ailleurs, n'a pas su jouer son rôle, à savoir indiquer des lignes directrices et apporter son soutien à la négociation lorsque cela est nécessaire. Enfin, il est scandaleux que le projet et le texte de loi sur la réduction du temps de travail n'aient pas obligé les entreprises à affecter une partie de cette réduction à la formation. Les partenaires sociaux se seraient trouvés aujourd'hui dans une meilleure situation. On peut penser que certaines confédérations syndicales vont tenter de renouer avec le patronat dans les mois prochains.

La situation paraît bien bloquée. Il reste alors à espérer que le gouvernement issu des prochaines élections jouera un rôle de médiateur en apportant sa propre contribution.

« C'est par refus d'un accord au rabais que les négociations ont été suspendues. »

YVES LICHTENBERGER Chercheur au Latts, université de Marne-la-Vallée.

L'échec de la négociation sur la formation professionnelle continue a été pour beaucoup un non-événement. Quoi de plus attendu, en effet, que cette incapacité des partenaires à se renouveler, surtout dans un domaine où les arrangements gestionnaires l'emportent souvent sur la clarté des orientations ? À l'inverse, cet échec signe la hauteur d'une ambition : c'est par refus d'un accord au rabais, et après avoir frôlé une signature unanime, que les négociations ont été suspendues. L'accord n'a pas échoué sur le contenu, mais sur le doute quant à son application, certaines branches ayant exigé qu'il ait un caractère supplétif. Il a donc buté sur une question extérieure à la formation professionnelle, celle de la hiérarchie des normes sociales, et sur une difficulté interne, la remise en cause d'une pratique établie : les accords fondateurs étaient certes interprofessionnels, mais la gestion courante s'est toujours décidée au niveau des branches et des entreprises. Or c'est à l'insuffisance de telles pratiques que l'accord s'attaquait.

Le bilan établi en amont de la négociation insistait sur la réelle contribution de la formation continue à la modernisation des entreprises et sur la disparité persistante de sa distribution par catégories. Il mettait l'accent sur les limites de la dissociation entre des plans de formation dépendant directement des entreprises, privilégiant l'adaptation à court terme des salariés les plus diplômés, et des droits individuels à congé de formation gérés paritairement pour des formations longues mais à impact marginal. L'évaluation de la loi de 1971 souligne ce curieux paradoxe : plus la formation continue s'est développée, plus la formation initiale a pris d'importance ! On peut y voir un effet des transformations de l'organisation du travail, trop rapides pour produire des ressources d'innovation, un hommage au travail de réactualisation des diplômes professionnels effectué sous l'impulsion de l'Éducation nationale alors que les qualifications conventionnelles perdaient de leur pertinence et aussi un trait immuable de notre culture.

C'est pourtant un tel défi que les partenaires sociaux avaient choisi de relever. Nul ne peut continuer à se satisfaire de la mise à l'écart de tout développement personnel des salariés les moins diplômés. L'expérience a montré qu'un droit formel n'y suffit pas. La formation des moins formés nécessite que ceux-ci puissent en voir les débouchés. Il y faut un effort conjoint des individus et des entreprises, soutenus par leurs organisations professionnelles. C'était le sens des principales innovations de l'accord : la diversification des modes de formation, le « plan de développement concerté » impliquant formation et qualification, la validation des acquis professionnels, l'engagement d'actions ciblées en direction des populations les moins formées, l'accroissement des dépenses pour les CDD et les salariés des plus petites entreprises… Autant de points dont l'urgence reste. Certes, la négociation peut reprendre, en des temps moins politisés, mais il est à craindre que l'histoire ne repasse pas les plats !

« Ce projet est le texte le plus novateur produit par les partenaires sociaux depuis 1970. »

JEAN-MARIE LUTTRINGER Directeur de Circé Consultants.

Le projet d'accord reporté sine die le 25 octobre est le texte le plus novateur produit par les partenaires sociaux depuis 1970. Son caractère novateur réside dans le postulat de l'« individu acteur » de sa propre formation, auquel le texte apporte un nouveau cadre juridique, financier et organisationnel. Les partenaires sociaux ont tenté, en vain, de rechercher les conditions favorables à l'implication des individus dans des processus diversifiés de formation à différents âges. Une nouvelle génération d'instruments juridiques et financiers est proposée. L'un d'eux, le Compte Épargne Formation, est emblématique de cette philosophie. Il est la propriété de chaque salarié qui l'alimente par du temps disponible ou par de l'argent et l'utilise sous forme de temps rémunéré pour se former.

Le texte corrige, faiblement, le caractère inégalitaire de ce dispositif qui présuppose une formation de base et une qualification reconnue afin que l'appétence pour la formation tout au long de la vie soit crédible. Aussi est-il proposé une formule de soutien à la reprise d'études aux salariés ayant arrêté leur formation au cours ou au terme de leurs études secondaires sans qualification reconnue. Mais le financement est renvoyé pour l'essentiel à l'État. Ce n'est pas l'unique contradiction entre le principe d'autonomie des partenaires sociaux qui sous-tend la refondation sociale et ce projet d'accord. En réalité, la quasi-totalité de la force juridique du texte devra lui être conférée par la loi. Il en va ainsi de toutes les dispositions financières, puisque les ressources que les partenaires sociaux réaffectent ont le caractère d'une taxe parafiscale et non d'une cotisation sociale. La validation des acquis, l'affectation à la formation d'une partie de la prime de précarité des CDD, la qualification juridique et le régime du temps de formation en lien avec le temps de travail, etc., ne relèvent pas davantage des partenaires sociaux. Le législateur acceptera-t-il de rabaisser la loi au rang de simple décret d'application de l'accord ? Rien n'est moins sûr. C'est peut-être là qu'il faut rechercher les raisons de l'interruption de la négociation, autant que dans les tensions internes aux organisations patronales soucieuses d'affirmer l'autonomie des branches.

L'accord interprofessionnel de 1970 était porteur d'un projet sociétal issu de Mai 1968 et reformulé par l'État. En 2001, l'État est absent, les syndicats de salariés adoptent une position défensive, seul le Medef formule le projet de l'« individu acteur » au sein des relations de travail. Cette approche pertinente ne saurait tenir lieu de projet. En effet, celui-ci concerne la personne à tous les âges, au sein du rapport au travail, mais aussi en dehors. S'il appartient aux partenaires sociaux de faire de l'accès à la formation une garantie sociale contre l'obsolescence des connaissances des salariés par la voie de la négociation, il revient à l'État de proposer une vision mobilisatrice et de créer les conditions juridiques, financières et organisationnelles de l'égal accès de tous à l'éducation et à la formation tout au long de la vie. Une table ronde tripartite ayant pour objet de redéfinir la sphère d'autonomie de la négociation en même temps que de faire connaître le projet des pouvoirs publics (État et conseils régionaux) serait la bienvenue.