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Vie des entreprises

Licenciements fautifs Réintégration ou indemnisation ?

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.11.2001 | Jean-Emmanuel Ray

Deux types de sanctions peuvent être envisagés en cas de licenciement « fautif » : la réintégration du salarié ou le versement d'une indemnité. La première est rarissime en cas de licenciement « non fondé », logique en cas de licenciement nul. Mais, en calculant fort largement l'indemnisation du salarié, la jurisprudence l'incite à ne pas s'incruster.

Licenciement abusif ? Irrégulier ? Nul ? Non fondé ? Trop souvent confondus, ces quatre types de licenciements fautifs ont pourtant des sanctions de plus en plus différenciées. Question : quelle est la sanction adéquate, en principe proportionnée à la gravité de la faute patronale, et donc également dissuasive ? En nature (réintégration forcée) ou par équivalent (salaires et/ou dommages-intérêts plus ou moins dissuasifs, ce niveau constituant en soi un message) ?

Chaque solution a ses avantages et ses inconvénients.

– L'indemnisation, qui reste le principe en droit français, est une solution pragmatique, d'ailleurs retenue par l'article 1142 du Code civil : l'éviction illicite ayant de facto eu lieu, tout retour en arrière est problématique : annule-t-on un divorce ? Mais, au-delà des difficultés que va rencontrer la victime sur le marché de l'emploi, cette solution donne aussi le sentiment que tout est possible pour celui qui dispose des moyens de payer, que la gestion économique des risques juridiques a tous les droits. Raisonnement difficilement acceptable en matière de libertés publiques, par exemple, comme l'a constaté dès 1990 la Cour de cassation relativement au licenciement de grévistes. Tout ne s'achète pas, et les principes doivent rester hors commerce.

– Obligation de faire ? Le risque de perdre la face en devant réintégrer sous astreinte un salarié illégalement évincé peut se révéler très dissuasif. Mais l'annulation d'un licenciement ayant un effet rétroactif (en droit, il n'a jamais existé : versement des salaires entre l'éviction et le jugement), cette nullité devient vite ingérable si elle intervient des années après la rupture, comme c'est le cas lorsqu'il y a saisine du juge du fond. Le salarié a souvent retrouvé un autre emploi et touché des allocations de chômage.

Même si les lois récentes édictent de plus en plus souvent la nullité, le principe retenu par le droit français à une époque de très faible chômage (1973) reste la réparation de nature indemnitaire, principe rappelé le 13 mars 2001 par la chambre sociale : « Dès lors qu'aucun texte n'interdit ou ne restreint la faculté pour l'employeur de licencier, la réparation ne peut être que de nature indemnitaire. Le juge ne peut, en l'absence de dispositions le prévoyant et à défaut de violation d'une liberté fondamentale, annuler un licenciement ou ordonner la poursuite des relations contractuelles. » En termes de sanctions, s'opposent aujourd'hui licenciement non fondé sur une cause réelle et sérieuse (A) et licenciement nul (B).

A. – Licenciement non fondé sur une cause réelle et sérieuse

C'est le motif du licenciement qui est en cause (un retard, ça va, cinq retards…) tel qu'il est énoncé dans la lettre de notification, à l'exclusion de tout autre document.

Mais en cas de licenciement pour motif économique, le défaut de cause réelle et sérieuse n'est pas limité à la double cause du licenciement lui-même : problèmes rencontrés par l'entreprise ou le secteur d'activité du groupe international auquel elle appartient (Cass. soc., 12 juin 2001) et effets sur le poste du salarié. Le juge doit également contrôler d'office l'exécution de l'obligation de reclassement et la cause réelle et sérieuse de la modification dont le refus a abouti à la rupture. Or l'employeur qui transfère son siège social dans un autre secteur géographique sans aucune intention de se séparer de qui que ce soit – au contraire – n'y avait même pas pensé.

Sanctions dans toutes ces hypothèses : si le salarié de plus de deux ans d'ancienneté à la date de remise de la lettre travaille dans une entreprise d'au moins 11 personnes, la sanction indemnitaire est double : six mois minimum de salaires bruts au salarié, plancher incompressible même si le préjudice subi est inférieur, et remboursement à l'Assedic des allocations de chômage versées dans la limite de six mois, cette restitution automatique étant indépendante d'un éventuel désistement in extremis des plaideurs, devant la cour d'appel par exemple (Cass. soc., 18 juillet 2001).

Si, avant de prononcer cette sanction, le juge « peut proposer la réintégration », cette solution est rarissime. Ce n'est pas le cas si c'est la nullité qui est encourue.

B. – Licenciement nul, logique de pouvoir et logique d'indemnisation

Depuis l'arrêt du 13 mars 2001 précité, la nullité peut être prononcée en présence soit d'un texte exprès (accidenté du travail, femme enceinte, état de santé ou autres discriminations visées à l'article L. 122-45), soit de violation d'une liberté fondamentale dont la liste n'est pas pour l'instant d'une aveuglante clarté (en dernier lieu : secret de la correspondance, et donc du courriel, au bureau : Cass. soc., 2 octobre 2001, Dr. soc. novembre 2001).

Il faut ici bien séparer le simple salarié du salarié protégé qui, lui, cumule contrat et mandat.

1° Nullité du licenciement d'un simple salarié

La sanction varie selon qu'il demande ou non sa « réintégration », terme impropre puisque, en droit, le contrat n'a jamais été valablement rompu. Techniquement, il s'agit de « poursuite du contrat », terme également moins explosif devant une juridiction paritaire.

Le salarié est seul juge de ce choix : ni l'employeur ni le juge ne peuvent l'y contraindre.

a) S'il demande sa « réintégration » au conseil de prud'hommes (statuant ici en référé), et que celui-ci relève effectivement l'existence d'un texte en ce sens ou la violation d'une liberté fondamentale, ce dernier rendra une ordonnance de poursuite du contrat, souvent accompagnée d'une astreinte destinée à forcer à l'exécution et dont le montant journalier est généralement proche du salaire hebdomadaire. Tous les salaires entre l'éviction et la réintégration effective devront être versés, avec les cotisations sociales afférentes.

b) S'il ne demande pas sa « réintégration » (hypothèse fréquente en pratique : mieux vaut être largement indemnisé aujourd'hui que contraint demain à démissionner ou licencié pour faute grave), le pédagogique arrêt du 27 juin 2001 donne le nouveau mode d'emploi : « Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 122-14-4. » En clair, le salarié aura au minimum droit à l'indemnité prévue en cas de simple défaut de cause réelle et sérieuse (six mois minimum, cf. supra) : l'inverse aurait été tout à fait paradoxal. Mais la Cour de cassation a indiqué le 12 juin 2001 que le versement de l'indemnité de préavis était de droit, même si, dans la pratique, le salarié n'aurait pu l'effectuer (exemple : longue maladie). Le versement des indemnités de rupture (préavis et licenciement) est donc désormais automatique, « sans qu'il soit besoin de statuer sur les motifs de la rupture », et renchérit le coût du licenciement nul.

Paradoxe : la compassion de la chambre sociale à l'égard des salariés dont le licenciement est nul a conduit ces dernières années à une nette augmentation de l'indemnisation due… incitant les réalistes à préférer une indemnisation à une réintégration souvent précaire.

2° Nullité du licenciement d'un représentant du personnel

Depuis cinquante ans, le licenciement d'un représentant du personnel sans autorisation est frappé de nullité : à l'instar du simple salarié, il peut donc obtenir la poursuite de son contrat de travail, sous astreinte le cas échéant. Mais si l'entreprise en cause ne rechigne pas à payer salaires, charges sociales et éventuelle astreinte, il peut également bénéficier – pour rendre effective cette réintégration – du soutien du juge correctionnel : si ce dernier ne peut prononcer une quelconque poursuite du contrat, le délit d'entrave à fonctions constitue un délit continu permettant des poursuites à répétition. Et si le salarié évincé ne demande pas sa « réintégration », à quelles sommes peut-il exactement prétendre ? L'arrêt du 12 avril 2001 a nettement affirmé le cumul de deux protections :

a) « Au titre de la méconnaissance de son statut protecteur, il a droit au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et l'expiration de la période de protection dans la limite de la durée de protection accordée aux représentants du personnel », soit trente mois de salaire au maximum à ce titre, et non pas soixante-six s'agissant en l'espèce d'un conseiller prud'homme dont le mandat de cinq ans n'est pas affecté par la rupture illégale. Pour les mandats à durée indéterminée, la Cour de cassation a décidé que le délégué syndical (Cass. soc., 6 juin 2000), comme le conseiller du salarié (Cass. soc., 2 mai 2001), se verrait allouer à ce titre « douze mois à compter de l'éviction de l'entreprise ». Cette peine privée liée au statut est automatique et incompressible : peu importent la gravité de la faute du représentant du personnel, le versement d'allocations de chômage ou de maladie (Cass. soc., 3 mai 2001), et même l'absence de préjudice matériel puisqu'il ne s'agit justement pas de la réparation d'un préjudice, mais d'une sanction automatique et forfaitaire.

b) C'est sur le terrain de la rupture fautive du contrat du délégué que l'arrêt du 12 juin 2001 innove : la personne protégée illégalement licenciée a désormais droit « non seulement aux indemnités de rupture, mais à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, et au moins égale à celle prévue à l'article L. 122-14-4 ». Que la sanction financière de la nullité soit au minimum égale à celle d'un défaut de cause réelle et sérieuse n'est pas surprenant. Mais alors que le juge devait auparavant d'abord rechercher une éventuelle cause réelle et sérieuse, puis statuer sur la gravité de la faute pour octroyer ou non les indemnités de rupture (préavis et licenciement), ces dernières sont désormais automatiquement dues, la faute patronale semblant effacer les fautes mêmes dolosives du représentant du personnel illégalement évincé (dont la recherche d'emploi sera souvent problématique).

Rapide calcul pour un membre de CE ou un délégué du personnel venant d'être élu : vingt-quatre mois plus six mois postmandat, soit trente mois au titre du statut ; plus six mois minimum pour ce « licenciement » pas fondé du tout, l'immense majorité de ces délégués travaillant dans des entreprises de plus de 10 salariés (!) et ayant plus de deux ans d'ancienneté ; plus deux mois de préavis au minimum, et quelques mois d'indemnité de licenciement, même en cas de faute grave ou lourde. C'est donc l'équivalent de plus de quarante mois de salaire que sera tenu de lui verser l'employeur fautif, qui devra également rembourser à l'Assedic six mois maximum d'allocations chômage. Somme très dissuasive : de quoi mettre en difficulté nombre de PME… et les défenseurs des grands principes ayant voulu passer d'une logique indemnitaire à une logique de pouvoir.

Mais, tous comptes faits, paradoxalement attractive pour de grands groupes : ce montant désormais très élevé et son caractère automatique n'encouragent guère le représentant du personnel évincé mais réaliste à demander sa réintégration, mais l'incite plutôt à faire le choix d'un départ certes bien involontaire, mais largement indemnisé. « Rien n'est simple. »

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray