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Politique sociale

L'Etat nationalise en douce les emplois jeunes

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.11.2001 | Valérie Devillechabrolle

Sur le papier, le bilan des emplois jeunes est positif : le cap des 350 000 est presque franchi. Mais, sur le plan qualitatif, c'est une autre histoire. Souvent utilisés comme bouche-trous par l'État, les jeunes ne veulent plus quitter le giron du public. Et, dans les associations, les « nouveaux services » peinent à se solvabiliser.

Dans le bilan du futur candidat Lionel Jospin, les 35 heures occuperont une place de choix. Mais les emplois jeunes devraient les talonner. Quatre ans après son lancement en fanfare à l'automne 1997, ce vaste programme d'embauche de jeunes de moins de 25 ans pour des emplois d'utilité collective a atteint son objectif initial. Du moins sur le plan quantitatif. « Le cap des 350 000 embauches devrait être franchi cet automne », jubile Olivier Wickers, le nouveau chef de projet emplois jeunes à la Délégation à l'emploi et à la formation professionnelle. Conçu pour combattre un chômage qui frappait alors un jeune sur quatre, le dispositif n'a pas démérité. Selon les derniers chiffres de la Dares, qui portent sur la fin de l'an dernier, plus des deux tiers des 72 300 bénéficiaires sortis prématurément du dispositif occupent un emploi, généralement non aidé (voir graphique), alors que près des deux tiers des jeunes étaient au chômage en y entrant et qu'un sur dix était scolarisé ou étudiant. Cette performance doit toutefois être relativisée. Les moins qualifiés ont en effet été massivement exclus du programme, par une sévère sélection à l'embauche : plus de 40 % des bénéficiaires ont un niveau scolaire au moins égal à bac + 2 et 80 % d'entre eux, un niveau bac.

Les 213 000 bénéficiaires d'un emploi jeune à la fin de l'année dernière sont, eux, globalement satisfaits. D'abord, cet emploi – assorti d'un contrat de travail de cinq ans, à temps plein et payé au smic – leur a donné une réelle autonomie financière. Ensuite, il leur a permis d'acquérir une expérience professionnelle, même si la formation a rarement été au rendez-vous. Comme le remarque Bernard Simonin, ex-chercheur au Centre d'études de l'emploi, dans la revue Regards sur l'actualité, si les employeurs « ont fait un effort de repérage des besoins de formation et de construction d'une offre adaptée, la diversité des activités et des formations initiales des jeunes rend cette tâche très difficile ». Ainsi, les aides-éducateurs recrutés par l'Éducation nationale cumulent entre trois et six activités régulières : surveillance, animation en nouvelles technologies, gestion de bibliothèque, aide aux devoirs, etc. « Difficile, dans ces conditions, d'identifier les contours d'une fonction pérenne », estime Christophe Guitton, un chercheur du Cereq, qui a conduit une étude sur les emplois jeunes de l'Éducation nationale.

Le secteur privé n'attire pas

Les carences du dispositif de formation n'auront pas contribué à ramener des jeunes dans le privé. Moins d'un sur trois a trouvé un emploi dans le secteur privé. Un constat qui a déclenché les foudres d'Alain Gournac, auteur d'un rapport rendu public à l'automne 2000 : « Les emplois jeunes ont créé une forme de sécurité trompeuse qui a dissuadé un certain nombre de jeunes de postuler à un emploi privé », écrit ce sénateur RPR, qui va jusqu'à reprocher au ministère de l'Éducation nationale d'avoir « opéré un phénomène de captation d'étudiants ». De fait, le système de passerelles vers le privé imaginé à l'époque par Claude Allègre, radicalement opposé à ce que les aides-éducateurs soient maintenus au-delà des cinq ans, s'est jusqu'à présent soldé par un véritable fiasco : sur les 20 000 propositions d'emploi engrangées, moins de 1 000 ont trouvé preneur parmi les aides-éducateurs. Et 600 concernent deux entreprises, Air France et Accor. La raison ? « À défaut d'avoir fait l'objet d'une validation en bonne et due forme, les compétences professionnelles développées par les aides-éducateurs restent peu visibles des employeurs potentiels », indique Christophe Guitton. Mais il faut reconnaître également que l'immense majorité des aides-éducateurs reste attachée au service public. Secrétaire général du rectorat de Créteil chargé des ressources humaines, Jean-Louis Masliah est obligé d'en convenir : « Nous avons parfois du mal à leur faire admettre que leur avenir ne passe pas forcément par le public. »

Nommé au printemps à la tête de la cellule emplois jeunes de la Rue de Grenelle, Éric Piozin fait aujourd'hui amende honorable. Il invite les rectorats à multiplier les accords avec les branches professionnelles, les chambres consulaires et les entreprises. « Plus de 150 accords ont déjà été signés en ce sens ; de manière générale, les pratiques de collaboration avec les services chargés du recrutement de PME se sont développées », se félicite-t-il. Ce haut fonctionnaire promet aussi, dans les deux ans qui viennent, de « développer les dispositions permettant aux aides-éducateurs qui ne l'ont pas encore fait de s'engager dans un projet d'insertion professionnelle réaliste ». Difficile néanmoins de les y contraindre : ces jeunes en contrat de droit privé ne peuvent être convoqués comme n'importe quel fonctionnaire.

L'innovation fait défaut

Machine à créer des CDD dans le secteur public, le programme emplois jeunes a tourné à plein régime dans l'Éducation nationale ou au sein de la police. Mais 153 000 postes ont aussi vu le jour dans les associations, les collectivités territoriales ou encore les établissements publics. Lors de l'instruction des dossiers, « un certain consensus sur les services à promouvoir s'est rapidement dégagé, relève Bernard Simonin. Accès aux nouvelles technologies, meilleure maîtrise de l'environnement, valorisation du patrimoine, aide à l'autonomie des personnes en difficulté physique ou sociale, intervention dans les espaces collectifs jugés insuffisamment sécurisés ont semblé correspondre à des aspirations collectives en plein essor ».

L'innovation n'a pas toujours été au rendez-vous. Même dans le secteur associatif. « Il convient de distinguer les emplois jeunes créés plutôt dans les petites associations, s'inscrivant dans une logique de projet et correspondant à une nouvelle forme d'entrepreneuriat, de ceux proposés par les grands réseaux associatifs. Souvent instrumentalisés par les pouvoirs publics, ceux-là constituent une sorte de prolongement de services publics peu coûteux », souligne Benoît Granger, expert auprès de la Commission européenne et coauteur d'une étude pour la Fondation Vivendi. C'est incontestablement dans la première catégorie que se range l'Union française des jeunes travailleurs (UFJT). Forte de ses quinze ans d'expérience dans ce domaine, l'UFJT a développé, avec des partenaires financiers, 32 couveuses d'activités « destinées à aider les jeunes à faire émerger leur projet », explique Christophe Ragueneau, délégué à - l'emploi de l'association. La mairie de Grenoble a accepté, de son côté, de cofinancer 208 projets associatifs : « Notre aide complémentaire est dégressive sur cinq ans et renégociée chaque année. Nous ne sommes donc pas très inquiets pour leur avenir », assure Dominique Maillard, responsable des emplois jeunes à la mairie de Grenoble. En Ile-de-France, un réseau associatif constitué par de grandes entre- prises publiques (RATP, SNCF, La Poste, EDF-GDF), des bailleurs sociaux et des collectivités territoriales a financé un millier d'emplois jeunes destinés, explique Pierre Mader, délégué à la politique de la ville et à la prévention urbaine de la RATP, à « rendre l'espace public des quartiers plus convivial et plus accessible ». Exemple, à Saint-Denis, les emplois jeunes de l'association Partenaires pour la ville assurent la sortie des écoles et vérifient que les jeux d'enfants soient en bon état dans les jardins des grands ensembles.

De la main-d'œuvre bon marché

Mais, en dehors de ces initiatives conformes à la philosophie du dispositif, les emplois jeunes ont aussi fourni de la main-d'œuvre bon marché. « Les emplois jeunes ont donné un appel d'air aux petites collectivités et aux associations, ne serait-ce qu'en leur permettant de consolider leurs activités », observe la sociologue Agnès Pelage, auteur d'une recherche sur les métiers de la médiation. « Nos associations sont naturellement créatrices d'emploi. Résultat, en fait de nouveauté, nous avons eu d'abord le souci de conforter nos postes », reconnaît Véronique Busson, vice-présidente de Cotravaux, une coordination qui regroupe une douzaine d'associations spécialisées dans l'animation de chantiers de réhabilitation. Grâce aux 200 postes négociés par convention avec les pouvoirs publics, Cotravaux a ainsi pu pallier la disparition programmée des anciens objecteurs de conscience, mais aussi développer ses activités en matière d'animation du patrimoine et de service volontaire européen.

L'État lui-même ne s'est pas comporté en parangon de vertu. En recrutant 20 000 adjoints de sécurité, la police nationale a profité du dispositif pour remplacer ses anciens policiers auxiliaires, condamnés par la fin du service militaire. Ces jeunes recrues ont surtout constitué la force vive de la nouvelle police de proximité, promise par Jean-Pierre Chevènement. À l'origine du premier collectif d'adjoints de sécurité, Stéphane Collin, en poste depuis trois ans et demi, s'en offusque : « Alors que nous n'étions que des policiers amateurs, on nous a envoyés dans les quartiers réputés les plus difficiles, avant tout pour suppléer au manque de gardiens de la paix. C'est aberrant ! » Même les ministères théoriquement exclus du dispositif sont parvenus à grappiller des moyens, sous couvert d'accords-cadres conclus avec le monde associatif.

Bouche-trous et substituts

Exemple : les services de Marie-Georges Buffet, la ministre de la Jeunesse et des Sports, ont incité les associations à rejoindre le programme pour mettre en œuvre le plan de professionnalisation des métiers du sport en préparation. Le ministère de l'Environnement a eu la même idée pour doper le tri sélectif des déchets. En bouchant les trous, les emplois jeunes ont su se faire accepter, y compris dans le bastion de l'Éducation nationale, pourtant très réticent au début. « Les établissements seraient aujourd'hui prêts à faire grève pour les garder, reconnaît Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU. Reste que s'ils ont comblé un espace vide dans les écoles, il y a eu des phénomènes de substitution dans les collèges et les lycées, notamment à l'égard des pions. » Même les enseignants ont tiré parti des emplois jeunes : « Certains ont été tentés de se décharger de tâches qui leur incombent en temps normal ou de déléguer ce qui les effraie ou les déstabilise, comme la relation avec les élèves difficiles », complète Christophe Guitton.

Avec la reprise économique, le débat sur le financement de ces emplois est passé à la trappe. Avant de refaire surface avec l'annonce, en juin, du plan gouvernemental de consolidation des emplois jeunes. Il prévoit d'injecter 40 milliards de francs supplémentaires dans le dispositif sur la période 2002-2006 afin, explique-t-on Rue de Grenelle, « de ne laisser sortir aucun jeune du programme sans formation, d'assurer le maintien des activités non encore totalement autofinancées et de poursuivre la dynamique d'émergence des nouveaux services ». Sur cette manne, 28 milliards vont aller aux administrations, éducation nationale, police et justice en tête, qui risquent d'être accusées d'en profiter pour créer des milliers d'emplois publics supplémentaires tout en institutionnalisant une fonction publique à deux vitesses.

Au grand dam de Jean-Pierre Bellier, ancien membre, démissionnaire, de la cellule emplois jeunes de l'Éducation nationale, « tout converge désormais pour couler les emplois jeunes dans le moule administratif ». Ces postes sont en train de s'installer durablement dans le paysage administratif : par exemple, les adjoints de sécurité viennent d'hériter, par décret, de pouvoirs de verbalisation accrus.

Mais cette fonctionnarisation rampante ne s'accompagne d'aucune remise à plat des missions traditionnelles de la police ou de l'éducation nationale. « Ni l'institution ni les syndicats ne souhaitent que l'activité d'assistanat pédagogique vienne mordre sur la fonction enseignante traditionnelle », remarque Christophe Guitton. À mots couverts, un fonctionnaire de terrain remarque que « personne n'est allé voir ce que les enseignants avaient fait du temps libéré par les aides-éducateurs ». Quant aux jeunes, ils sont acceptés, mais toujours pas reconnus. Ainsi, l'expérience des adjoints de sécurité reçus au concours de gardien de la paix n'est prise en compte ni dans leur formation ni dans leur ancienneté. Et les concours de type troisième voie imaginés par l'Éducation nationale pour faciliter l'intégration des jeunes dans la fonction publique n'accorderont aucun privilège aux aides-éducateurs par rapport aux candidats externes : « Pour compenser la dispense de titre qui leur est accordée, les épreuves théoriques seront même encore plus sévères », estime Gérard Aschieri, de la FSU.

La conjoncture a changé la donne

Malgré tout, les jeunes employés dans les administrations d'État sont mieux lotis que les autres. En leur accordant seulement 8 milliards de francs supplémentaires jusqu'en 2006, l'État n'a pas fait preuve de la même largesse vis-à-vis des collectivités territoriales et des associations. Pour Olivier Wickers, de la Délégation à l'emploi, une chose est sûre : « Une situation où l'État financerait seul ces activités ne serait pas satisfaisante. Au demeurant, un service utile doit être capable, par définition, d'intéresser d'autres partenaires. » En attendant, selon les estimations de la Dares, seule une association sur quatre serait aujourd'hui capable d'assurer un financement autonome de ses emplois jeunes. À l'instar des bailleurs sociaux qui ont pu, grâce aux nouveaux emplois de médiateurs, diminuer le taux de vacance de leur parc immobilier ou économiser sur les frais de recours contre les locataires indélicats. Pour prétendre à un financement, l'immense majorité des autres emplois devra faire la preuve de son utilité.

Reste qu'il ne sera pas facile de séparer le bon grain de l'ivraie : « Compte tenu de la très grande dispersion des initiatives, personne n'est localement capable de mesurer la valeur ajoutée de tous ces services, car le suivi des dossiers n'a fait l'objet d'aucun travail collectif. Reprendre ce travail de zéro représente un boulot monstrueux », assure un observateur. De leur côté, les directions départementales du travail sont débordées. « Comment une équipe de cinq personnes peut-elle suivre 3 570 projets déjà agréés, sans compter les nouveaux dossiers en cours ? » s'inquiète un employeur.

Seule solution offerte aux associations : trouver de nouveaux « sponsors », dans les ministères et, surtout, les collectivités territoriales. Non seulement certaines administrations se sont totalement désintéressées du dispositif, à l'instar de la Culture où personne, au cabinet de Catherine Tasca, ne suit les 10 000 emplois jeunes créés dans ce domaine. Mais bon nombre de collectivités locales éprouvent de sérieuses difficultés pour pérenniser leurs 47 000 emplois jeunes. Sur les 1 000 jeunes dont elle a favorisé l'emploi, la mairie de Grenoble n'en a embauché en direct que… 77. « Heureusement, se félicite Dominique Maillard, à la mairie. Car si nous devions pérenniser ces 1 000 emplois, cela nécessiterait d'augmenter de plusieurs points la pression fiscale, alors que la tendance est à la baisse. »

Soucieuse de calmer les inquiétudes des associations face au retrait des pouvoirs publics, la Délégation à l'emploi multiplie actuellement les accords-cadres avec d'autres financeurs, à l'instar de la fondation France Active ou de la Caisse des dépôts et consignations (voir encadré, page 32). Il n'en reste pas moins que l'avenir de tous ces jeunes est aujourd'hui loin d'être assuré. « Il y aura du déchet », reconnaît-on d'ailleurs dans l'entourage du gouvernement. Une éventualité à laquelle Véronique Busson, vice-présidente des associations de chantiers internationaux de bénévoles, se résigne déjà : « S'il n'y a aucune volonté politique pour continuer à financer nos activités, nous reviendrons à la case départ, lorsque nous ne comptions que sur nos propres forces. »

Si, jusqu'à une période récente, le gouvernement tablait beaucoup sur la croissance pour sortir en douceur du dispositif, par une érosion naturelle des emplois jeunes. La conjoncture a changé la donne. Au point qu'Élisabeth Guigou en appelait à l'automne à combler au maximum les postes vacants et prévoyait d'en financer 9 000 de plus en 2002. Au risque de compliquer sérieusement la tâche… du prochain gouvernement.

La Caisse des dépôts en renfort

Pour consolider les nouveaux services développés par les associations grâce aux emplois jeunes, l'État s'apprête à conclure un important accord avec la Caisse des dépôts et consignations et la fondation France Active. Dans le cadre de cet accord, la Caisse devrait en effet débourser de l'ordre de 265 millions de francs sur trois ans pour aider quelque 3 000 associations à basculer leurs nouvelles activités dans le secteur marchand. « Notre but est d'aider ces associations à industrialiser des activités au départ conçues comme des prototypes », explique Hugues Sibille, le nouveau directeur des petites entreprises et de l'économie sociale de la CDC, qui a négocié cet accord avec la - Délégation à l'emploi et le ministère des Finances. Par cet accord, la Caisse s'engage en particulier à réaliser quelque 150 diagnostics territoriaux approfondis afin de mieux cerner les prestations susceptibles d'être défendues, que ce soit en termes de moyens de financement, de volume et de qualité des emplois créés, ou encore d'adéquation avec les priorités de la Caisse en matière de politique de la Ville. L'établissement public s'engage aussi, avec l'aide cette fois des fonds territoriaux de la fondation France Active, à soutenir « en quasi-fonds propres », 650 projets associatifs parmi les plus intéressants. La Caisse envisage enfin de contribuer à la professionnalisation d'une dizaine de nouvelles filières d'activité parmi les plus prometteuses : traitement des déchets, tourisme, valorisation du patrimoine ou encore nouvelles technologies : « Notre action visera non seulement à financer des études économiques et techniques sur chacune de ces filières, mais aussi à mobiliser les partenaires financiers intéressés », précise l'ancien promoteur des emplois jeunes au cabinet de Martine Aubry.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle