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Politique sociale

Le dialogue entre État et partenaires sociaux, ça marche… au Québec

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.11.2001 | Frédéric Rey

Nicole Notat s'en inspire, Lionel Jospin le cite en référence : le modèle social québécois a des adeptes dans l'Hexagone. Un syndicalisme fort qui use de la grève à bon escient, des partenaires sociaux qui négocient les réformes dans un dialogue fructueux avec l'État… La France pourrait en prendre de la graine.

Le numéro un du patronat, un grand ténor syndical et le ministre du Travail assis côte à côte, à la même tribune, pour défendre la réforme du Code du travail. La scène se passe en français, mais à plusieurs milliers de kilomètres de Paris. Elle a eu lieu à la rentrée, dans un grand hôtel de Montréal. Principaux acteurs : Jean Rochon, ministre de l'Emploi dans le gouvernement Landry installé en mars dernier, Gilles Taillon, un ancien professeur qui préside depuis 1998 le Conseil du patronat du Québec, et Henri Massé, grande figure syndicale, secrétaire général de la puissante Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec depuis 1993. À tour de rôle, les trois protagonistes commentent devant un parterre de chefs d'entreprise les retouches apportées cet été par les parlementaires de la Belle Province au Code du travail québécois.

Vu de France, où État et partenaires sociaux passent le plus clair de leur temps à se chamailler, cette approche consensuelle a de quoi surprendre. Pas au Québec. « Pour nouer un véritable dialogue, les partenaires sociaux et le gouvernement acceptent d'emblée de s'influencer mutuellement, explique Paul-André Lapointe, enseignant en relations industrielles à l'université Laval, à Québec. Ce tripartisme est un des fondements du modèle québécois. » En trente ans, il a eu largement le temps de se roder. Durant cette période, la bagatelle de cinq sommets pour l'emploi ont été organisés. Pas le genre grands-messes à effets de manches. Exemple, en 1996. Le pays traverse alors une crise sans précédent avec un taux de chômage qui culmine à 15 %. Encore secouée par l'échec du référendum de 1995 rejetant la souveraineté de la province, la société québécoise a besoin d'un électrochoc salutaire. La lutte contre le chômage va lui en fournir l'occasion. « Le Québec souffrait d'un décalage important dans la création d'emplois par rapport aux autres régions canadiennes. Il fallait relever ce défi », se souvient Yvon Boudreau, ministre délégué au ministère de l'Emploi. Durant tout l'été, des groupes de travail multipartites s'activent. Main dans la main, les trois grandes centrales syndicales du pays (CSN, FTQ, CEQ) organisent la plus importante campagne médiatique de leur histoire. Leur slogan ? « L'urgence, c'est l'emploi ! » Ce mois d'octobre 1996, le menu du sommet de Montréal est particulièrement chargé. Malgré l'opposition du patronat, le gouvernement de Lucien Bouchard décide de réduire le temps de travail de 44 heures à 40 heures sur quatre années, accordant aux entreprises avantages fiscaux et allégements de taxes sur la masse salariale pour chaque emploi créé. Des retraites progressives sont instaurées, le congé parental est allongé. Afin de satisfaire les revendications syndicales, le gouvernement québécois promet une loi sur l'équité salariale entre hommes et femmes.

Un modèle pour… Jospin

L'État lui-même se met au régime sec. Objectif : déficit zéro sans création d'impôts nouveaux, uniquement en taillant dans les dépenses. Et dans ses effectifs. Seule concession aux syndicats, le gouvernement accepte de résorber le déficit public sur quatre ans au lieu de deux. Gouvernement et syndicats s'entendent pour mettre en œuvre les solutions les plus indolores. C'est la voie des départs anticipés à la retraite qui est choisie. Les résultats dépassent toutes les espérances. Au lieu des 15 000 départs escomptés, plus de 30 000 fonctionnaires vont profiter du dispositif.

Forte implication des partenaires sociaux, recherche du compromis : le tripartisme québécois mériterait de faire école en France. L'été 2000, Nicole Notat a d'ailleurs passé plusieurs jours à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (voir encadré, page 44) pour décortiquer le modèle social québécois. Quant à Lionel Jospin, un an après avoir imposé les 35 heures au forceps lors de la conférence de Matignon, il a vanté les mérites de ce même système devant des représentants du patronat et des syndicats québécois, invitant même les partenaires sociaux français à s'en inspirer ! « Vous ne verrez jamais chez nous des patrons descendre dans la rue comme les employeurs français l'ont fait en 1999 contre la loi Aubry sur les 35 heures, note Louise Marchand, directrice des relations du travail. Il n'est pas dans la culture des employeurs de vouloir forcer à changer, mais plutôt de convaincre. »

Des syndicats pragmatiques

Quant aux syndicats, ils ont totalement abandonné la lutte pour s'engager, selon leurs propres termes, dans une « concertation conflictuelle ». « Très ancré dans les solidarités locales, en lien aussi avec l'Église catholique ou le Mouvement des femmes, le syndicalisme s'est retrouvé directement confronté aux effets des fermetures d'entreprises et du chômage », explique Paul-André Lapointe, de l'université Laval. Pragmatique, le syndicalisme québécois a ainsi réalisé son aggiornamento. « Les syndicats ont accepté de jouer un rôle d'accompagnement des restructurations, ajoute Paul-André Lapointe. Une des façons de garantir un certain niveau d'emploi dans une économie fragilisée était de faire en sorte que les entreprises soient plus rentables. Mais, en échange, les syndicats ont revendiqué un rôle dans l'organisation. »

La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec est le parfait symbole de cette formidable évolution. Aujourd'hui, la FTQ présente deux visages : organisation traditionnelle d'un côté et acteur financier de l'autre. Au siège de la centrale, à Crémazie, un quartier résidentiel du nord de Montréal, deux tours d'une vingtaine d'étages se font face. Le syndicat occupe l'une d'elles. Dans l'autre, des courbes de rentabilité sont affichées dans le hall d'entrée. C'est là que s'est installé le Fonds de solidarité. Cette société de capital-risque, créée par la FTQ en 1984, n'est ni plus ni moins qu'un fonds de pension qui place l'épargne des Canadiens en vue de bonifier leurs retraites. Mais une partie des fonds est investie dans les entreprises québécoises afin de maintenir ou de créer des emplois. Avec un actif de 4 milliards de dollars canadiens (environ 2,8 milliards d'euros), le fonds est aujourd'hui présent dans 1 600 entreprises de la province, où il a permis de sauvegarder ou de créer 90 000 emplois.

Longtemps réfractaire à toute forme de collaboration entre capital et travail, la Confédération des syndicats nationaux, deuxième syndicat québécois, s'est elle aussi laissé convaincre. La CSN a créé en 1996 sa propre société de capital-risque. Une belle forme de reconnaissance pour l'initiative de la FTQ, dont le succès est dû en partie, il est vrai, à la ristourne fiscale accordée aux souscripteurs par le gouvernement de l'époque. Quant au patronat, très sceptique au début, il est aujourd'hui totalement converti. Le fonds a un représentant au conseil d'administration de chaque entreprise dont il est actionnaire et assure la formation des salariés à l'économie. « Le personnel est davantage sensibilisé aux questions de rendement et nous observons une amélioration des relations sociales », explique Pierre-Maurice Vachon, dirigeant d'une PME spécialisée dans la cartonnerie, installée près de Québec. Autre motif de satisfaction pour les employeurs, cette entrée du FTQ dans les conseils d'administration ne s'est pas accompagnée d'une multiplication des implantations syndicales. « Nous ne mélangeons pas le rôle du fonds avec l'activité syndicale, souligne Henri Massé, président de la FTQ. Sans cela, nous n'aurions certainement pas eu le même succès. »

Des conflits en diminution

Toujours guidé par la création d'emplois, le Fonds de solidarité FTQ a créé en 2000 un nouvel outil destiné à faciliter la succession des dirigeants de PME. Plus de la moitié d'entre eux souhaitent en effet se retirer d'ici à dix ans et 72 % d'ici à 2015. « Si nous ne prenons pas garde, déclare Jean Martin, vice-président du Fonds de solidarité, ces entreprises vont disparaître ou passer entre les mains de capitaux étrangers. Impensable dans notre société où les PME constituent 80 % du tissu économique. » Doté de 75 millions de dollars, ce fonds de relève envisage même de racheter, dans certains cas, la participation du propriétaire. « Avec la fondation patronale “Familles en affaires”, nous avons également monté un programme de formation spécifique à l'intention des chefs de PME afin de faciliter la transmission aux générations suivantes », poursuit Jean Martin.

L'un des effets tangibles du resserrement des liens entre les partenaires sociaux québécois est la diminution du nombre de conflits. Si, avec le retour de la croissance au milieu des années 90, le nombre de conflits est en légère augmentation – 123 ont été recensés en 2000, occasionnant près de 350 000 journées de grève –, le Québec n'a jamais retrouvé les niveaux record de 1990. Cette année-là, avec seulement 190 arrêts de travail, plus de 1 million de journées de grève ont été suivies. Les syndicats n'envisagent plus systématiquement le recours à ce mode d'action.

Un taux de chômage trop élevé

« Le rapport de force est plus que jamais nécessaire, souligne Henri Massé, de la FTQ, mais il faut prendre acte qu'il peut s'exprimer autrement que par une grève. Car le syndicat a plus de chances de perdre qu'autrefois. L'entreprise peut très bien répondre aujourd'hui par une menace de délocalisation. Au-delà de la dénonciation, nous avons des solutions à proposer aux entreprises en difficulté. » Et le syndicalisme ne s'en porte pas plus mal. Avec 38 % de syndiqués parmi les salariés, le Québec détient toujours le record de syndicalisation sur le continent nord-américain.

Seul bémol au miracle québécois, la province n'est pas devenue une job machine. « Notre législation actuelle protège les droits des salariés comme nulle part ailleurs en Amérique du Nord, souligne Louise Marchand, directrice des relations du travail au Conseil du patronat québécois. Mais nous avons aussi un des plus forts taux de chômage (8,4 %). Les syndicats doivent avoir conscience de cette singularité. Une extension du syndicalisme dans le tissu industriel serait préjudiciable à notre compétitivité et risque d'entraîner des délocalisations vers d'autres régions du Canada. »

L'implantation d'un syndicat a en effet un impact économique non négligeable, car elle conduit souvent à une augmentation des charges de personnel. Dans les entreprises où il existe un syndicat, les rémunérations sont en moyenne supérieures de 31 %. Dans la majorité des cas, l'arrivée d'un syndicat s'accompagne de la mise en place d'un régime spécifique d'assurances et de retraite. Et lorsqu'une activité est filialisée ou externalisée, le statut social continue de s'appliquer. Depuis des années, le patronat réclamait avec force la suppression de cette pérennisation du statut. Dans la nouvelle mouture du Code du travail, le maintien des avantages sociaux pourra être négocié. Au Québec, le principe de réalité l'emporte toujours.

Les forces en présence

Avec près d'un demi-million de membres, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec est la première organisation syndicale du pays. Héritière des grandes batailles ouvrières du début du siècle, cette centrale présidée par Clément Godbout, ancien mineur et membre du syndicat des métallos, s'est convertie à un « syndicalisme d'accompagnement ». Son influence est prépondérante dans les grandes entreprises privées du secteur de Montréal. Sa rivale, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), compte environ 250 000 adhérents, essentiellement dans le secteur public.

À sa tête, Marc Laviolette, ancien militant dans l'industrie chimique, continue d'incarner un syndicalisme plus conflictuel. Mais la CSN montre de plus en plus de signes d'évolution. Comme la FTQ, elle a créé son propre fonds de solidarité pour venir en aide aux entreprises en difficulté et soutenir l'emploi.

Côté patronat, la représentation des employeurs est davantage éclatée. Regroupant les associations professionnelles et interprofessionnelles tant du secteur privé que du secteur parapublic, le Conseil du patronat du Québec (CPQ), fondé en 1969, est parvenu à s'imposer comme le principal interlocuteur des syndicats et du gouvernement. Considérant le Québec comme le parent pauvre du Canada, le CPQ ne cesse de militer pour un allégement de la réglementation du travail, la réduction de la fiscalité des entreprises et des particuliers. Son modèle de référence ? L'Irlande et son cocktail de baisses d'impôts et de modération salariale…

Auteur

  • Frédéric Rey