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Un chantier plutôt bien maîtrisé

Dossier | publié le : 01.11.2001 | C.L.

Depuis la rentrée de septembre, les DRH ont mis les bouchées doubles pour adapter leurs systèmes au passage à l'euro. Mais si la conversion de la paie et le calcul des arrondis ont fait l'objet de beaucoup d'attention, l'information des salariés et leur formation sont passées au second plan.

Certaines parlent d'un non-événement. D'autres d'un effet de bascule parfaitement maîtrisé. Visiblement, le chantier ressources humaines de l'arrivée de l'euro n'a pas effrayé les grandes entreprises, déjà confrontées, dans un passé récent, au passage à l'an 2000. Et aux 35 heures. À telle enseigne que la définition qu'en donnait, en 1998, Jean-Yves Le Jolly, responsable de la mission systèmes d'information des ressources humaines à la RATP, lors d'un groupe de travail à l'ANDCP reste toujours valable : « L'euro est un projet de maintenance classique des systèmes d'information avec un bon volet communication et, le cas échéant, de formation pour tous les métiers liés à la vente. » C'est à cette époque-là que la plupart des entreprises se sont dotées d'un Monsieur Euro ou d'un groupe de travail ad hoc. « Nous avons constitué une task force avec des responsables des grandes fonctions et examiné au cas par cas l'impact de l'euro », relate Marc Gaydon, DRH de Nestlé France. Pour les directions des ressources humaines, la première des priorités a consisté à adapter les systèmes d'information. Un gros travail, portant à la fois sur la paie, le paiement des charges sociales et les déclarations fiscales annexes. Sans compter les tâches périphériques comme la participation et l'intéressement, les notes de frais, etc. Pour entrer toutes les données, calculer les arrondis, tester le système et enfin sortir des bulletins de paie en monnaie européenne, le marathon a été long et minutieux.

La RATP a mis cinq à six mois pour établir une cartographie des systèmes d'information, repérer les impacts de l'euro, au nombre d'une soixantaine, croiser les données avec les informaticiens et adapter les logiciels. « C'est plus ardu que le passage à l'an 2000 », reconnaît Jean-Yves Le Jolly, de la RATP. La Poste, qui édite chaque mois 322 000 bulletins de salaire, a dû revoir son système d'information, inadapté au passage à l'euro. Son DRH, Georges Lefebvre, s'est amusé à calculer que la conversion en euros représente l'équivalent de dix ans de travail à temps plein pour une seule personne ! Dans les entreprises de plus petite taille, la tâche est tout aussi importante. Ainsi, chez Picard Surgelés (2 800 personnes), qui a également renouvelé son système d'information, l'adaptation a pris huit mois, sans compter le trimestre nécessaire au repérage des incohérences et au calcul des arrondis.

Généralement lancés au début de l'année 2001, les programmes de conversion sont sur le point d'être bouclés, le niveau de finalisation dépendant de la date à laquelle les bulletins de salaire passeront en euros. En tout cas, depuis septembre, les DRH mettent les bouchées doubles avec pour objectif d'être fin prêts au plus tard au ler janvier 2002. Y aura-t-il des ratés ou assistera-t-on à un sans-faute, comme lors du passage à l'an 2000 ? L'exemple de La Poste, qui a fait le grand saut de l'euro en septembre 2001, incite à l'optimisme : « C'est le mois où nous avons eu le moins d'incidents », constate Georges Lefebvre. Chef de projet euro à la Cegos, Isabelle Carrère note cependant que « certains sont partis trop tard » et prédit « quelques ratés sur les plans technique et social ». Les mauvaises relations entre la direction des ressources humaines et le service informatique sont pour elle une cause de retard.

« Pas un enjeu de négociation »

Le calcul des arrondis est incontestablement le point sensible. « La paie est complexe. Il peut y avoir des phénomènes d'écart à la hausse ou à la baisse », explique Philippe Grandchamp des Raux, responsable de l'administration du personnel et des systèmes d'information de PSA. Pour ne léser personne et ne pas accréditer l'idée que l'entreprise cherche à se faire de l'argent sur le dos des salariés, les DRH ont joué sur les décimales ou les coefficients, ou adopté un arrondi favorable. Les partenaires sociaux ont été particulièrement vigilants sur les bas salaires. Mais ils ont vite été rassurés en amont et n'ont pas fait de surenchère. Comme le souligne Philippe Grandchamp des Raux, « l'euro n'est pas un enjeu de négociation ». Début juin, l'entreprise avait d'ailleurs présenté aux 40 syndicalistes européens les conséquences du passage à la monnaie unique.

Dans un souci de pragmatisme, chaque entreprise a trouvé une solution adaptée à sa situation. Chez Nestlé, le salaire de base a été arrondi à l'euro supérieur plus 1 euro. « Nous voulions vraiment faire en sorte que personne ne soit lésé », précise Marc Gaydon, le DRH France. Chez Picard Surgelés, les salaires ont été fixés à l'euro supérieur, pour un coût évalué à 0,1 % de la masse salariale. Opération blanche, par contre, pour le personnel de la RATP, de La Poste ou de PSA. Le DRH du constructeur automobile est explicite sui le choix de cette neutralité : « Si le passage à l'euro doit être transparent, il ne s'agit pas pour autant de politique salariale. Il ne faut pas tout mélanger. »

Picard paie en euros depuis janvier 2000

Les salariés sont en train de découvrir les modifications apportées à leur bulletin de salaire. Certains sont « euro-convertis » depuis belle lurette. Picard Surgelés a basculé la paie en euros dès janvier 2000, les chèques et les virements étant dès lors réglés dans la monnaie européenne. « Nous avons estimé que plus tôt le personnel serait dans le bain, mieux il serait préparé face aux clients », explique Michel de Truchis. Le DRH de l'enseigne de distribution de produits surgelés s'était préalablement assuré que les banques n'allaient pas facturer la conversion. Mais la majorité des entreprises a estimé plus urgent de basculer d'autres fonctions avant les RH et inutile, voire perturbant, pour le personnel d'être payé trop tôt en euros. « Nous avons enclenché le compte à rebours début septembre. Avant, les salariés n'avaient pas l'esprit à cela », estime Bertrand Gallarmé, DRH France de Décathlon. Depuis la rentrée, les entreprises effectuent le grand saut, chacune à son rythme, sans attendre la date butoir. La Poste s'est également jetée à l'eau en septembre pour « préparer la bascule Urssaf et anticiper les difficultés », explique Georges Lefebvre, qui y voit aussi une bonne façon de « préparer le personnel ». Souci de pédagogie également chez Décathlon et Nestlé, dont les salariés ont reçu avec leur paie d'octobre un bulletin de salaire libellé en francs et un autre en euros, traduits ligne par ligne avec une plaquette explicative.

Toutes les entreprises ne se donnent pas autant de mal. La plupart ne croient pas à l'impact psychologique du salaire « en baisse », du fait de sa traduction en monnaie européenne. « Passé le premier choc et 30 coups de fil, tout s'est bien passé », confirme Michel de Truchis, de Picard Surgelés. Les grands groupes ne redoutent pas davantage les comparaisons internationales que pourraient faire les employés exerçant la même fonction au sein des filiales. Ils estiment que les salariés sont suffisamment adultes pour comprendre que les marchés locaux du travail ne fonctionnent pas de la même façon. En outre, les niveaux de qualification ne sont pas forcément identiques dans tous les pays. « Les règles entre le brut et le net sont différentes d'un pays à l'autre, c'est un faux problème », indique Marc Gaydon, de Nestlé. En revanche, les trésoriers d'entreprise, qui n'auront plus besoin de jongler avec des devises différentes, devront trouver de nouvelles missions financières.

Dans certaines entreprises, des séances d'information rapide du personnel sont tout de même prévues, comme chez Décathlon. Chez le distributeur d'articles de sport, à l'instar de PSA, les salariés ont accès à un site intranet qui propose des exemples de salaires en euros avec des traductions de valeur. Pour préparer les responsables de paie aux questions des salariés, le groupe nordiste mais aussi la RATP (pour quelque 400 personnes) ou Picard Surgelés ont, en outre, programmé des formations. Il s'agit de les aider à acquérir de nouveaux réflexes, penser aux augmentations dans la nouvelle monnaie ou réfléchir au plafond de la Sécurité sociale en euros… Pour ne pas vivre trop longtemps avec des chiffres biscornus, difficiles à mémoriser, ils profiteront aussi certainement des prochaines augmentations individuelles pour fixer des chiffres ronds. « C'est une vraie gymnastique, car on jongle encore avec deux devises, et les 35 heures complexifient le sujet », précise Bertrand Gallarmé. Avec son équipe, il a conçu une formation qui se déroule en cascade depuis septembre. Une fois formés, les directeurs régionaux briefent les responsables des magasins qui animent eux-mêmes des réunions d'information avec l'ensemble du personnel. Quant aux techniciens de paie de Picard Surgelés, ils ont bénéficié d'une e-formation via un site intranet et des CD-ROM comportant des exercices pratiques.

Priorité à la formation des commerciaux

Les formations « citoyennes » destinées à aider les salariés à ne pas patauger dans la vie courante ont fait long feu. Elles sont généralement passées aux oubliettes. En 1998, Nestlé avait organisé un jeu copié sur le Trivial Poursuit pour ses salariés. « Aujourd'hui, estime Marc Gaydon, la société civile a pris la relève. » Ce qui reste à prouver. La meilleure preuve, c'est que les entreprises mettent le paquet sur la formation des commerciaux en contact avec la clientèle, car elles redoutent une vive réaction des consommateurs avec les prix en euros.

Chez Décathlon, 6 000 vendeurs et 4 000 hôtesses de caisse seront formés d'ici à la fin de l'année. Le défi est de faire en sorte que « le client vive l'“euro plaisir” et non l'“euro crainte” et, de cette façon, de mieux le fidéliser », expliquent en chœur Muriel Grün, chef de projet, et Sandrine Gaborioud, responsable « contenu métier ». Dans ces formations générales et spécifiques, une grande place est accordée aux jeux de rôle. Et, pour la partie encaissement et fac-similés de billets, l'entreprise s'est appuyée sur des sessions proposées par la Banque de France. Décathlon ne regrette pas d'avoir attendu la rentrée pour commencer ses formations. « Notre personnel va pouvoir mettre rapidement en pratique ce qu'il a appris », observe Bertrand Gallarmé. Car, dans ce domaine, les pionnières, qui ont commencé très tôt à former leur personnel, risquent bien d'avoir à administrer des piqûres de rappel.

Auteur

  • C.L.