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Banques et convoyeurs en alerte

Dossier | publié le : 01.11.2001 | C.L.

En première ligne, les banques et les entreprises de transport de fonds mobilisent leurs forces avec deux soucis majeurs : assurer la sécurité des personnels et des biens et faire face à une activité intense qui monte en puissance depuis septembre et qui retombera comme un soufflet fin février 2002. D'où de multiples problèmes à régler qui portent aussi sur les embauches et les horaires de travail.

Les banques seront sur le pont entre le 14 décembre 2001, date à laquelle les premiers sachets d'euros seront disponibles, et le 17 février, fin du cours légal du franc. Elles n'iront pas au feu en ordre dispersé, ni sans repères, puisqu'elles s'appuient sur un accord de la Fédération bancaire française (FBF, ex-AFB) signé en juin dernier qui fait référence dans les différents réseaux. Celui-ci a été conclu dans la douleur, entre les partenaires sociaux, et dans des délais qui sont loin d'être optimaux. Les syndicats voulaient essentiellement aborder les problèmes de sécurité, l'arrivée de la nouvelle monnaie entraînant de gigantesques opérations de manipulation d'argent liquide dans une période de recrudescence des agressions. Mais les organisations syndicales attendaient également des contreparties financières du passage à l'euro, étant donné le niveau des bénéfices dégagés par les banques pour l'année 2000. Sur le volet de la sécurité, le patronat a renvoyé la balle dans le camp des pouvoirs publics, qui ont mis longtemps avant d'accoucher, en mai dernier, du plan Vigi-Euro. Un dispositif que le ministère de l'Intérieur n'a volontairement pas détaillé et qui a laissé le monde bancaire sur sa faim. Depuis, les attentats du 11 septembre ont changé la donne. Le plan Vigipirate renforcé a été mis en application et, dans la foulée, la FBF a reçu le 25 septembre de nouvelles assurances de la part du ministère de l'Intérieur. De plus, la réunion des partenaires sociaux du 5 octobre dernier a incité les banques à appliquer avec rigueur le dispositif sécuritaire.

A l'issue des négociations entre banques et syndicats, l'accord a été paraphé le 17 juin dernier par trois organisations : la CGT, Force ouvrière et le SNB-CGC. « Les banques nous ont suivis sur les règles de sécurité, indique Michel Marchet, secrétaire fédéral CGT chargé des banques, satisfait du contenu du texte. Elles ont fait le choix de ne pas distribuer l'euro comme des petits pains. Notre texte fait référence. Nous sommes d'ailleurs la seule branche professionnelle à avoir signé un accord. » La CFDT Banques et la CFTC se sont, par contre, abstenues, la première butant notamment sur les « dérogations tous azimuts », la seconde sur le travail le dimanche.

Dérogations sur le temps de travail

Très fourni, le volet sécurité de l'accord prévoit aussi bien des procédures pour la gestion des encaisses et le stockage des espèces que des formations spécifiques pour le personnel. Le texte entérine l'affectation de personnel temporaire, y compris sous forme d'un recours aux effectifs internes. Des dérogations sur le temps de travail permettent des journées et des semaines à rallonge de septembre 2001 à mars 2002 : les durées maximales quotidienne et hebdomadaire sont respectivement portées à 12 heures et à 60 heures (au lieu de 48) sur les sept mois en question. Pour autant, les banques n'ont pas prévu de changer leurs horaires d'ouverture. L'accord prévoit cependant, si nécessaire, la possibilité de travailler le lundi ou le samedi, jours hebdomadaires de repos. Le travail le dimanche n'est envisagé que pour les fonctions de support.

Outre les contreparties aux heures supplémentaires, les salariés touchent une prime de 40 euros (60 le dimanche) et 30 % de leur salaire horaire pour le repos par roulement. Toute semaine de plus de 48 heures est également compensée par une prime de 60 euros. Reste la question des congés payés et des jours de RIT pendant le passage à l'euro. Certaines banques auraient « suggéré » à leurs collaborateurs de les reporter purement et simplement.

Cet accord n'a pas la prétention de tout préciser. « En 1998, nous en avions aussi signé un pour le passage à l'euro scriptural, tout était alors bien balisé. L'euro fiduciaire est plus complexe, car le comportement de la clientèle durant la période de bascule n'est pas prévisible, explique Olivier Robert de Massy, directeur général adjoint de la FBE Plus on va avancer dans le temps, plus des réglages fins seront nécessaires au niveau de l'entreprise. » L'anticipation reste tout de même le maître mot. « Nous avons cherché à transformer cette contrainte en opportunité commerciale, d'autant que nos salariés y voient une occasion de valoriser leur expertise vis-à-vis de la clientèle », souligne Jean Favarel, responsable du développement social de la BNP Paribas, qui a signé un accord d'entreprise avec tous les partenaires sociaux pour décliner l'accord de branche.

Les heures sup ne sont pas la bonne réponse

Les banques ont mis l'accent sur la formation et les recrutements d'appoint pour la période « chaude ». Des formations à dominante « pédagogique » destinées au personnel en contact avec la clientèle se sont greffées depuis le début de l'année aux programmes lourds et personnalisés entamés à partir de 1998 avant le premier basculement informatique. Conscientes de l'enjeu commercial, les banques, petites ou grandes, n'ont pas relâché la pression depuis. « Nos collaborateurs ont suivi un nombre considérable d'heures de formation », confirme Éric Bouché, responsable euro à la direction des particuliers et des professionnels du Crédit lyonnais. D'ici à décembre 2001, 7 500 d'entre eux auront participé à un dernier stage d'une journée sur les consignes de sécurité, la gestion du stress, l'application des procédures administratives… Des mises en situation sont prévues.

Du côté des effectifs, chacun fourbit ses armes. La BNP Paribas privilégie les embauches, estimant que les heures supplémentaires ne sont pas la bonne réponse. Elle a donc accéléré ses recrutements : 3 000 personnes sont ainsi arrivées depuis le début de l'année, entre mi-décembre 2000 et mi-février 2001. 2 500 intérimaires viendront également aider le personnel dans les opérations d'échange de monnaie et 5 000 étudiants en CDD formés pour l'occasion orienteront et renseigneront la clientèle pour les opérations les plus simples. « La Poste, elle aussi, va faire appel à 3 000 intérimaires et a sollicité 10 000 de ses jeunes retraités, espérant en convaincre environ 1 000… », déclare Patrick Wemer, directeur des activités financières. L'idée a été mise en sourdine à la FBF. À la Société générale, 2 800 personnes supplémentaires, des intérimaires, des étudiants et des CDD, sont attendues. Plus restrictif, le Crédit lyonnais limite le recours aux appoints extérieurs et fera seulement appel à 1 000 auxiliaires de vacances, environ. « On ignore la part relative des banques et des commerçants dans les opérations d'échange. En outre, les horaires ne sont pas modifiés », explique Jérôme Nanty, responsable des relations et de la gestion sociale. En revanche, la banque va alléger le travail de certaines agences en dérivant le courrier vers des centres spécialisés, reporter certaines tâches commerciales et aussi faire monter en première ligne du personnel des services fonctionnels. Des voix discordantes se font malgré tout entendre. « Les intérimaires et les stagiaires vont arriver trop tard pour recevoir une formation suffisante », juge Hervé Hannoteaux, secrétaire national fédéral de la CFDT Banques, qui aurait préféré que les embauches interviennent plus tôt et que les contrats soient d'une durée plus longue.

Recours au personnel temporaire

Certains syndicats auraient également souhaité que des primes soient octroyées aux salariés pour tenir compte de l'intensification de leur charge de travail durant les mois à venir. Mais, jusqu'à présent, leur demande est restée sans suite, nombre d'établissements arguant du recours au personnel temporaire ou estimant avoir déjà fait un effort suffisant, « Nous avons majoré de 10 % toutes les contre-parties proposées par la FBF », rapporte, par exemple, Florence Ferretti, attachée aux relations sociales à la DRH du Crédit lyonnais, Fernand Vidis, délégué syndical national du SNB-CGC au sein de la banque, l'entend différemment. « Il ne va pas y avoir tant d'heures supplémentaires que cela, car les horaires d'ouverture ne vont pas bouger. Nous avons demandé une prime de 1 500 francs pour les collaborateurs de guichet, plus deux jours de congé supplémentaires et 1 000 francs pour le personnel d'accueil avec un jour de congé. Si aucune solution n'est trouvée, le personnel pourrait montrer son mécontentement. » Autre pomme de discorde : la politique salariale. Les négociations de branche risquant de s'achever sans accord, la CFDT Banques menace de mobiliser ses troupes sur le sujet… pendant le passage à l'euro.

Contexte bien différent pour les convoyeurs de fonds, qui n'ont pas signé d'accord collectif alors qu'ils sont confrontés à des risques encore plus élevés. Ils assurent en effet à la fois le transport de fonds et l'approvisionnement des distributeurs de billets. Ils ont d'ailleurs commencé la livraison en pièces des commerces et des banques dès septembre et vont assurer celle en billets à partir de décembre, avant d'effectuer le retrait des francs. Tout en appliquant les nouvelles contraintes réglementaires et salariales mises en place après le vaste mouvement social qui a éclaté dans la profession en mai 2000, ils n'ont cessé de monter au créneau pour demander aux pouvoirs publics des garanties supplémentaires (soutien de l'armée ou des forces de police) afin d'assurer la sécurité du transport des euros vers les banques et les commerces, même s'ils ont obtenu que cette opération s'étale sur quatre mois, diminuant ainsi les volumes transportés et donc les risques. Déçue par le dispositif initial Vigi-Euro, la profession est plutôt soulagée par la mise en place de Vigipirate. Reste à savoir si les attentes des syndicats seront pleinement satisfaites.

Des semaines de 48 heures

Pour absorber la colossale surcharge d'activité de la profession, l'organisation patronale, Syloval, a obtenu des dérogations permettant d'allonger la durée du travail. Un arrêté ministériel du 19 septembre autorise les établissements qui en font la demande à faire passer la durée maximale hebdomadaire à 46 heures entre le 1er octobre et le 16 décembre et entre le 21 janvier et le 28 février, à 48 heures entre le 17 décembre et le 20 janvier. Dans des circonstances exceptionnelles, précise l'arrêté, les 60 heures peuvent même être atteintes. Les syndicats étaient opposés à cette dérogation, comme le confirme Jacques Charles, responsable à la FGTE CFDT : « Nous n'étions pas d'accord, car ce plafond génère trop de fatigue », déplore-t-il.

Dans ce contexte, chaque transporteur a pris ses propres dispositions. Par exemple, la Brink's a signé un accord d'entreprise sur le temps de travail et va accorder une prime d'environ 610 euros (4 000 francs). Elle recrute également 300 personnes en CDD. « Nous recherchons des profils sérieux et équilibrés, surtout pas des cow-boys », explique Sylvie Berthet, directrice des ressources humaines. L'entreprise n'a pas hésité à faire de la publicité en région pour ses métiers, avec l'appui de l'ANPE. Les recrues bénéficient d'une formation portant sur la sécurité et le contenu de l'activité, appuyée par des psychologues pour la gestion du stress. Les opérationnels de l'entreprise ont aussi une piqûre de rappel. Pour cette opération, qui doit être réalisée en un temps record (à la mi-novembre), une unité mobile de 38 tonnes sillonne la France !

Sur la dernière ligne droite, les syndicats de convoyeurs de fonds joueront-ils le jeu, et le scénario catastrophe de la grève pourra-t-il être évité ? En cas de braquage mortel, il est vraisemblable que des conflits sociaux éclateront dans un secteur durement éprouvé au cours des dernières années. L'incertitude vaut également pour les banques, même si le patronat bancaire et l'État espèrent que le civisme l'emportera chez les salariés.

Auteur

  • C.L.