logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

UGC décroche la palme du social devant EuroPalaces

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.10.2001 | Marc Landré

Côté salaires et conditions de travail, les salariés du réseau EuroPalaces, issu du récent mariage entre Gaumont et Pathé, n'ont rien à envier à ceux du concurrent UGC. Il n'en va pas de même pour le dialogue social, qui tourne à l'épreuve de force chez le premier. Il faut dire que les syndicats de Gaumont, FO et CGT en tête, combattent la fusion.

« Fête du Cinéma annulée pour cause de fusion ! » Tel est le mot doux laissé le 1er juillet dernier par les salariés d'une trentaine de Gaumont aux milliers de cinéphiles venus assister à la première journée de cette grande opération annuelle, rebaptisée pour l'occasion « défaite » du cinéma par le personnel en colère. La raison de cette grève inopinée ? Le regroupement, trois jours auparavant, des activités d'exploitation des salles obscures des deux réseaux centenaires du cinéma français, Gaumont et Pathé, dans une nouvelle société, EuroPalaces. Pour les salariés de Gaumont, cette grève était avant tout un avertissement. « Nous voulions montrer à la nouvelle direction que nous ne nous laisserions pas croquer sans réagir », explique l'un d'entre eux. Car, davantage qu'une fusion, ce regroupement est en réalité la prise de pouvoir (à hauteur de 66 %) de la firme Pathé, détenue par le milliardaire Jérôme Seydoux, sur la société Gaumont, dirigée par… son frère cadet, Nicolas.

Cela fait près de trente ans que les trois réseaux, Gaumont, Pathé et UGC, se livrent une guerre sans merci pour le contrôle des salles de cinéma. Longtemps, Gaumont a surclassé, avec une facilité déconcertante, ses deux rivales. Mais, en 1995 (trois ans après que Jérôme Seydoux a racheté et redressé Pathé), UGC, groupe fondé et toujours dirigé par Guy Verrechia, importe des États-Unis le concept des Ciné-Cité, ces multiplexes d'une quinzaine de salles, avec parking, stands de confiseries, jeux vidéo… Une première lézarde dans l'empire de Nicolas Seydoux.

Pour Gaumont, un second coup de semonce survient le 29 mars 2000, avec le lancement par UGC de la carte illimitée. Les deux frères Seydoux, bien qu'opposés à une telle prime de fidélité pour les accros du septième art, mettront cinq mois à contre-attaquer en lançant leurs propres cartes, uniquement dans des villes comme Paris ou Nantes, où ils sont en concurrence avec UGC. Une réaction une nouvelle fois trop tardive. Bilan : à la fin 2000, avec 200 000 cartes vendues, UGC trône à la première place du podium des exploitants, avec 16,7 % de part de marché, contre 13,5 % pour Gaumont et 9,2 % pour Pathé.

Plombé en outre par des productions hasardeuses (les Visiteurs en Amérique, Vatel…), la firme à la marguerite est au bord de l'asphyxie financière. Elle affiche une perte de 66,6 millions d'euros (437 millions de francs) et ses dettes se chiffrent en centaines de millions d'euros. Unique solution : le mariage avec Pathé, qui a récemment refusé de s'unir avec UGC, filiale à 34 % de Vivendi Universal, au prétexte qu'il « vaut mieux mourir en défendant ses valeurs que de vendre son âme au diable ». Bonjour l'ambiance ! « Seul Gaumont ne peut plus gagner la guerre contre UGC, expliquait, en janvier dernier, Eduardo Malone, président du directoire de Pathé et futur P-DG d'EuroPalaces, au comité d'entreprise de Gaumont. Nous devons réussir cette fusion pour pouvoir résister à l'agression de la concurrence que nous subissons de plein fouet et continuer d'exister dans l'avenir. »

Gaumont a beaucoup à perdre

Si les syndicats de Gaumont, CGT et FO en tête, ont si peur des conséquences de la prise de contrôle de Pathé, c'est qu'ils estiment avoir le plus à perdre. La nouvelle entité EuroPalaces regroupera 1 300 salariés de Gaumont, contre seulement 620 de Pathé. « La direction d'EuroPalaces veut harmoniser les accords d'entreprise, mais on sait qu'elle veut caler les statuts de Gaumont sur ceux de Pathé, moins avantageux, et faire un nivellement par le bas, s'inquiète Nadia Kladi, déléguée CGT de Gaumont. Or il y a jusqu'à 3 000 francs de différence dans les salaires de base entre Gaumont et Pathé. » Pas pour les agents d'accueil, chargés de la vente et du contrôle des billets, ou les agents de comptoir, affectés à la vente de pop-corn et de confiseries, qui représentent au total 75 % des effectifs. En moyenne et à temps complet, il n'y a que 40 euros d'écart entre les rémunérations les plus élevées, celles offertes par Gaumont (1 176 euros, soit 7 715 francs) et celles de Pathé, UGC se situant exactement à mi-chemin (1 152,50 euros ou 7 560 francs). Il n'y a finalement que pour les projectionnistes chefs d'équipe ou les assistants de direction que les différences de rémunération entre Gaumont et Pathé peuvent atteindre, hors primes, 533 euros (3 500 francs).

La grande différence se situe davantage au niveau du temps de travail. Car le temps partiel s'est développé dans les trois enseignes depuis l'apparition des multiplexes. Il représente un tiers des effectifs chez UGC, 38 % chez Gaumont et même 44 % chez Pathé. Et alors que les contrats sont au minimum de vingt-cinq heures par semaine chez Gaumont, ils sont de dix-huit heures chez Pathé et UGC, ce qui peut effectivement entraîner des écarts importants de revenus. Conséquence, vu la faiblesse des rémunérations des temps partiels, le turnover grimpe et culmine, notamment chez UGC et Pathé, à 25 % par an.

Des CDD en renfort

Mais s'il n'y avait que la rémunération ! « Travailler dans un cinéma, ce n'est pas de tout repos, explique Rhama Zarzar, déléguée CGT d'UGC. En plus des horaires décalés, il y a le stress, les files d'attente à gérer, la tenue qui doit être parfaite et les salles propres, les tests surprises des espions de la direction… Et à voir défiler, comme sur certains sites, 10 000 clients en caisse pendant dix heures, vous devenez vite fou. » Résultat, pour stopper l'hémorragie, les réseaux ont de plus en plus recours aux CDD. Chez UGC, ils ont augmenté de moitié l'an dernier.

« C'est vrai que la direction a procédé à de nombreuses embauches pour alléger le travail des agents, confirme Jean-Marc Ullmer, délégué syndical CFDT d'UGC. Mais nous n'avons plus de temps morts aujourd'hui. Nous travaillons à flux tendu. » D'autant plus que, avec le succès de la carte illimitée et la hausse de fréquentation des salles UGC, de nouveaux problèmes sont apparus… concernant la sécurité. « Les jeunes de banlieue débarquent en bandes, zappent d'une salle à une autre sans passer par la caisse et ne font que peu de cas de la charte du spectateur », raconte un agent d'accueil du Ciné-Cité des Halles. En conséquence, une grande partie des embauches réalisées depuis un an, à la demande de la section CGT du groupe, concerne des agents de sécurité, chargés de « faire le ménage » à l'entrée et à la sortie des salles ainsi que pendant les projections de films.

Pour ce salarié du Ciné-Cité de Bercy, l'ambiance chez UGC tiendrait davantage de la caserne que du Club Med World voisin. « La direction maintient une pression constante sur les employés. Les menaces de mutation du jour au lendemain sont courantes envers ceux qui osent dire ce qu'ils pensent. » Une opinion acerbe confirmée par un ancien projectionniste passé il y a peu à la concurrence. « C'est très dur de travailler chez UGC. La tension est permanente. Les responsables sont très exigeants et ils sont si forts qu'ils réussissent même à faire avaler des couleuvres aux syndicats. Non, franchement, et même si la rémunération est moindre, le travail est plus cool chez Pathé. »

Mais, plus que sur les salaires ou les conditions de travail, le fossé entre les trois enseignes se situe dans le taux de « commissionnement confiserie », c'est-à-dire le pourcentage que l'ensemble des salariés touche sur le chiffre d'affaires des ventes de bonbons et de pop-corn. « Avec l'apparition des cartes illimitées, les places de cinéma sont devenues de simples produits d'appel et les gérants se rattrapent sur les ventes annexes, comme celles de confiseries », décrypte Rhama Zarzar. Et le chiffre d'affaires des sucreries peut atteindre des sommets. Celui du Gaumont Champs-Élysées se monterait ainsi, chaque mois, à plus de 152 400 euros (1 million de francs). On comprend mieux l'intérêt qu'accordent les syndicats aux ventes de confiseries. Chez UGC, les salariés touchent un forfait d'un peu plus de 76 euros (500 francs), quel que soit le montant des ventes. « Au final, il n'y a aucune répercussion du chiffre d'affaires confiseries sur les salaires», regrette Jean-Marc Ullmer. Les employés de Pathé, en plus des 4,5 % calculés sur les ventes de l'année précédente et intégrés dans le salaire de base, ont un pourcentage de 3 % du chiffre d'affaires mensuel du comptoir confiseries.

Choc des cultures à EuroPalaces

La palme revient cependant à Gaumont, dont les syndicats ont négocié l'an dernier un nouvel accord d'intéressement très favorable sur les ventes. « Désormais, tous les salariés du groupe touchent grosso modo le même montant », se réjouit Henri Boursier, délégué FO. Dans les plus anciennes salles, le commissionnement varie de 12 à 18 % tandis que, dans les multiplexes (où le chiffre d'affaires des confiseries est nettement plus élevé), il fluctue entre 5 et 6,5 %. Soit un supplément moyen de rémunération estimé par les syndicats à plus de 300 euros (2 000 francs) brut par mois, contre moitié moins chez Pathé. Cet accord chez Gaumont était censé « faire passer la pilule » de la maigre augmentation des salaires (0,75 %) consentie en 2000, après deux ans de gel à la suite de la mise en œuvre des 35 heures (un accord Robien offensif : réduction de quatre heures de travail par semaine contre 10 % d'embauches et sans jour de congé supplémentaire).

De son côté, UGC (qui a mis en place le même dispositif d'aménagement et de réduction du temps de travail) a accordé une hausse des salaires de 1,5 % en 2000 et de 2,5 % en 2001. Pathé, lui, s'est contenté d'appliquer la hausse minimale de branche, soit 0,75 %.

Outre leur inquiétude sur les salaires et le pourcentage sur la vente de confiseries, la réticence des syndicats de la firme à la marguerite à accepter la fusion avec Pathé vient aussi du fait que les organisations et les structures sont très différentes. « Gaumont est une entreprise centralisée et très paternaliste tandis que Pathé est une société décentralisée et moderniste », confesse Nadia Kladi, de la CGT. « Un vrai choc des cultures », complète Dominique Arnold, son homologue de chez Pathé, où les salles exploitées sont filialisées et autonomes. Comme, d'ailleurs, chez UGC. « Il n'y a pas de politique générale chez nous, confirme Rhama Zarzar. Tout est au bon vouloir du directeur de site qui fait ce qu'il veut du moment qu'il remplit ses objectifs. »

Malgré l'opposition des syndicats, il en est désormais de même, depuis le 1er juillet, chez EuroPalaces. Comme l'expliquait, en avril dernier, Eduardo Malone lors du dernier comité d'entreprise de Pathé, « chaque entité opérationnelle exercera son activité dans le cadre d'une filiale d'EuroPalaces sous la forme d'une société par actions simplifiée et exploitera son fonds de commerce dans le cadre d'un contrat de location-gérance ». Tous les directeurs de site sont devenus les cadres dirigeants des 67 sociétés filiales créées et suivent, le cas échéant, des formations adaptées à leurs nouvelles responsabilités. Chaque site possède un comptable, un responsable administratif et, pour peu que les effectifs soient supérieurs à cinq personnes, il y aura, dès janvier prochain, des délégués du personnel. « Seule l'organisation de l'administration a changé, rapporte un ex-Gaumont. Honnêtement, ça va. Notre statut sur la feuille de paie est différent, mais pas la paie ni notre travail au quotidien. »

Épreuve de force

Mais il n'empêche que le dialogue social dans la « Seydoux Bros. Company », comme la surnomment déjà certains, tourne à l'épreuve de force. Le protocole de fusion n'a toujours pas été ratifié par les syndicats CGT et FO de Gaumont, et la création de l'unité économique et sociale EuroPalaces est au point mort. Les négociations d'harmonisation des accords collectifs des deux entreprises (sur les fonctions, les statuts, l'organisation du travail, la grille des salaires et le commissionnement), uniquement pour les futurs embauchés, ont déjà trois mois de retard. « C'est une situation très désagréable, se plaint Bruno Paccard, délégué CFDT de Pathé. On perd du temps et de l'énergie pour rien. Personne ne comprend encore pourquoi et où ça bloque. » Surtout que, comme le répète à l'envi Eduardo Malone, le P-DG d'EuroPalaces, il n'y a aucune menace sur les emplois des salariés du circuit Gaumont. « Les éléments individuels des contrats de travail [rémunération et ancienneté] ne seront pas modifiés et les accords collectifs des deux entreprises seront maintenus en l'état pendant quinze mois après la fusion, le temps de négocier un nouvel accord collectif », expliquait-il en janvier dernier devant les salariés.

Reste que les syndicats de Gaumont n'ont aucune confiance en leur nouveau chef. Sa réputation et ses faits d'armes au sein du groupe textile Chargeurs (dont l'actionnaire principal est Jérôme Seydoux) l'ont précédé. « C'est un cost-killer, un professionnel des conflits sociaux et des restructurations », avance un délégué syndical. D'aucuns, dans les couloirs de Pathé, lui prêtent cette mise en garde à l'égard des salariés de Gaumont : « S'ils ne veulent pas intégrer EuroPalaces, qu'ils ne viennent pas. Ils resteront dans leur société, simple filiale du groupe, et chaque directeur négociera sur son site ses accords sans qu'on n'y puisse rien. » Du coup, certains salariés de Gaumont commencent à trouver l'opposition de leurs syndicats un peu démesurée. « Je sais qu'on ne va pas garder tous nos avantages. Il faut être réaliste, l'exploitation Gaumont, c'est fini. Et l'union était la seule solution pour ne pas mourir », commente un projectionniste.

UGC joue l'entente cordiale

Même la CFDT de Gaumont, qui a privilégié l'affrontement dans les premiers temps, en appelle aujourd'hui à la raison. « On sait maintenant qui sont nos interlocuteurs, plaide Karim Jedi, délégué cédétiste. On devrait donc s'asseoir autour d'une table et commencer à négocier. » D'autant que si aucun accord n'est trouvé avant fin 2002, ce seront les statuts de Pathé qui s'appliqueront, définitivement et non plus de manière transitoire comme aujourd'hui, à tous les futurs embauchés d'EuroPalaces. Mais encore faut-il que la CGT et FO aient ratifié le protocole de fusion pour que les négociations puissent commencer…

Pendant que direction et syndicats se crêpent le chignon chez EuroPalaces, l'entente chez UGC demeure cordiale. « Les représentants du personnel existent parce que c'est la loi, lâche, timidement, Jean-Marc Ullmer. Mais la direction n'est pas stupide. Elle tient au maintien de la qualité de l'accueil dans les cinémas et ce n'est pas son intérêt de laisser les conditions de travail se dégrader. Elle est donc à l'écoute de nos revendications. » Elle travaille même main dans la main avec les syndicats au sein du comité d'entreprise (voir encadré p. 56), que tous considèrent comme « un modèle du genre ». Si EuroPalaces pouvait en dire autant…

Des comités d'entreprise très disparates

Si les trois enseignes mènent une politique sociale différente, l'aide qu'elles apportent à leur comité d'entreprise en est une preuve supplémentaire. Loin devant, celui d'UGC dispose d'un budget « œuvres sociales » de 1,07 million d'euros (7 millions de francs). Soit, frais de fonctionnement compris, 2,3 % de la masse salariale (contre 0,7 % à Gaumont et 0,2 % à Pathé). « Tout le monde est très fier de notre CE », explique Rhama Zarzar. Ses responsables ont même recruté une permanente à plein temps pour gérer les activités que d'aucuns comparent à une « liste à la Prévert » : chèques-vacances, bons cadeaux pour Noël et la rentrée des classes, remboursement partiel de l'inscription dans un club de loisirs et des frais de colonies de vacances des enfants, trois voyages par an, mégafiesta au Ciné-Cité de Bercy…

Du coup, malgré des services quasi similaires, le CE de Gaumont fait figure de parent pauvre avec ses 320 000 euros (2,1 millions de francs) de budget pour 2001. « Cela a toujours embêté Nicolas Seydoux de payer des vacances à ses salariés, avance Nadia Kladi, de la CGT. Ses versements étaient discrétionnaires. »

Résultat, après huit délits d'entrave constatés à son encontre, le patron de la firme à la marguerite a été contraint de doter son CE d'un budget plus important. Seul hic, 91 % des ex-salariés Gaumont dépendent aujourd'hui du CE de Pathé, doté de… 38 100 euros de budget (250 000 francs), dont 37,5 % en fonctionnement. Et là, la liste des services n'a rien d'alléchant : chèques de Noël et de rentrée et prime de naissance. « Malgré un petit budget, nous sommes contents de ce que nous avons fait, commente sa secrétaire générale, Nadine Nardin. Tout le monde en profite, et non pas, comme ailleurs, les seuls salariés parisiens. » Heureusement qu'il reste au personnel d'EuroPalaces l'accès quasi illimité aux salles obscures… au grand dam de l'Urssaf.

Auteur

  • Marc Landré