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Vie des entreprises

Patrick Boissier remobilise les métallos de Saint-Nazaire

Vie des entreprises | METHODES | publié le : 01.10.2001 | Valérie Devillechabrolle

Pour redresser des chantiers navals moribonds il y a quatre ans, Patrick Boissier n'a pas lésiné sur les moyens. Recours aux 3 X 8, rajeunissement des équipes, amélioration de la productivité, relance de la politique contractuelle : une véritable révolution sociale pour les Chantiers de l'Atlantique.

Même les habitants de Saint-Nazaire ont le tournis ! Habitués à célébrer en grande pompe le départ de chacun des paquebots construits par les Chantiers de l'Atlantique, ils peinent aujourd'hui à suivre la cadence : cinq navires de croisière ont quitté les bassins d'armement depuis le début de l'année. Dernier en date, le Summit, troisième exemplaire de la série Millennium, a pris la mer le 3 septembre. Jusqu'aux attentats de New York et de Washington, jamais l'horizon des Chantiers, devenus leaders mondiaux de la construction navale, n'avait paru si dégagé. On a du mal à croire qu'à l'arrivée de Patrick Boissier, en 1997, Saint-Nazaire redoutait la fermeture de ses chantiers. Parachuté par Alstom pour remettre à flot cette filiale récalcitrante longtemps maintenue sous perfusion à grand renfort de subventions, il a donc rempli sa mission au-delà de toute espérance. Même la CGT, qui a fortement contribué à la tradition conflictuelle de Saint-Nazaire la Rouge, en convient. « En doublant le nombre d'heures de production et en stabilisant les effectifs à 5 000, Patrick Boissier a réalisé ce que nous demandions depuis 1994 », reconnaît Christian Duval, responsable de la section.

Philippe Bouquet-Nadaud, l'ancien directeur des ressources humaines de Tréfimétaux que Patrick Boissier a appelé auprès de lui pour gérer la mutation des Chantiers, n'hésite pas à renvoyer l'ascenseur: les 4 000 salariés « peuvent être fiers d'avoir contribué à sauver cette entreprise ». Il est vrai que le contexte dramatique de 1997 a poussé le personnel à « s'adapter » plutôt qu'à « disparaître », pour reprendre le leitmotiv de CAP21, le plan stratégique de reconquête alors présenté par Patrick Boissier. Mais le retour à meilleure fortune fait ressurgir les motifs d'insatisfaction. « Les superbes présentations en Technicolor de la direction ne reflètent pas le quotidien stressant des salariés », résume Jean-Marc Pérez, représentant FO au comité d'entreprise. La direction en a pris conscience : elle a demandé à la Cofremca une étude destinée à appréhender l'état d'esprit des quelque 1 500 personnes recrutées depuis 1998. Parallèlement, elle vient de conclure avec l'ensemble des syndicats l'accord salarial le plus généreux depuis des lustres. « Parce que nos résultats le permettent », précise Patrick Boissier. Pour « désamorcer la grogne », rétorquent les organisations.

1 ACCROÎTRE L'EFFICACITÉ DU TRAVAIL

Pour relever l'objectif qu'il s'était fixé – réduire les coûts de 30 % en trois ans –, le P-DG des Chantiers a largement profité de la loi sur les 35 heures. Le temps de travail efficace a été accru, en échange d'une diminution du temps de présence. De fait, l'organisation précédente générait de nombreuses heures perdues, mais payées. « Rien que le midi, tout le monde s'arrêtait en même temps pour aller manger, tandis qu'une noria de 50 autobus conduits par des salariés amenait le personnel au restaurant central où il était servi à la place », raconte Philippe Bouquet-Nadaud. Depuis la signature en mars 1999, par trois syndicats sur quatre, de l'accord symboliquement appelé « accord d'aménagement et réduction des temps de présence », les salariés ont renoncé à leur rond de serviette. Plusieurs centaines d'ouvriers des ateliers de préfabrication travaillent désormais en trois-huit, voire le week-end pour une quarantaine d'entre eux. Et la majorité des salariés arrive à 7 heures, au lieu de 7 h 30. S'ils terminent plus tôt, à 14 h 30 au lieu de 16 heures, les temps de trajet et de pause ont été écourtés, grâce aux 300 millions de francs investis dans de nouvelles infrastructures (restaurants décentralisés, parkings, vestiaires…).

« La révolution de l'ARTP s'est mise en œuvre raisonnablement », estime le directeur des ressources humaines. À en croire d'ailleurs Jean-Marc Pérez, du syndicat Force ouvrière, les salariés n'accepteraient pas de revenir à l'organisation antérieure. Avec un bémol, toutefois, mis en avant par la CGT, non signataire de l'accord 35 heures : « En raison de la surcharge de travail, les salariés, et en particulier les cadres, effectuent bien plus que les 34 heures 65 prévues, souligne Dominique Barbe, secrétaire (CGT) du CHSCT. Et, comme le compte épargne temps est plafonné à six heures, ce surplus s'apparente à du travail gratuit ! » Consciente du problème, la direction table surtout, pour réduire la surcharge de travail, sur une « optimisation des processus industriels », laquelle a déjà commencé avec la mise en place d'équipes autonomes de production. Et elle attend beaucoup de la standardisation de la fabrication, où « les marges de progrès sont considérables », estime Bruno de Maquillé, le directeur des achats, issu de l'automobile et chargé de diffuser ces nouvelles méthodes auprès des sous-traitants.

2 RECOURIR À UNE MAIN-D'ŒUVRE EXTÉRIEURE FLEXIBLE

Autre innovation importante, mise en œuvre par Patrick Boissier, le recours massif à l'externalisation. Près de 700 entreprises interviennent dans la construction des navires pour plus des trois quarts de leur valeur. « Comme il est impossible de maîtriser les centaines de métiers nécessaires, nous avons choisi de nous focaliser sur les trois métiers susceptibles de nous différencier de nos concurrents : la conception des navires, la réalisation des coques métalliques et la coordination des intervenants extérieurs. Et de sous-traiter le reste à des entreprises plus performantes que nous dans leur domaine », indique Patrick Boissier. Résultat : lors des cent derniers jours de la construction d'un paquebot, les Chantiers accueillent jusqu'à 11 000 salariés, dont plus de 6 000 issus d'entreprises sous-traitantes et reconnaissables à la couleur de leur casque.

Sous l'afflux des commandes, le chantier a paré au plus pressé, en créant un corps de superviseurs pour coordonner cette main-d'œuvre extérieure. Responsable des ressources humaines du département intégration des ouvrages à bord des navires, Françoise Le Huérou se souvient : « Au début, ce nouveau corps de métier était confié à des compagnons expérimentés (anciens menuisiers, serruriers, électriciens…), rémunérés comme tels. Nous avons donc tout créé : leur statut, le plan de formation adéquat et le processus d'évaluation. » à présent, 40 % de ces 150 superviseurs sont d'anciens salariés expérimentés choisis pour leurs compétences de gestion et d'autorité, et les 60 % restants, de jeunes BTS de génie civil, pour l'essentiel. Parallèlement, les Chantiers se sont engagés à avertir les sous-traitants lorsque leurs salariés se portent candidats chez le donneur d'ordres. Une façon d'« endiguer les flux de mobilité intempestifs » face à la pénurie locale de main-d'œuvre.

Sur la façon dont les sous-traitants géraient leurs ressources humaines, les Chantiers étaient jusqu'à présent peu regardants. Pour tenir leurs délais, cette myriade de PME plutôt fragiles avaient tendance à s'affranchir de la législation du travail (en matière de rémunérations et de durée), tout en externalisant leurs problèmes d'emploi et de formation à l'une des nombreuses agences d'intérim ayant pignon sur rue à Saint-Nazaire. Alertée par le décès, en juillet 2000, d'un jeune intérimaire à la suite d'une chute d'une dizaine de mètres, mais aussi par le long conflit des salariés de Sécurifrance (l'entreprise de gardiennage, qui a paralysé les abords du site durant plusieurs semaines l'hiver dernier), la direction des Chantiers a décidé de se montrer plus exigeante. Une nouvelle instance de dialogue de site a ainsi été créée fin 2000 à laquelle participent les représentants des unions locales. Et une sorte de CHSCT de site a vu le jour en juin, après un accord conclu avec quatre syndicats sur cinq, afin, précise Patrick Boissier, d'« harmoniser les conditions de sécurité et de travail ». Premier sujet, très concret, à l'étude : la restauration des salariés extérieurs qui, de l'avis de Marc Ménager, délégué CFDT, laisse à désirer, dans la mesure où « la moitié des sous-traitants n'ont fait aucun effort financier pour permettre à leurs salariés d'accéder à l'un des 11 restaurants du site ».

Deuxième piste explorée par la direction des achats, et érigée en « axe de progrès » de CAP21 +, le plan stratégique 2001-2004 présenté au printemps : l'amélioration de la performance sociale des sous-traitants, ou « coréalisateurs » dans le jargon des Chantiers. « Nous voulons les inciter à embaucher, former et manager un personnel stable », explique Bruno de Maquillé. À cette fin, les Chantiers devraient bientôt imposer à leurs sous-traitants la signature d'une nouvelle charte d'objectifs, plus contraignante en matière de sécurité et d'hygiène, dont le respect déboucherait à terme sur une réduction du nombre des entreprises (environ 500 à l'horizon 2003). En outre, un « ambitieux programme d'aide au développement managérial des sous-traitants et fournisseurs », testé auprès d'une dizaine d'entreprises pilotes depuis le début de l'année, devait être étendu à 120 coréalisateurs volontaires au second semestre. « Ce programme est destiné à les aider à mieux structurer leur organisation, car c'est la seule façon de rester compétitifs face à la concurrence des bas salaires », estime Bruno de Maquillé.

3 RÉÉQUILIBRER LA PYRAMIDE DES ÂGES

Autre chantier de longue haleine auquel Philippe Bouquet-Nadaud s'est attelé dès son arrivée: le rajeunissement du personnel. « Dans une industrie aussi physique, je ne m'attendais pas à gérer une telle proportion de salariés âgés », reconnaît-il, l'œil rivé sur un graphique illustrant « le désert des classes d'âge comprises entre 20 et 45 ans suivi du gratte-ciel des classes supérieures ». Un tel rajeunissement exige tout à la fois de maîtriser le flux des départs des plus expérimentés et d'embaucher « dans toutes les classes d'âge pour ne pas reconstituer un nouveau pic de jeunes de 20 à 25 ans ». Conséquence, la moyenne d'âge ne baisse que lentement : de 48 ans en 1997 à 44 ans et demi cette année, « avec pour objectif de descendre à 38 ans d'ici à cinq ans », précise le DRH.

Un accord conclu en septembre 1999 avec les syndicats autorise les départs à 55 ans, compensés par une embauche, dans le cadre de l'Arpe ou d'une préretraite progressive, un système financièrement amélioré par l'entreprise. En trois ans, 750 personnes en ont déjà profité. Mais l'inscription des Chantiers sur la liste des entreprises ayant exposé leur personnel à l'amiante risque d'accélérer ce rythme. Suivant la date de fin d'exposition qui sera retenue par les pouvoirs publics pour calculer le nombre d'années supplémentaires de retraite anticipée auxquelles les salariés pourront prétendre – 1976 ou 1977, comme le préconise la direction, ou 1997 comme le réclament les syndicats –, le flux des départs pourrait varier de quelques centaines à plus de 2000 personnes. « Au risque de mettre en péril toute l'industrie navale ! » prévient Philippe - Bouquet-Nadaud. La reconnaissance fin juin, par le tribunal des affaires de Sécurité sociale de Nantes, de la « faute inexcusable » des Chantiers dans l'exposition de trois anciens ouvriers ne va pas manquer d'attiser la polémique.

Pour les embauches, les cadres et les techniciens qualifié se sont taillé la part du lion avec, respectivement, 350 et 600 recrutements sur les 1680 réalisés depuis 1998. L'apparition des premières tensions sur le marché de l'emploi n'a pas atténué la sélectivité des critères. Seule concession de la direction lors du dernier accord salarial : les premiers salariés embauchés sur la base de 35 heures payées 35 devraient bénéficier d'un rattrapage de salaire. D'autant que, comme le note un syndicaliste, « un jeune cadre recruté il y a deux ans en était arrivé à percevoir 20 % de moins que son homologue recruté deux promotions plus tard ».

4 RESPONSABILISER LES SYNDICATS

Les organisations syndicales n'ont pas été épargnées par le train d'enfer que Patrick Boissier a fait mener aux Chantiers. « Dès mon arrivée, je leur ai expliqué que je n'étais pas capable de lancer CAP21 sans avoir leur accord objectif sur les finalités du plan et sur ce que cela impliquait pour le personnel », rappelle le P-DG. Dans ce fief ouvrier où la tradition du conflit est tenace, les syndicats n'étaient pas habitués à un tel parler vrai. Moyennant quoi jamais autant d'accords n'ont été conclus que ces trois dernières années. « En comptant l'accord sur le temps de travail et ses quatre avenants, pas moins de dix-sept ont été signés », précise Philippe Bouquet-Nadaud… de l'externalisation des personnels de restauration à l'intéressement en passant par la préretraite, le compte épargne temps ou la mise en place de délégués du personnel décentralisés. Un bilan plutôt flatteur que Philippe Bouquet-Nadaud met sur le compte de la « légitimité » de ses propositions. Pour la CFDT, deuxième organisation de l'entreprise, la signature de ces accords revient à « prendre sa part de responsabilité dans la réhabilitation des Chantiers », comme le souligne Marc Ménager. À sa façon, la CGT pratique aussi un jeu plutôt constructif. Ainsi, elle n'a pas profité de la majorité absolue des sièges qu'elle venait de rafler lors du scrutin organisé juste après la mise en œuvre de l'accord de RTT pour dénoncer ce texte qu'elle avait refusé de signer. Et elle vient de ratifier le dernier accord salarial, après qu'une majorité de salariés se sont prononcés en sa faveur.

5 COMMUNIQUER POUR CONVAINCRE LES SALARIÉS

Pendant trois ans, Patrick Boissier a pu imposer sa révolution dans un relatif consensus, dicté par la nécessité de sauver les Chantiers. Et les salariés ont été payés de retour. Outre la satisfaction de voir des milliers d'emplois créés, beaucoup éprouvent une réelle fierté devant la nouvelle aura de l'entreprise. « C'est un sentiment sur lequel Patrick Boissier a beaucoup joué », estime Dominique Barbe, le responsable cégétiste. Pour que chacun se sente partie prenante de CAP21, la direction adresse depuis l'automne 1998 à tous les salariés Marine Hebdo, un quatre pages consacré aux progrès réalisés. Par ailleurs, Patrick Boissier ne ménage pas son temps pour faire passer le message auprès de l'encadrement.

Reste à présent à gérer le retour à un rythme de croisière. Un pari plus difficile à tenir en termes de mobilisation, comme le montrent les réactions des syndicats à la présentation, en avril, de CAP21 +. Les syndicats jugent plutôt sévèrement « cette jolie plaquette d'une platitude peu rassurante sur le plan social ». « Il n'y a qu'à voir leur slogan, précise Jean-Marc Pérez : « une entreprise attractive pour les investisseurs, motivante pour les salariés », cela veut tout dire… » À moins que l'ambitieux plan de développement des compétences qui accompagne CAP21 + ne permette de donner de nouvelles perspectives, plus individuelles cette fois, aux salariés des Chantiers.

Entretien avec Patrick Boissier :
« Il va falloir faire appel à l'immigration si la France persiste à vouloir réduire son temps de travail »

À son arrivée, en 1997, à la tête des Chantiers de l'Atlantique, les syndicats voyaient en lui le futur « tueur de la navale ». Une caricature d'autant plus facile que Patrick Boissier, polytechnicien de 51 ans passé par Harvard, avait conduit plusieurs restructurations chez Tréfimétaux, où il a commencé sa carrière d'ingénieur. Le redressement spectaculaire de l'entreprise a fait taire les mauvaises langues. Reste à ce fils et petit-fils d'industriel, adepte du parler vrai, à parachever la mue du leader mondial de la construction de paquebots.

Quelle est l'ambition de CAP21 +, votre nouveau projet d'entreprise ?

CAP21, notre précédent plan stratégique, était fondé sur la survie de l'entreprise. Il a fortement mobilisé le personnel : en trois ans, nous avons triplé l'activité, bouleversé l'organisation et embauché près de 2 000 personnes. Nous sommes aujourd'hui redevenus une entreprise normale. Afin de mobiliser des salariés dont près de la moitié n'ont pas connu la situation dramatique précédente, CAP21 +, notre nouveau plan stratégique, s'est efforcé de projeter l'entreprise à un horizon de cinq à dix ans. Pour continuer d'améliorer notre performance et atteindre le leadership mondial sur chacun de nos créneaux de marché, nous nous sommes fixé des objectifs en termes d'activité, de résultat, de qualité, et des axes de progrès: performance des coûts, fiabilité de la production, développement des compétences, transmission des savoir-faire…

Vous êtes-vous engagé sur l'emploi ?

Je ne prends aucun engagement dans ce domaine. L'emploi est la résultante de l'activité et de nos gains de productivité. Compte tenu de nos prévisions d'ici à 2004, je table sur un effectif stable autour de 5 000 salariés, mais nous serons peut-être 5 400 ou 4 800.

Avez-vous gagné en productivité grâce à la réduction du temps de travail ?

Nous avons conclu un accord d'aménagement et de réduction, non pas du temps de travail, mais du temps de présence. Entre le temps passé dans l'entreprise et le temps efficace travaillé, nous perdions environ une heure par jour et par salarié. Nous avons donc réduit le temps de présence tout en augmentant le temps de travail efficace. Sans imposer au personnel des cadences de travail infernales, nous devons toutefois encore accroître l'efficacité des heures travaillées.

Les syndicats évoquent pourtant une intensification du travail…

Le personnel travaille en effet de façon plus intense. Sans nous comparer aux chantiers qui paient leurs salariés jusqu'à cinq fois moins que les nôtres, c'est inéluctable pour survivre face à nos concurrents européens. Quant au stress que subit notre encadrement, il est lié non pas à l'organisation, mais au rythme du changement. Nous avons embauché plus de 350 cadres en dix-huit mois, ainsi que de nombreux jeunes sortis d'école. Mais l'afflux de ces nouvelles recrues a jusqu'à maintenant représenté plutôt une charge supplémentaire.

Comment gérez-vous un personnel aussi âgé que celui des chantiers ?

La grande expérience de notre personnel constitue un atout sérieux, et sa moyenne d'âge élevée nous offre l'occasion d'un renouvellement important. Nous avons d'ailleurs commencé à rééquilibrer notre pyramide des âges en accélérant les départs en préretraite et en recrutant des salariés dans toutes les tranches d'âge pour éviter de reconstituer un pic avec les 20-25 ans. L'amélioration des conditions de travail, grâce à l'automatisation des tâches, a aussi facilité le maintien de personnes plus âgées aux postes de travail. Enfin, nous avons créé un atelier de services pour les plus fatiguées.

Quel sera le poids des départs liés à l'amiante ?

L'amiante a été utilisé aux Chantiers jusqu'en 1975. Même si on en a trouvé ici ou là après, ce n'était plus nocif pour l'ensemble du personnel. Si la date de fin d'exposition retenue pour calculer le nombre d'années de cessation anticipée d'activité correspond à cette réalité, cela n'aura pas d'incidence sur le rythme actuel de nos départs en préretraite. À l'exception de quelques dizaines de salariés qui partiront à 54 ou 55 ans, au lieu de 56 ans.

Les préretraites sont-elles incontournables ?

Certaines entreprises n'ont pas le choix : si elles ne gèrent pas le départ de ce personnel âgé, incapable d'évoluer et plutôt en surnombre, elles sont condamnées à disparaître. Aux Chantiers, les préretraites étaient nécessaires. Cela ne signifie pas que nous allons les pérenniser.

Que pensez-vous de la gestion du dossier des retraites par le pouvoir ?

Je regrette que nos politiques n'aient pas le courage de s'y atteler. Il va bien falloir admettre que l'âge normal de la retraite soit porté au-delà de 60 ans, car on ne pourra pas tout à la fois continuer à allonger la période d'études, réduire le nombre d'heures travaillées dans l'année et continuer de cesser de travailler à 60 ans alors que la durée de la vie s'allonge et que les actifs font de moins en moins d'enfants ! Sans remettre en cause les mérites du système par répartition, il faudra aussi introduire une certaine dose de capitalisation. Et alors que l'Allemagne met déjà en place un tel système, nous nous limitons à la création d'un fonds de réserve.

Comment gérez-vous les différences de statut avec vos sous-traitants ?

Il ne faut pas opposer les personnels des Chantiers à ceux de nos coréalisateurs. Car il n'y a pas, d'un côté, les bénéficiaires d'un statut de nanti et, de l'autre, les exploités régis par un statut de seconde zone. Nous ne pouvons pas prétendre au leadership mondial sans avoir pour partenaires des entreprises aussi performantes sur le plan social que dans la maîtrise des coûts, la qualité, le service ou l'innovation. Une entreprise n'attire un personnel de bon niveau qu'en lui offrant des salaires, des conditions de travail et des perspectives de carrière corrects.

Pourquoi, alors, avez-vous créé des instances de coordination sociale ?

Ces structures n'ont pas vocation à uniformiser, mais à harmoniser nos politiques avec celles des coréalisateurs. Si nous n'avons pas à leur dire comment ils doivent s'organiser sur le plan social, il me paraît normal de discuter ensemble des conditions de travail et de sécurité.

Éprouvez-vous des difficultés de recrutement ?

Nous recevons des candidatures de cadres et de techniciens en provenance de toute la France, voire d'Europe. Nous avons des atouts pour les attirer: une bonne situation géographique, des produits extraordinaires, un projet médiatisé, l'appartenance à un groupe réputé. Nous avons aussi commencé à embaucher avant le redémarrage de l'activité économique. Le recrutement plus local des opérateurs est un peu plus difficile, le taux de chômage de la région de Saint-Nazaire ayant déjà fortement chuté. Nous essayons d'y remédier en lançant des actions de formation et d'insertion, auprès des femmes notamment.

Souhaitez-vous une reprise de l'immigration ?

Tout en sachant qu'il y a parmi les 9 % de chômeurs restants des personnes aptes à travailler et que l'immigration pose des problèmes, il va bien falloir faire appel à une main-d'œuvre qui vienne d'ailleurs si la population active française ne s'accroît pas et persiste à vouloir réduire son temps de travail.

Quelles sont vos relations avec les syndicats ?

En lançant CAP21, en 1997, j'ai expliqué aux syndicats que je ne pouvais pas réussir sans passer une alliance objective avec eux, tant sur les finalités du plan que sur ses conséquences pour le personnel. Depuis, notre politique contractuelle s'est fortement développée, avec la signature de 17 accords d'entreprise. Fait sans précédent, nous avons conclu cette année un accord salarial signé par toutes les organisations. Les temps ont changé. Aujourd'hui, notre politique salariale est fonction de nos résultats et non plus des débrayages préalables ou de l'évolution du coût de la vie.

Que pensez-vous de l'avancée de la refondation sociale ?

Il est malheureux que l'État et les partenaires sociaux n'aient jamais réussi à s'entendre pour mettre fin aux archaïsmes dont souffre notre système social. La refondation sociale me semble donc une nécessité impérative, même si je n'approuve pas toutes les tactiques employées.

Que vous inspire le sabordage du projet d'entreprise de la SNCF ?

Je suis frappé par les intérêts corporatistes dont se prévaut une minorité de catégories professionnelles. L'évolution de la SNCF me paraît pourtant indispensable. Sa mise en échec risque de précipiter sa privatisation, ce qui n'est pas forcément souhaitable, comme le montre l'exemple de British Railways. D'une façon générale, si l'efficacité des services publics français est plutôt bonne, leur efficience laisse à désirer. Il leur faut faire aussi bien, mais pour moins cher. Cette réforme ne se fera toutefois qu'avec un consensus global sur l'objectif. Encore faut-il que les politiques en aient le courage et la volonté.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Valérie Devillechabrolle

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle