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Vie des entreprises

Les antidotes au zapping des jeunes diplômés

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.10.2001 | Catherine Lévi

Même si les embauches se sont ralenties, les entreprises continuent d'avoir les yeux de Chimène pour les jeunes diplômés. Pour les séduire et les conserver, elles débordent d'attention. Stages, visites, rencontres avec les dirigeants, responsabilités précoces, mobilité… Rien n'est trop beau pour les jeunes recrues. Mais après, il faut que ça suive !

Pas d'état d'âme. Responsable de comptes, Yann, 26 ans, n'a pas hésité une seule seconde à rejoindre la Bred, parce que les perspectives de carrière que lui faisait miroiter son précédent employeur tardaient à se concrétiser. Avec cinq propositions fermes en poche, toutes dans la même fourchette de rémunération, il n'a eu que l'embarras du choix. « C'est important de s'éclater dans son travail. Si je m'ennuie, ou si l'entourage et la hiérarchie ne sont pas à la hauteur, je m'en vais. Nous sommes tous dans cette logique aujourd'hui », explique-t-il.

Comme lui, les jeunes diplômés vivent un nouvel âge d'or. Certes, la croissance est moins flambante, les plans sociaux se multiplient dans la téléphonie ou l'informatique et les start-up connaissent quelques déboires. Mais la majorité des grandes entreprises recrutent encore massivement. 2 500 nouveaux collaborateurs devraient ainsi rejoindre Bouygues Construction d'ici à la fin de l'année, dont un fort contingent de jeunes ingénieurs et de diplômés de grandes écoles. La société de conseil en technologie Altran doit achever dans les trois mois un plan de recrutement de 2 500 collaborateurs. Enfin, pour son deuxième parc à thème, Disneyland Paris lance ce mois-ci un programme de recrutement de 5 000 personnes, dont 90 % de jeunes de moins de 26 ans et un gros bataillon du supérieur.

Du coup, les juniors peuvent « mettre la barre plus haut que leurs aînés », se félicite Florence Chataignier, 24 ans, diplômée de HEC et chef de projet international chez L'Oréal Coiffure. Ils veulent tout et tout de suite. « Ils se considèrent comme des joueurs talentueux et veulent intégrer des équipes gagnantes, souligne Volker Büring, DRH d'Accor. Nous sommes donc entrés dans un schéma transactionnel. C'est du donnant-donnant. » Non seulement les recruteurs n'ont pas la partie facile, mais, derrière, l'intendance doit suivre. « Il nous faut concevoir des packages complets, comprenant l'embauche, l'intégration et la gestion du début de carrière. On fait la vente et l'après-vente », confirme Jean-Claude Le Grand, DRH international du département Cosmétique active de L'Oréal.

Face à l'impatience des cadets et aux sirènes de la concurrence, la première des priorités consiste à professionnaliser le recrutement. Car l'intégration commence à l'embauche. Bouygues Construction s'est organisé en task-force pour « aller plus vite que les autres ». Trois personnes épaulent les DRH des unités opérationnelles. Objectif : identifier les profils recherchés, faire de la veille, développer des techniques de recrutement nouvelles, dénicher des candidats à fort potentiel. Internet devient incontournable, car il permet de gérer les candidatures en temps réel. À la Bred, par exemple, 50 % des embauches se font par son intermédiaire. « Notre procédure ne dure pas plus de trois semaines au total. Les jeunes apprécient beaucoup notre réactivité. Nous sommes champions dans notre secteur », affirme Jean-Yves Plat, directeur du personnel et des relations sociales.

Gare au miroir aux alouettes !

Afin de trouver leur précieuse matière grise, les entreprises ratissent les forums, font les yeux doux aux stagiaires – Bouygues Construction embauche 40 % d'entre eux – et resserrent leurs liens avec les écoles. Pechiney, qui devait recruter 400 managers en 2001, a organisé un concours « e-reporter » pour les élèves de dernière année des grandes écoles françaises et des universités américaines. Les candidats avaient à réaliser, en équipe, pendant les vacances scolaires, des reportages – tous frais payés naturellement – rendant compte de la réalité de l'entreprise à travers des visites de sites. Des activités estivales qui seront bientôt présentées sur le site Internet du groupe.

Avec ce genre d'initiatives, les entreprises font coup double. Elles mettent en avant des valeurs d'entrepreneuriat style start-up et permettent aux jeunes de s'assurer que leur futur environnement de travail corresponde à leurs attentes. « À travers nos actions de communication, nous vendons un groupe international, diversifié, qui allie la richesse des métiers à l'expérience humaine », résume Pierre Meynard, DRH de Pechiney. Les messages cherchent à coller aux préoccupations de la génération montante, qui veut exercer un métier intéressant, avoir des perspectives de carrière et de développement personnel. « Nous sommes présents dans 80 pays et cinq familles de métiers. C'est très motivant pour les jeunes de savoir qu'il existe au sein du groupe un tel potentiel », souligne Jean-Philippe Montagne, DRH d'Arthur Andersen. Le cabinet de conseil, qui recrute chaque année 600 jeunes diplômés, propose sur son site de recrutement 150 pages répondant à toutes les interrogations des candidats sur les carrières, la mobilité, la culture de l'entreprise…

Mais gare aux miroirs aux alouettes ! Comme le rappelle Jean-Claude Le Grand, de L'Oréal, « une entreprise doit absolument assurer derrière, sinon ses promesses sont une coquille vide, et les jeunes ne restent pas. Le démarrage est primordial ». Ce n'est pas Florence Chataignier qui démentira. Elle a suivi avec grand plaisir, pendant ses trois premiers mois chez le géant de la cosmétique, la célèbre « route de L'Oréal », jalonnée de visites chez les clients en compagnie des représentants et de formations à la coiffure et aux produits du groupe. Elle a rencontré ses interlocuteurs étrangers, notamment en Grande-Bretagne et en Italie. Hier réduite à la portion congrue, cette période d'intégration est aujourd'hui considérée comme un facteur clé de fidélisation. « Nous avons des difficultés pour recruter les jeunes. Il est donc important de faire le nécessaire pour les garder », reconnaît Jean-Marie Egloff, DRH chez IBM pour l'Europe de l'Ouest.

Fini les sempiternelles journées d'accueil, remplies d'exposés pompeux avec remise de livrets d'accueil poussiéreux à la clé. Dans les entreprises les plus en pointe, la phase d'intégration se présente sous la forme d'un parcours modulaire qui peut durer deux ans ! Un quasi-parcours initiatique comportant stages sur le terrain, formations pour faire connaissance avec l'entreprise et acquérir des compétences, rencontres avec les dirigeants, visites de sites… Les jeunes recrues se retrouvent de plus en plus fréquemment ensemble, ce qui leur permet de développer des réseaux de relations et d'établir une solidarité de génération. Chez Pechiney, l'intégration comprend trois temps : l'accueil, la formation et le développement personnel. Chaque nouvel arrivant doit bâtir son propre plan pour muscler ses compétences, la maîtrise de sa fonction étant déclinée en différents thèmes : capacité d'initiative, anticipation, sens du client… Il bénéficie de deux à trois semaines de formation haut de gamme par an. Il peut également participer à des projets professionnels hors de son domaine d'activité.

Parcours sur mesure

Pas question, après un tel investissement, de cesser de lutter contre le désir des juniors de changer d'entreprise ou de se frotter à d'autres cultures. Même si la « carrière à vie » est passée de mode, Jean-Yves Plat se veut optimiste : « Les jeunes n'ont pas envie de changer pour changer. Ce sont les opportunités d'évolution professionnelle qui comptent. » Pour fidéliser leurs recrues, certaines entreprises leur témoignent leur confiance en leur accordant très tôt des responsabilités. L'itinéraire de Claire Caulliez-Force, 26 ans, auditrice financière chez Arthur Andersen, est éloquent à cet égard. Arrivée en décembre 1998, elle s'est déjà vu confier la responsabilité d'une petite équipe. « Mon job est très vivant, d'autant qu'il m'arrive d'animer des formations pour les stagiaires », affirme-t-elle. Le cabinet d'audit a tenu compte de son intérêt pour l'industrie textile et lui a confié un portefeuille de clients dans le secteur. Aucun temps mort dans son parcours : chez Arthur Andersen, les jeunes changent de grade tous les ans et bénéficient régulièrement de séminaires de perfectionnement.

Autre antidote au zapping des jeunes : la mobilité. Les juniors peuvent de plus en plus facilement changer de métier, de secteur, de pays, jonglant ainsi avec les expériences. « Je me verrais bien un de ces jours à Madrid », dit Claire Caulliez-Force, rêveuse. La mobilité fait partie du cursus normal qui prépare les hauts potentiels : changer de poste tous les trois ans devient la norme. Le processus est largement organisé. « Nous devons prendre en compte le projet personnel de chacun, insiste Volker Büring. Sinon les moins audacieux ronronnent et les autres s'en vont. Les schémas de carrière doivent être transparents et flexibles. »

C'est bien ce qui séduit Christine Cantin, 29 ans, embauchée par Accor… à Bangkok. Auparavant, elle avait travaillé à New York et à Hanoi. « Accro » à l'international, elle est aujourd'hui responsable des réservations par les nouvelles technologies au niveau mondial pour les enseignes Formule 1, Etap Hotel et Ibis. Chez Arthur Andersen, on préfère parler de parcours sur mesure que de gestion de carrière. « Au bout de deux ans, un jeune peut, à sa demande, changer de métier, de localisation et même de rythme de travail. Congé sabbatique, télétravail, temps partiel, nous sommes ouverts à toutes les formules, indique Jean-Philippe Montagne. En collant aux aspirations, y compris personnelles, des juniors, nous pouvons vraiment espérer les conserver. »

Fidéliser des salariés est aussi une affaire de psychologie, face à une population plus affective que rationnelle. Pour accompagner les jeunes dans leurs premiers pas et suppléer au manque éventuel de disponibilité des managers, certaines entreprises mettent en place des formules inédites. IBM a lancé une fondation qui les suit pendant deux ans (voir encadré ci-contre). Quant à la Bred, elle a remis le parrainage au goût du jour. « Chaque jeune a un parrain qui ne fait pas partie de sa hiérarchie. Il peut prendre contact avec lui lorsqu'il s'interroge sur l'organisation, qu'il a besoin d'un renseignement ou rencontre une difficulté », note Jean-Yves Plat.

Ne pas perdre du sang neuf

Mais pas d'intégration réussie sans implication des managers. Pechiney a jugé bon d'envoyer trois cents d'entre eux suivre une formation d'une journée intitulée « Savoir recruter et intégrer ». Car si ces derniers ne jouent pas le jeu, c'est par manque de préparation, mais aussi au nom d'un réflexe hiérarchique. « Il faut qu'ils admettent que les jeunes ne sont pas leur propriété », souligne François Jacquel, DRH central de Bouygues Construction. Les managers doivent surtout afficher de fortes qualités personnelles, car leurs cadets sont prompts à pointer le manque de transparence ou les faibles capacités d'animation. Du coup, les entreprises n'hésitent pas à rappeler à l'ordre les récalcitrants. Voire, comme le constate Hervé Serieyx, à « remercier de mauvais managers plutôt que de perdre du sang neuf ». À tout le moins, « nous devons nous assurer qu'un mode relationnel soit bien établi avec les jeunes générations et que leurs attentes sont satisfaites », estime Pierre Meynard.

Chez Pechiney, les managers se voient assigner des objectifs de développement de leurs collaborateurs. Les entreprises lancent des enquêtes de satisfaction auprès des jeunes ou mettent en place des comités exécutifs juniors, à l'instar de PPR ou de Sanofi Synthélabo. Accor va, à son tour, organiser des « tables ouvertes ». Rien n'est trop beau pour ces novices dont les exigences deviennent parfois démesurées. Pour Jean-Claude Le Grand, de L'Oréal, l'entreprise doit donc garder la tête froide, « dire aux jeunes collaborateurs ce qui ne va pas et se séparer, en cas de besoin, de ceux qui ne font pas l'affaire ».

IBM : une fondation pour coacher les jeunes recrues

Face à un turnover anormalement élevé, surtout parmi les salariés de deux à cinq ans d'ancienneté (15 à 20 % dans certaines divisions), IBM Global Services se devait de réagir. Surtout que cette année l'entreprise va embaucher la bagatelle de 1 000 personnes pour la France et la Belgique, dont 50 % de jeunes diplômés, essentiellement des ingénieurs.

Convaincu que fidélisation rime avec qualité de l'intégration, l'entreprise a complètement remis à plat son dispositif d'accueil. Pierre angulaire : une fondation, formule qui a fait ses preuves dans la filiale anglaise du groupe. Composée de 7 managers à temps plein (20 à la fin de l'année), elle suit les nouveaux embauchés pendant les deux premières années de leur carrière. Dès leur arrivée, ils sont regroupés par promotions de 15 ou 20 et participent à une formation à temps plein d'un mois portant sur les procédés et processus d'IBM. Puis chaque jeune effectue, pendant sa période de « cocooning », une à cinq missions, de vrais jobs dans des domaines d'activité proches de ceux pour lesquels ils ont été embauchés : analyse fonctionnelle dans l'assurance, installation d'un progiciel de ressources humaines, etc. Les promotions se réunissent de façon formelle tous les six mois pour une nouvelle semaine de formation portant sur des questions aussi bien techniques que comportementales. Il y a également de simples rencontres où chacun parle de son expérience.

Même si les apprentis IBMer exercent leurs missions sous la houlette de chefs de projet, ils demeurent sous la responsabilité d'un manager de la fondation. « Notre objectif est de les aider à acquérir des compétences, à tisser des réseaux et à trouver leur voie, précise Jean-François Mécry, responsable de la fondation. Nous sommes en quelque sorte leur coach. »

Auteur

  • Catherine Lévi