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Vie des entreprises

La loyauté contractuelle

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.10.2001 | Jean-Emmanuel Ray

Quelle loyauté dans les rapports de travail, entre employeur et salarié ? Pour la chambre sociale, c'est un peu deux poids, deux mesures. Exigeante à l'égard de l'entreprise, par exemple en cas de modification du contrat ou de négociation collective, elle est plus tolérante envers le salarié.

Jean-Emmanuel Ray

Professeur à Paris I et à l'IEP de Paris, directeur du DESS Ressources humaines (Sorbonne), auteur d'« Internet, intranet, télétravail : le droit du travail à l'épreuve des NTIC », éd. Liaisons, collection « Droit vivant », mai 2001.

« Loyauté : qui obéit aux lois de l'honneur et de la probité » (Littré). En droit des contrats, la nouvelle devise serait « Loyauté, Solidarité et Fraternité » (Denis Mazeaud). Et en droit du travail ?

Un devoir exigeant côté entreprise

L'obligation d'exécuter les contrats de bonne foi fait depuis une dizaine d'années florès dans les arrêts de la chambre sociale : devoir d'adaptation, obligation de reclassement, surveillance loyale et donc licite des salariés, etc. Application récente au droit de la modification : « Un nécessaire délai de réflexion permettant d'évaluer la portée de la modification proposée et ainsi de décider en connaissance de cause doit être laissé au salarié », reprochait-elle le 28 mars 2001 à un repreneur ayant manifesté un empressement pour le moins excessif à obtenir (dans la journée) un avenant de réduction du salaire. Le 23 mai 2001, elle condamnait un employeur « ayant manqué à son obligation d'information et de conseil en ne fournissant pas à une salariée (mutée à un poste lui faisant perdre une prime) les explications nécessaires, relevant de l'exécution de bonne foi du contrat de travail » (même si l'on imagine le peu d'empressement patronal à le faire).

Côté rapports collectifs, le législateur évoque de plus en plus souvent la loyauté en matière de négociations : elles doivent être « loyales et sérieuses » (loi du 9 mai 2001 sur le travail de nuit, amendement Michelin). Si la convention collective veut se substituer à la loi, comme le suggère la position commune Medef-« interlocuteurs sociaux » du 16 juillet 2001, la loyauté doit en effet être revivifiée. Les juges ne sont pas en reste : le TGI de Nanterre a annulé le 9 mars 2001 un accord 35 heures en raison de curieuses et tardives négociations séparées. Mais mission délicate que de séparer légitimes tactiques de négociation et comportement déloyal… En matière d'information et de consultation, le TGI de Paris regrettait enfin, le 9 avril 2001, « l'absence d'information sincère, loyale et complète, permettant aux représentants du personnel d'en saisir l'économie et d'en discuter les divers aspects ». S'agissant d'une entreprise anglaise, c'est la conception même de la consultation à la française qui est ainsi posée.

Une obligation atténuée pour le salarié

La Cour de cassation se montre ici beaucoup plus tolérante.

Embauche

« En mariage, trompe qui veut » : certains candidats appliquent manifestement le vieil adage à ces fiançailles professionnelles.

Visiblement allergique à une bien tardive action patronale en annulation du contrat pour vice du consentement, la chambre sociale avait adopté le 30 mars 1999 une position très haute : « La fourniture de renseignements inexacts lors de l'embauche n'est un manquement à l'obligation de loyauté que si elle constitue un dol. »

Et après avoir rappelé qu'il ne se présumait pas mais devait être prouvé par le demandeur, elle poursuivait le 25 avril 2001 : « Le dol n'est cause de nullité que lorsque les manœuvres pratiquées sont telles qu'il est évident que l'autre partie n'aurait pas contracté. »

Peu dissuasif pour des CV fort créatifs, sinon carrément mensongers : d'où l'obligation de se renseigner précisément.

Exécution

Même si Internet renouvelle la question, être collaborateur et concurrent reste l'exemple même de la déloyauté : la chambre sociale a rappelé le 4 avril 2001 qu'il s'agit d'une faute grave (voire lourde). Reste le paradoxe techniquement imparable mais socialement inexplicable du versement d'une indemnité de non-concurrence à un salarié licencié… pour des faits de concurrence. Confondant obligation naturelle (pendant le contrat) et clause contractuelle (visant l'après-contrat), certains employeurs en avaient privé le salarié fautif. Erreur si ce dernier avait cessé toute concurrence avant son licenciement : en l'absence de concurrence après la rupture, l'indemnité lui était intégralement due (Cass. soc., 20 novembre 1998). Droit et morale…

Et pendant les périodes de suspension (maladie, maternité, congés…) ? Si le salarié est alors dispensé d'exécuter sa prestation de travail, « il reste tenu envers son employeur d'une obligation de loyauté » (en l'espèce, une salariée en CIF ayant effectué son stage chez un concurrent), a rappelé le 10 mai 2001 la chambre sociale. Mais le principe de la séparation vie privée-vie professionnelle, énoncé le 6 février 2001 à propos d'un arrêt maladie, demeure : « Le salarié ne saurait être tenu de poursuivre une collaboration avec l'employeur » ; il peut donc refuser de prendre ce dernier au téléphone, même s'il doit « lui restituer les éléments matériels nécessaires à l'activité de l'entreprise » (en l'espèce, un fichier client).

FLASH
Modification du contrat (suite)

– Pour les centaines de milliers d'agents d'entreprises publiques à statut, l'arrêt rendu par le Conseil d'État le 29 juin 2001 risque de faire grand bruit. Après avoir rappelé l'article L. 121-1 du Code du travail (le contrat de travail est soumis au droit commun), le Conseil énonce en effet que « le principe général de droit dont s'inspirent ces dispositions implique que toute modification des termes d'un contrat de travail recueille l'accord de l'employeur et du salarié. L'existence d'un statut n'est pas inconciliable avec ce principe […], même s'il convient de réserver les hypothèses dans lesquelles les nécessités du service public confié à l'entreprise feraient obstacle à son application » : bon exemple de l'actuelle privatisation du droit public, en espérant que la jurisprudence du Palais-Royal ne s'éloigne pas trop de celle du Quai de l'Horloge (égaux et ego).

– « L'adoption d'une nouvelle politique commerciale ne constitue pas une modification du contrat de travail » (Cass. soc., 19 juin 2001). Rappel aux commerciaux : ne pas confondre modification d'un élément du contrat et celle du chiffre en bas à droite de la fiche de paie, le variable pouvant par définition évoluer.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray