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Vie des entreprises

Ciel, mon DRH est un centre d'appels !

Vie des entreprises | ANALYSE | publié le : 01.10.2001 | Valérie Devillechabrolle

Irruption des nouvelles technologies, course à la qualité et à la productivité, standardisation des procédures… les services RH sont dans le collimateur. Leurs effectifs maigrissent. Ramenés au rang de fournisseurs, les DRH sont – eux – priés d'apporter une réelle valeur ajoutée aux opérationnels.

Les 600 salariés d'Europe du Sud de Cisco ne le savent probablement pas. Et pourtant, c'est une petite plate-forme téléphonique, installée à Bruxelles et animée par des téléacteurs parlant français, italien et espagnol, qui est désormais chargée de gérer leurs contrats de travail. « Nous avons une personne par pays qui renseigne la base de données des conventions collectives », précise Françoise Sagorin, DRH pour l'Europe du Sud de Cisco depuis cinq ans. Logique avec lui-même, l'architecte mondial de réseaux par Internet a appliqué à son propre service des ressources humaines les solutions qu'il préconise à ses clients : mise en place d'un intranet permettant aux salariés d'accéder à leur dossier personnel ; pour les managers, équipement en logiciels sophistiqués d'approbation de congés, d'évaluation des compétences et même de calcul d'augmentations individuelles ! Dans son petit bureau d'Issy-les-Moulineaux, Françoise Sagorin, ainsi débarrassée de tout le « brassage de papier », peut se concentrer sur sa mission essentielle : « conseiller les opérationnels en management et les aider à parfaire leur organisation en fonction du business ».

Big bang dans les services

Si Cisco fait figure de précurseur, la plupart des grandes entreprises lui ont aujourd'hui emboîté le pas, provoquant un véritable big bang dans des services RH jusqu'ici relativement épargnés par les restructurations. La raison ? D'abord, les directions exigent désormais de la fonction RH la même contribution aux résultats et la même optimisation des moyens que des autres divisions de l'entreprise. Ainsi, selon une enquête réalisée fin 2000 par le cabinet PricewaterhouseCoopers auprès d'une trentaine de multinationales européennes (dont France Télécom, Renault et le Crédit lyonnais en France), plus de 40 % des entreprises interrogées indiquent en « attendre des gains de productivité ». Ensuite, la vague des nouvelles technologies est en train de bouleverser la fonction RH : « Les NTIC sont désormais mises à contribution pour le recrutement, le développement des compétences et la gestion des carrières des salariés à haut potentiel », explique Laurent Devemy, directeur des opérations Europe de Skillvest, un prestataire anglo-saxon de solutions RH sur Internet.

Dans les services concernés, l'arrivée de nouveaux systèmes d'information fait déjà de gros dégâts. En termes d'emplois tout d'abord. Chez France Télécom, par exemple, la création de 10 plates-formes d'administration du personnel pour 150 000 salariés français devrait permettre de diviser les effectifs de cette fonction par plus de quatre en trois ans, les faisant baisser de 3 100 salariés en 2000 à 700 fin 2002. Et les syndicats redoutent qu'il ne s'agisse que d'une étape intermédiaire… Idem à Usinor : la mise en œuvre depuis le début de l'année d'une unité de services partagés d'administration et de paie, basée à Montataire (Oise), « devrait, assure André Vallet, son directeur, permettre à terme de diminuer de moitié les effectifs, jusque-là disséminés dans toutes les unités du groupe sidérurgique ».

50 % d'administratifs

Pour Pascal Nicaud, responsable de l'offre conseil en systèmes d'information et en e-RH à la Cegos, ces coupes claires n'ont rien de surprenant : « Sur les 66 sous-processus de la fonction RH répertoriés, il y a encore bon nombre de flux de papier redondants ou informatisables, en particulier à la paie, à l'administration du personnel et à la gestion des temps. » Exemple : les employés du service formation consacrent encore, en moyenne, plus de 15 % de leur temps à l'édition de la fameuse « 2483 » (le formulaire détaillant la répartition des fonds alloués à la formation). Surtout, le personnel administratif se taille encore la part du lion dans les services de ressources humaines français, avec près de la moitié des effectifs alloués à cette activité, contre 42 % chez leurs homologues européens, selon PricewaterhouseCoopers (voir graphique).

Autre source d'économies notables, la standardisation des procédures. Ainsi, il n'y a plus qu'un seul modèle d'entretien d'évaluation pour les 80 000 collaborateurs de Kodak dans le monde, au lieu de 140 formules précédemment : « Cette homogénéisation résulte d'une étude conduite en 1997 et en 1998 qui nous avait montré que seuls 20 % des processus RH sont en réalité spécifiques aux législations nationales, contre 80 % qui sont similaires », explique Vincent Bianco, DRH de Kodak Pathé. Pour répondre aux besoins de formation standards, ce dernier ne lance plus qu'un seul appel d'offres sur toute l'Europe. « Cela nous a permis d'économiser sur les frais de développement », se félicite-t-il, en attendant de réaliser de nouveaux gains grâce à l'e-learning.

Quant aux prestations administratives, réputées jusque-là « improductives », elles sont passées à la moulinette. Ainsi, la performance des nouvelles plates-formes de services partagés que 35 % des grandes entreprises ont déjà mis en œuvre, d'après PricewaterhouseCoopers, fait souvent l'objet d'un contrat de services, assorti d'une batterie de critères de qualité. Et même lorsqu'elles ne sont pas externalisées, le coût de ces prestations est comparé à celui des fournisseurs extérieurs. « Pour nombre de responsables locaux de ressources humaines qui auparavant connaissaient mal leurs coûts de production, cette comparaison désormais systématique a amené une véritable prise de conscience, parfois difficile d'ailleurs », témoigne André Vallet, d'Usinor.

Privés d'une relation de proximité avec les services RH, les salariés, de leur côté, n'hésitent plus à se comporter en consommateurs exigeants : « La relation avec les salariés est de plus en plus déshumanisée. Résultat, pour une attestation qui n'est pas délivrée assez vite, ou une erreur dans le calcul d'une prestation, le ton monte vite », soupire Martine, chargée de la gestion de plus de 300 salariés sur la plate-forme France Télécom de Caen, en Normandie.

Les troupes renâclent

Autre effet de ce big bang organisationnel, les chasses gardées disparaissent dans les DRH. Les frontières autrefois très marquées entre la formation et la gestion des emplois deviennent de plus en plus floues avec la mise en œuvre des nouveaux logiciels de gestion prévisionnelle des compétences. Même situation entre les cellules de recrutement et les bourses d'emploi internes. Chez Schneider Electric, depuis le mois de septembre, les managers peuvent d'un simple clic sur le portail RH transformer une proposition de mobilité interne en un recrutement externe. « Le service du recrutement s'est senti totalement remis en cause. Il a été contraint de s'interroger sur le siège de sa valeur ajoutée dans le processus de recrutement… avant d'envisager de se réorienter vers une meilleure connaissance des viviers de candidats », précise Danielle Nguyen, e-DRH chez Schneider Electric.

Autant dire que, dans beaucoup d'entreprises, les troupes ont renâclé. D'abord parce que, comme l'a résumé crûment Didier Morfoisse, DRH de Siemens, dans un récent salon professionnel, « les collègues qui traitaient des fiches de frais ne sont pas forcément ceux qui font désormais du coaching ». Consultant chez PricewaterhouseCoopers, Alain Hensgen confirme : « Seuls les personnels mobiles peuvent espérer être basculés sur les nouveaux centres de services partagés car, localement, les postes de business partners RH sont désormais dévolus à des bac + 5. » Conséquence, la fonction n'échappe pas aux mesures d'âge et de redéploiement. Avec une difficulté particulière, toutefois, pour les responsables de siège renvoyés vers l'opérationnel : « Affublés d'une réputation d'incompétence pratique, ils n'apparaissent pas forcément légitimes sur le terrain », observe Didier Stéphany, d'Entreprise et Personnel, coauteur avec Jean-Pierre Quazza d'une étude sur la mutation des services RH.

Des DRH à plusieurs casquettes

Cette révolution n'épargne pas les DRH eux-mêmes. « Les principales crispations vont venir d'eux, du fait de la disparition de tâches comme le contrôle des notes de frais, sur lesquelles ils pensaient avoir un pouvoir régalien, mais où ils n'apportaient aucune valeur ajoutée », prédit Dominique Laurent, DRH d'Électrolux, à présent chez Hachette. Responsable de l'équipe management des hommes et des savoirs et associé chez Arthur Andersen, Hughes Roy est encore plus explicite : « Les DRH issus de la négociation sociale ou du droit du travail vont devoir s'adapter, car leurs directions générales ne les attendent plus seulement sur ces terrains-là. » Elles leur demandent aussi de mesurer « l'efficacité » de leur contribution. Le DRH d'Électrolux a préféré prendre les devants dès 1999, en mettant en place une batterie de 18 indicateurs destinés à mieux cerner son activité, en termes de satisfaction des salariés et de coût de sa fonction.

Parallèlement, les DRH redéfinissent leurs prérogatives. Chez Kodak, par exemple, ils cumulent souvent plusieurs casquettes, à l'instar de Vincent Bianco qui, outre ses précédentes fonctions de directeur de la formation de Kodak France et Europe, vient de prendre la direction des ressources humaines de Kodak Pathé, l'entité commerciale et marketing du groupe. Surtout, pour écarter définitivement le spectre d'une « réduction de périmètre » ou encore de leur « transformation en de simples gestionnaires de bases de données », « les DRH ont vocation à se recentrer rapidement sur de nouvelles missions telles que le maintien de l'unité de travail, le coaching de salariés, l'entretien de l'employabilité, l'accompagnement dans des conjonctures inconnues de type croître et restructurer en même temps », estime Didier Morfoisse, de Siemens.

Comprendre le business

Quant aux cadres de la fonction ressources humaines, ils sont ramenés au rang de fournisseurs. Accor a accéléré cette évolution en créant, au niveau central, un département de « marketing RH », pour mieux « vendre aux opérationnels les prestations des RH », note Daniel Vandenbroucque, directeur de la gestion des carrières. Localement, les responsables RH ont tendance à devenir des « ingénieurs d'affaires ». « À l'instar des gestionnaires de grands comptes, ils sont chargés de recenser les besoins des salariés à l'échelle d'une zone géographique », explique Pascal Nicaud, de la Cegos.

Cette mutation est loin d'être acquise, comme l'illustre l'exemple de France Télécom : « Cela nécessite une forte impulsion du directeur régional, afin d'inciter la hiérarchie à discuter de ses objectifs avec son DRH et d'en faire un véritable business partner. Cela suppose aussi de leur part une réelle aptitude à comprendre les enjeux du business », reconnaît Bernard Merck, directeur délégué des ressources humaines de France Télécom. Pour accélérer les choses, ce dernier mise sur le recrutement de 250 responsables RH locaux, puisés dans le vivier des opérationnels.

Amputés des tâches administratives en aval, coincés en amont par des opérationnels décisionnaires, les cadres des RH ne sont pas au bout de leurs peines. « Ils n'ont plus de réelle visibilité », reconnaît Rogers Teunkam, directeur du recrutement au cabinet de conseil Mix RH, qui se veut néanmoins optimiste : « Cela ne devrait être qu'une phase transitoire, propice à la réflexion. » Un sentiment que partage Danielle Nguyen, jeune e-DRH de Schneider Electric : « Les responsables RH commencent à entrevoir ce qu'ils vont gagner dans cette révolution technologique. »

France Télécom croit aux plates-formes RH

Viviane « essaie d'assurer ». Après la fermeture de son ancien service après-vente, cette employée de France Télécom a rejoint la nouvelle plate-forme d'administration du personnel de Rouen, en Seine-Maritime. Avec, pour tout bagage, « un mois de formation théorique et une semaine en doublure avec un ancien de la fonction RH », Viviane a dorénavant en charge 300 salariés, fonctionnaires ou contractuels. Son nouveau métier ? Gérer au quotidien l'ensemble de leurs prestations familiales, maladie, accident du travail ou liquidation de retraite. « Toutes les réglementations ont beau être dans la machine, on a parfois du mal à suivre », reconnaît-elle. D'autant que, pour ne rien arranger, la plate-forme de Rouen a hérité du suivi des agents des DOM.

Pour Jacqueline, l'une des rares anciennes des RH à avoir accepté d'intégrer la plate-forme de Strasbourg – les autres ont été là comme ailleurs redéployées sur les services commerciaux –, ces difficultés n'ont rien d'étonnant : « La direction a sous-estimé la formation nécessaire compte tenu de la complexité des réglementations. » Tout en prédisant « une grande déperdition de cette compétence de proximité », Jacqueline a déjà pu mesurer les gains de productivité réalisés : « Dans l'ancienne organisation, une quinzaine d'employés s'occupaient de 2 000 fonctionnaires en moyenne. Aujourd'hui, chaque gestionnaire de la plate-forme a vocation à s'occuper de 400 salariés. » Reste que l'ambiance sur la plate-forme alsacienne était si mauvaise qu'à l'appel des syndicats SUD et CGT les salariés ont déclenché un mouvement de protestation hebdomadaire pendant six mois. Sans succès. Quant à la course à la productivité, elle ne faiblit pas : « Non seulement nous allons être bientôt transformés en centre d'appels, reprend Viviane, de Rouen, mais on nous laisse d'ores et déjà entendre que les 10 plates-formes ne seraient plus toutes en activité d'ici deux à trois ans. Une façon à peine déguisée de nous mettre en concurrence… »

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle