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Repères

Douche froide pour les salariés

Repères | publié le : 01.10.2001 | Denis Boissard

La rentrée prend, cette année, des allures de gueule de bois. Avant leur transhumance estivale, l'horizon des salariés était encore largement dégagé, hormis çà et là quelques nuages peu menaçants. Après une année 2000 booming, l'économie donnait certes quelques signes de faiblesse. Mais les plans sociaux de Danone, Marks & Spencer ou d'AOM-Air Liberté apparaissaient comme autant de cas particuliers, même si les pourfendeurs de la mondialisation avaient trouvé commode de les stigmatiser sous le vocable commun de « licenciements boursiers ». Les déboires des start-up et le recul boursier des entreprises de télécommunications étaient, eux, vécus comme la conséquence d'une correction inévitable après deux années d'engouement irrationnel.

Au retour des congés, c'est la douche froide. À la Bourse, le CAC 40 poursuit sa dégringolade et les valeurs technologiques ne sont plus les seules touchées. La petite rechute du chômage constatée en mai et en juin s'est confirmée, lourdement cette fois-ci, en juillet. La vaguelette des plans sociaux s'est transformée en déferlante qui frappe désormais bon nombre de secteurs d'activité, dans l'industrie notamment. Et les États-Unis ont vécu, le 11 septembre, une effroyable tragédie, qui aura sans nul doute des répercussions très négatives sur la santé de l'économie mondiale.

Malgré des perspectives de croissance qui restent en France encore honorables, un vent mauvais s'est engouffré dans beaucoup d'entreprises. Les yeux rivés sur des cours de Bourse qui s'effondrent ou qui stagnent désespérément, les nouveaux zélateurs de la « création de valeur pour l'actionnaire » (autrement dit du profit) sont au bord de la crise de nerfs. C'est l'heure du retour des cost-killers, des revirements stratégiques brutaux, des activités délaissées au motif qu'elles ne font plus partie du core business, des bouleversements d'organigrammes et de départements, des lampistes qui trinquent au sein des états-majors… autant de décisions à l'emporte-pièce dont on espère le miracle : le retour en grâce auprès des analystes financiers et des actionnaires. Et alors que l'activité ralentit, la pression reste toujours aussi forte pour atteindre l'objectif de rentabilité financière affiché, lequel doit – contre vents et marées – continuer à progresser d'une année à l'autre, comme la promesse en a été faite aux actionnaires.

Des exemples ? Au cœur de l'été, le patron d'Alcatel, Serge Tchuruk, crée un électrochoc chez ses collaborateurs en annonçant sa volonté de faire du groupe français de télécommunications une « compagnie sans usine ». Objectif visé : externaliser la production, en la cédant à des sous-traitants, pour se recentrer sur la recherche, le marketing et la vente. Et, au passage, s'exonérer des problèmes d'emploi dans les usines. Une annonce qui se veut un signal fort aux marchés, après les déconvenues du titre en Bourse. Raté ! Le lendemain, l'action progresse de 1,14 % pour s'effondrer, depuis lors, de… près de 40 % (avant le krach provoqué par les attentats du 11 septembre).

Chez Gemplus, jusque-là abonné aux croissances annuelles à deux chiffres, c'est la nouvelle direction mise en place par un fonds d'investissement américain, récemment devenu le principal actionnaire du leader de la carte à puce, qui met l'entreprise au bord de l'ébullition. Au management soft et consensuel du fondateur Marc Lassus a succédé une gestion à la hache : mise sur la touche des cadres « historiques » de la société, annonce de 560 licenciements, etc. Là encore, le miracle n'est pas au rendez-vous. Depuis son introduction en Bourse, en décembre dernier, l'action a perdu… plus de 60 % de sa valeur initiale (également avant la rechute qui a suivi les attentats).

Ce retour d'un management à la hussarde, récurrent en période d'incertitudes économiques, mais aujourd'hui exacerbé par les nouvelles exigences du capitalisme patrimonial, est potentiellement dévastateur pour la cohésion et la motivation du personnel des entreprises. Attention à ce que le fossé qui s'est creusé entre les cadres et leur direction lors des années de crise de la dernière décennie (et révélé par la mise en place des 35 heures) ne s'élargisse encore ! Entre une population de cadres avant tout mobilisée par l'amssélioration de la qualité des produits ou des services au client et des états-majors d'entreprise obsédés par les ratios de rentabilité financière – d'autant qu'ils partagent désormais, grâce aux stock-options qui leur sont généreusement octroyées, les mêmes intérêts que leurs actionnaires –, l'incompréhension est de plus en plus grande.

Auteur

  • Denis Boissard