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Enquête

PLUTÔT LE TGV OU LE TÉLÉTRAVAIL QUE DÉMÉNAGER

Enquête | publié le : 01.10.2001 | Sandrine Foulon

Quand le sur-mesure ne suffit pas à faire partir un cadre en Saône-et-Loire ou au Venezuela, les entreprises ont recours à des palliatifs : la mobilité fonctionnelle, les navettes en TGV ou en avion, voire le télétravail…

La Clayette, à l'ouest de Paray-le-Monial et à 50 kilomètres du Creusot, est un cauchemar pour un recruteur. Les consultants du cabinet Opteaman chargés de pourvoir un poste de responsable de maintenance dans cette charmante bourgade de Saône-et-Loire se sont fait quelques cheveux blancs. « L'offre était pourtant attractive, l'entreprise, un bel établissement de forge, se lamente l'un d'entre eux. Le salaire, digne d'une “rémunération parisienne” et la société offrait même une maison de fonction. » Las ! Quatre candidats finalistes se sont désistés au dernier moment. Pour nombre de chasseurs de têtes, pourvoir des emplois à Nevers, Sancerre, Sarrebourg ou Gap est synonyme d'ulcère à brève échéance. « Et même, faire venir un cadre de Grenoble à la Défense est loin d'être gagné, poursuit le consultant. Finalement, on a réussi à le persuader mais sa femme est restée sur place. »

Les salariés sont de plus en plus hostiles au changement et les entreprises, contraintes de mettre la main au portefeuille, le savent bien. L'une d'entre elles, implantée dans toute la France et à l'étranger, a fait ses comptes. Si, en dix ans, le nombre de ses salariés mobiles n'a pas varié d'une virgule, le coût de la mobilité en francs constants a, lui, oublé. « La surenchère existe aussi du côté de certains salariés courtisés. Ils n'hésitent plus à négocier et les exigences sont de plus en plus élevées », assure Nadine Huron, spécialiste de la mobilité chez Econova Lee Hecht Harrison. Chez EDF, la mobilité est encouragée financièrement. Faute de vocations spontanées pour travailler à la centrale nucléaire de Chooz, dans les Ardennes, l'entreprise offre deux mois de salaire supplémentaires à ceux qui acceptent de s'y « expatrier ».

Lorsque le rapport de force penche en faveur du salarié, les solutions sur mesure se multiplient. « Ce n'est pas sorcier, si l'entreprise ne s'attache pas à la dimension familiale, la mobilité est vouée à l'échec », assure Jean-François Carrara, directeur du cabinet Algoé. La quête de qualité de vie des nouvelles générations et la généralisation des doubles carrières compliquent d'autant la tâche des directions. D'où la multiplication des cabinets de relocation (à l'américaine) chargés d'accompagner les salariés et leurs conjoints dans toutes leurs démarches administratives, de recherche de logement, d'écoles pour les enfants… Assurer l'accueil d'un salarié muté varie ainsi entre 15 000 et 30 000 francs. L'une de ces agences, Move In, vient d'avoir l'idée de développer un réseau d'« accueillantes ». « Nous recrutons ces femmes en fonction de leurs qualités humaines et pour leur connaissance parfaite de la ville d'accueil, explique Bernard Martelet, le directeur. Elles accompagnent le nouvel arrivant et sa famille, les conseillent et leur donnent toute une série de bons tuyaux pour mieux s'intégrer. »

Une base de données pour le conjoint

Implanté dans une centaine de pays, champion toutes catégories de la mobilité géographique, le groupe Schlumberger planche continuellement sur les moyens de l'améliorer. « En marge de tous les accompagnements liés au logement, on travaille beaucoup sur la carrière du conjoint », souligne Annika Joelsson, diversity manager, un poste spécialement créé au sein du groupe pour traiter des problèmes de parité hommes-femmes, mais aussi de mobilité géographique. Confronté aux mêmes difficultés que Danone, Thales ou encore Air liquide, Schlumberger a eu l'idée de mettre en commun une base de données d'offres d'emploi à destination du conjoint. Une association et un site Internet, baptisé partnerjob.com, ont vu le jour en début d'année. Une dizaine de grands groupes participent à l'opération, sans compter les propositions d'entreprises locales. Chaque conjoint peut mettre en ligne son profil et avoir accès à la base de données via un mot de passe. Le groupe a également entamé une activité de lobbying auprès des gouvernements pour faciliter le travail du conjoint à l'étranger. « Dans des pays comme la Suède, la Grande-Bretagne ou encore le Venezuela, le permis de travail est automatique pour le conjoint. Mais, aux États-Unis et même en France, c'est beaucoup plus compliqué », poursuit Annika Joelsson, qui a également participé à la création en juillet dernier d'une nouvelle association, Permits Foundation, parrainée par de grands patrons et où siègent Shell, Bristish Telecom, Unilever, Siemens…

Troisième pôle d'action pour Schlumberger : les écoles. De plus en plus, les expatriés se heurtent au manque de place dans les écoles internationales, notamment à Paris. Le groupe invite donc ses salariés à s'investir dans ces établissements, à participer aux conseils d'administration, à essayer de communiquer les besoins bien en amont d'une mutation. Cela étant, toutes les entreprises sont loin de déployer autant d'énergie que Schlumberger ou Michelin, qui recherche des emplois pour les conjoints des nouveaux arrivés en Auvergne. Démunies face au peu d'engouement des Français pour l'inconnu, elles se tournent vers des solutions palliatives. Les équipes virtuelles se banalisent. Plus question, pour une mission ponctuelle, de lancer une noria de camions de déménagement. Grâce aux nouvelles technologies, il n'est plus rare de voir un chef de projet à Madrid travailler à distance avec des ingénieurs du bureau d'études à Hongkong ou à Dallas.

Pour éviter un clash lié à la mobilité, certaines sociétés doivent repenser leur organisation. Groupama a ainsi souffert des affres du changement. En 1993, l'assureur a décidé un mouvement de fusion de ses 64 caisses départementales pour arriver à une quinzaine de caisses régionales. Les caisses du Cantal, de la Corrèze et de la Creuse devaient se réunir dans un nouveau siège créé à Clermont. Refus en bloc des 270 personnes concernées. « Dans ces zones rurales, personne n'a l'habitude de bouger. Nous avons donc dû trouver une solution pour à la fois éviter la mobilité géographique et rester compétitifs », explique Bertrand Woirhaye, directeur de Groupama Pays verts, la nouvelle structure issue des trois départements. Physiquement réparti sur trois sites, Groupama Pays verts a réussi à ne constituer qu'une seule et même entreprise. « Nous avons réorganisé et spécialisé les trois pôles, poursuit Bertrand Woirhaye. Nous avons choisi d'éviter les doublons et de développer la comptabilité à Tulle, les services financiers à Aurillac et la réassurance à Guéret. En contrepartie d'un manque de mobilité géographique, il a fallu doper la mobilité fonctionnelle. » Avec des frais généraux inférieurs à ceux de la moyenne des autres caisses régionales, Groupama Pays verts essaie aujourd'hui d'être davantage transversal avec, sur chaque site, une véritable direction régionale.

Nuits à l'hôtel la semaine

Mais c'est surtout le développement considérable des transports qui sauve la mise des entreprises. Avec les navettes aériennes et le maillage toujours plus serré du TGV, une nouvelle race de turbocadres est née. « Le couplage des 35 heures et les progrès des transports sont en train de modifier les rapports à l'espace. Avant, les cadres suivaient ; demain, ce sont les entreprises qui vont devoir suivre », analyse Jean-Louis Guigou, délégué à la Datar. Nuits à l'hôtel pendant la semaine et retour au bercail le week-end, voire allers-retours quotidiens, sont au programme.

La SNCF compte déjà 21 000 abonnés au tarif forfait. Ces « navetteurs », plus nombreux chaque année, effectuent tous les jours le trajet entre leur domicile (en province pour 95 % d'entre eux) et leur travail. Au hit-parade, les liaisons Paris-Orléans, Paris-Rouen, Paris-Sens, Paris-Lille. Et, avec le TGV Med, la SNCF s'attend aussi à une augmentation du tarif fréquence, soit des déplacements très réguliers entre Marseille et la capitale. Comme de nombreux collègues, Jean-Yves Roure, 35 ans, délégué CFE-CGC pour la Fédération des industries électriques et gazières, est devenu un habitué du TGV. Il y a quatre ans, lorsqu'on lui a proposé ce poste à Paris, il habitait Annecy avec sa femme et ses deux enfants de 5 et 2 ans. Les logements parisiens coûtant trop cher, le couple a décidé de déménager à Rieu-la-Pape, au nord de Lyon. Levé tous les lundis à 5 h 30, Jean-Yves Roure attrape le TGV de 6 h 30 et arrive à 9 heures à Paris. Il dort à l'hôtel et rentre le vendredi soir. « Avec des enfants en bas âge, l'expérience est parfois douloureuse, mais c'est le prix à payer pour une meilleure qualité de vie. On est très vite à la campagne, à la montagne. Ma femme a trouvé un job sur place. » Parfois, ce « célibataire géographique », comme on les appelle chez EDF, combine un déplacement près de son domicile avec du travail à la maison. Devant la volonté de plus en plus marquée des salariés de ne plus sacrifier leur vie privée au profit du professionnel, la « birésidentialité », nouveau vocable très tendance, et le télétravail occasionnel pourraient bien porter un coup sévère à la mobilité géographique subie. Qui s'en plaindrait ?

PSA chouchoute ses expatriés
Le groupe automobile s'intéresse à la famille, mais pas au travail du conjoint

Pas de souci pour PSA, ses cadres ne demandent qu'à voir du pays. Il y a même plus de volontaires pour l'expatriation que de postes offerts par le constructeur automobile. Ce qui n'empêche pas le groupe d'accompagner ses 550 expatriés et leurs familles dans 46 pays. De plus en plus international, le groupe voit le nombre de ses expatriés – et « impatriés » – croître de 15 à 20 % par an. « Même si, tempère Bernard Million-Rousseau, responsable de la gestion et du recrutement des ingénieurs et cadres, nous essayons, dès que nous le pouvons, de recourir aux cadres locaux. »

Détachés à l'étranger pour une durée de trois ans en moyenne, les cadres et ingénieurs de PSA sont suivis par des gestionnaires de carrière qui veillent sur leur parcours professionnel mais aussi sur l'équilibre de leur vie privée. « Avant même le départ de l'expatrié, on s'attache à rencontrer le couple », relate Bernard Million-Rousseau, conscient des difficultés que peuvent rencontrer les conjoints dans un pays « exotique ». En revanche, le groupe affirme d'emblée ne pas s'occuper du travail de l'époux (se). « Si nous mutons un cadre à Francfort ou à Rennes, nous n'aidons pas son conjoint à retrouver un emploi. Notre politique est identique pour les pays lointains. »

Du coup, il n'est pas rare que certaines épouses, isolées, regagnent prématurément le bercail tandis que leur mari reste sur place. PSA fait tout de même en sorte que le conjoint conserve ses droits pendant la période d'expatriation – le groupe assure notamment les cotisations de retraite de base du conjoint. Les enfants ne sont pas oubliés. Là encore PSA s'assure du bon déroulement de leur scolarité. À Wuhan, où PSA a constitué un joint-venture avec une société chinoise pour le montage des Citroën ZX et Picasso, une « base vie » est sortie de terre pour abriter 37 expatriés et leurs familles soit 110 personnes au total. Une quarantaine de logements ont été construits ainsi qu'une école qui compte 30 enfants et 5 profs. À 350 kilomètres de là, à Xiang Fan, site d'une usine de mécanique, une petite école emploie également 2 profs.

« On essaie au maximum de faciliter le quotidien de ces salariés », souligne Jerôme Citroën, chargé de la gestion des détachés à l'international. Et surtout, condition pour continuer à inciter les salariés à faire leurs valises, on leur assure qu'ils ne seront pas « oubliés » à l'autre bout du monde. Le retour est préparé au moins un an à l'avance.

D'autant qu'il arrive que tout un bataillon d'expats regagnent en même temps la France après avoir passé le témoin aux salariés locaux.

Auteur

  • Sandrine Foulon