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Mieux que compter, planifier

Dossier | publié le : 01.10.2001 | M. Le B.

Souvent indispensables dans la mise en œuvre des 35 heures, les systèmes informatisés de comptage horaire ne simplifient pas forcément la tâche des services de ressources humaines. Tous les espoirs se portent désormais sur une nouvelle famille d'outils, les progiciels de planification, chargés d'optimiser les plannings des salariés.

Devinette. Quel est le comble des 35 heures ? De voir des salariés heureux de pouvoir pointer tous les matins. « En vingt ans de maison, je n'avais jamais pointé, témoigne cet agent du service achats de l'enseigne Leroy Merlin, où la réduction du temps de travail est appliquée depuis deux ans. Aujourd'hui, lorsque je reste plus tard, je sais que mes heures supplémentaires vont être comptabilisées et payées avec la majoration prévue dans notre accord de RTT. » En 1999, le groupe de distribution d'articles de bricolage s'est doté d'un système informatique de comptage du temps afin de se conformer aux obligations de la loi Aubry. Celle-ci impose, en effet, l'utilisation d'un outil de suivi « fiable et infalsifiable ». Chez Leroy Merlin, employés et agents de maîtrise utilisent des badgeuses, reliées à un logiciel qui enregistre les heures effectuées dans le cadre de l'annualisation du temps de travail. Pour autant, les syndicats n'ont pas crié au mouchard. Logique : les salariés ont, en contrepartie, obtenu des garanties. Ils peuvent visualiser leurs comptes sur des bornes accessibles en magasin et corriger les erreurs éventuelles. « Avant, tout reposait sur un système déclaratif contrôlé par l'encadrement, reconnaît Caroline Bogaert, chef de projet à l'administration du personnel. Aujourd'hui, nous sommes beaucoup plus objectifs. »

Mais ce scénario idyllique n'est possible qu'à la condition expresse d'impliquer les salariés dans le fonctionnement du système qui décompte leurs heures. Selon les fournisseurs de progiciels et les consultants, cette décentralisation de la gestion du temps sur le terrain est désormais dans l'air du temps, notamment grâce aux intranets. L'objectif affiché est bien sûr d'alléger la tâche des services de ressources humaines, déchargés de l'enregistrement des pointages, voire de limiter leurs effectifs.

Reste que, dans la pratique, les entreprises ont beaucoup de mal à confier le comptage horaire aux opérationnels. D'abord, parce que ce type d'organisation demande de mettre les bouchées doubles sur l'équipement informatique de l'entreprise. Ensuite, parce que les services RH ne sont pas tous prêts à abandonner l'importante prérogative que constitue le contrôle du temps de travail. « Toutes les informations saisies par les badgeuses ont une conséquence sur la paie, argumente Ghislaine Sauret, responsable gestion du temps de Freudenberg, un équipementier automobile qui utilise un progiciel de la SSII GFI. Or les responsables d'atelier n'en ont pas toujours conscience, d'autant qu'ils n'ont pas de formation appropriée. Du coup, nous préférons centraliser la gestion du temps au sein du service du personnel. »

Des habitudes de travail bouleversées

Si les gestionnaires de la paie hésitent à perdre de leur pouvoir, les opérationnels ne sont pas non plus toujours enclins à assumer de nouvelles responsabilités. Chez Ratier-Figeac Aéronautique, le système de pointage développé par la société Horoquartz est relié à la comptabilité analytique afin de calculer le coût par poste de travail. Tout est donc géré par le service RH : « Nous avons bien tenté de décentraliser la gestion du temps vers les départements de l'entreprise, explique Danielle Soulignac, responsable du service RH. Mais nous avons dû y renoncer, car l'encadrement, qui doit avant tout se concentrer sur ses soucis de production, n'avait pas le temps de s'y consacrer. »

Les entreprises s'en aperçoivent souvent tardivement : la mise en place d'un logiciel de gestion du temps est loin de se limiter à une simple opération technique. « Trop souvent les entreprises se lancent dans la mise en place d'un outil seulement après la signature de l'accord RTT, souligne Antoine Masson, chargé de mission à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Les entreprises oublient fréquemment que le système va aussi bouleverser les habitudes de travail. » L'informatique autorise en effet moins de souplesse et de dérogations aux règles établies. Difficile d'échanger ses horaires avec un collègue lorsqu'un emploi du temps a été paramétré. Ou de voir cinq minutes de retard répercutées en bas de la fiche de paie.

D'ailleurs, les conséquences de l'utilisation de l'outil de comptage font souvent l'objet de négociations sociales après la signature de l'accord 35 heures. C'est ce qui s'est passé chez le fabricant d'arômes et de parfums Mane et Fils, situé dans les Alpes-Maritimes. Cette entreprise familiale avait, à l'origine, opté pour l'annualisation du temps de travail du personnel de production. Mais, las d'accumuler les heures supplémentaires sans rémunération immédiate, les salariés ont réclamé l'abandon de ce système pour se faire payer plus vite.

Automatisé, le comptage du temps n'est pas pour autant simplifié. Au contraire. Plus l'accord RTT est complexe, plus les paramètres à intégrer dans le système sont nombreux et moins l'outil est facile à utiliser. Lors de la première année de « rodage » du logiciel, bon nombre de salariés de Leroy Merlin ont eu la mauvaise surprise de constater qu'il leur manquait des heures au compteur. « Et pour cause, explique un responsable du comité d'entreprise, ils avaient décompté les jours fériés de leur pointage, alors que ceux-ci l'avaient déjà été, automatiquement, lors du paramétrage du logiciel. » L'utilisation d'un outil de gestion du temps peut même se transformer en véritable casse-tête.

La SNCF, avec sa centaine de métiers différents et sa réglementation du travail spécifique, est bien placée pour le savoir. La société nationale a mis en place un logiciel maison, baptisé Idap (informatisation, décentralisation de l'application personnel), pour gérer la durée du travail de ses 140 000 agents sédentaires. Ce système contrôle les absences et les présences des salariés en fonction de leur emploi du temps prévisionnel et des informations transmises par leur chef d'équipe. Repos complémentaires, supplémentaires ou périodiques, reliquats de congés… Il a fallu pas moins d'une vingtaine de paramètres par agent pour intégrer toutes les subtilités de leur régime de travail. « Malgré tout, l'outil ne parvient pas encore à prendre en compte tous les cas de figure possibles, précise Pierre Meyer, responsable rémunération et temps de travail. Il y a des tas d'imprévus sur le terrain, notamment le changement d'une journée de service à la dernière minute, que nous ne pouvons intégrer dans le logiciel. Du coup, le bureau du personnel doit faire de nombreuses interventions manuelles. »

La correction des anomalies devient une tâche supplémentaire pour les services RH. Résultat : ces derniers perçoivent l'informatisation de la gestion du temps comme un mal nécessaire. « Si un salarié oublie de badger, son pointage est rejeté durant toute la journée », déplore le responsable du personnel d'un grand magasin qui utilise pourtant le progiciel d'un des plus grands prestataires du marché. Pour Marcel Richard, chez Mane et Fils, la pilule est dure à avaler. « Nous avons dû à la fois changer notre logiciel de paie, qui ne passait pas l'an 2000, et intégrer toute une usine à gaz dans un nouvel outil de gestion des temps. Une personne est mobilisée à temps plein pour corriger la centaine d'erreurs qui survient chaque jour. » Certains responsables RH se plaignent d'ailleurs de voir l'intérêt de leur travail diminuer : « Corriger le pointage est moins passionnant que de se pencher sur la jurisprudence sociale», ajoute Marcel Richard.

Des gains de productivité à la clé

C'est pourquoi, à côté des logiciels de comptage du temps, une autre famille d'outils commence à séduire les entreprises : les progiciels de planification, conçus pour établir automatiquement les plannings des salariés en fonction de leurs compétences, des fluctuations d'activité et des contraintes d'organisation. Il ne s'agit plus seulement de décompter le temps, mais de let de l'anticiper. Ce qui permet de réaliser plus facilement des gains de productivité. Depuis quelques mois, Fleury Michon utilise ainsi un progiciel d'aide à la constitution d'équipes. Le fabricant de brioches vendéen a attribué des qualifications principales et secondaires à chacun de ses salariés. Les plannings sont produits par l'informatique, selon les schémas de production, les aptitudes nécessaires à chaque poste et l'effectif présent. « Ce progiciel nous permet de gérer la polyvalence des salariés, argumente Jocelyne Ferchaud, chargée des systèmes d'information au service des ressources humaines. Mais l'outil peut aussi nous inciter à lancer des formations, puisque nous pouvons mettre en adéquation nos ressources et nos besoins. »

Les compétences des managers renforcées

Les progiciels de planification sont donc de véritables outils d'aide à la décision. À ne pas confier à n'importe qui : « Beaucoup les mettent entre les mains des personnels administratifs et non des managers, dont le métier est justement d'organiser les équipes », constate Bernard Girard, consultant associé chez ASG Conseil. Du coup, le potentiel des systèmes n'est pas toujours exploité au mieux. Selon Stéphane Bernard, chef de projet pour les centres d'appels de la Macif, un autre écueil consiste à penser que le programme informatique va faire le travail à la place du manager. Un progiciel commercialisé par la start-up Manatom vient d'être adopté par l'assureur. Son rôle : déterminer l'emploi du temps et les postes de travail des salariés selon les horaires d'ouverture des sites et les flux téléphoniques attendus. « L'utilisation de l'outil renforce au contraire les compétences des chefs d'équipe en matière d'organisation, car ils doivent avoir une connaissance très précise de leurs besoins », insiste Stéphane Bernard. Les managers doivent aussi savoir réajuster des plannings concoctés par la machine, qui ignore certains critères informels, comme les affinités entre les individus ou encore les difficultés passagères d'un salarié à assumer une tâche.

Dans ce domaine, les entreprises doivent se rendre à l'évidence : l'outil de planification idéal n'existe pas. Pour des raisons indépendantes des éditeurs de logiciels. Exemple, l'opticien Grand Optical a mis en place au début de l'année un progiciel TempoSoft afin de prévoir le nombre de vendeurs nécessaires dans ses magasins, se fondant notamment sur les chiffres d'affaires réalisés les années précédentes, aux mêmes périodes de référence. « Mais nous nous sommes rendu compte que le phénomène des 35 heures a considérablement fait évoluer les flux de clientèle en magasin, indépendamment des critères de saisonnalité, explique Hervé Gallon, le DRH. Nous n'avons pas encore les moyens de parvenir à une solution fiable. »

Dernière difficulté : le programme informatique est incapable de vérifier l'équité des plannings. Auchan, qui utilise notamment un logiciel pour établir les emplois du temps par trimestre de ses caissières en a fait l'expérience. « Le souci est de trouver un équilibre entre le besoin de flexibilité et les souhaits individuels, admet Guy Guamis, responsable organisation au sein de la DRH. L'outil a ses limites, et le chef de caisse doit intervenir, par exemple pour rétablir l'égalité dans l'attribution des nocturnes. » Mais le résultat n'est pas toujours satisfaisant pour les salariés, selon une représentante du personnel du magasin de Bagnolet : « En réalité, les utilisateurs des outils de planification ne sont jamais neutres, remarque-t-elle. Rien ne les empêche d'opter pour la solution qui les arrange. D'affecter par exemple tous les dimanches à une personne en CDD, ou en période d'essai, parce qu'elle n'est pas en position de refuser. En plus, ils peuvent désormais s'appuyer sur l'outil informatique pour justifier des pauses de trois heures, qui ne sont pas considérées comme du temps de travail effectif. » Mais comment le prouver ?

Auteur

  • M. Le B.