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Débat

L'accord patronat-syndicats sur la négociation collective est-il innovant ?

Débat | publié le : 01.10.2001 |

Moins controversé que celui sur l'assurance chômage, moins attendu que celui sur la formation professionnelle, l'accord sur les voies et moyens de la négociation collective ratifié en juillet par le patronat et quatre syndicats est pourtant l'un des actes majeurs de la refondation sociale. Car il traite d'un sujet capital, la place respective de la loi et du contrat. Son contenu est-il à la hauteur des enjeux ? Trois experts répondent.

« Les partenaires sociaux font un petit pas dans la direction d'un principe majoritaire. »

HENRI ROUILLEAULTPrésident de la commission du Plan « RTT : les enseignements de l'observation ».

Après la « position commune » des organisations d'employeurs et de quatre confédérations de salariés et le lancement d'un chantier par le Premier ministre, la négociation sur les règles de la négociation est désormais incontournable. À partir du champ significatif de la RTT, le rapport de la commission du Plan propose un diagnostic.

La crise de régulation du social présente un double aspect. Le premier est la question des rôles respectifs du gouvernement, du Parlement et des partenaires sociaux. Concilier deux principes constitutionnels, le fait que les travailleur participent à la détermination de leurs conditions de travail et qu'il revient à la loi de définir les principes fondamentaux du droit social, ne vapas de soi. Les tensions n'ont cessé de croître à ce sujet et sur la question – connexe – de la gestion des organismes paritaires, si bien que l'ensemble des - acteurs cherche maintenant à sortir de l'impasse. Second aspect: le maquis croissant de la norme. Le Code du travail s'épaissit à vue d'œil. Le législateur, qui se méfie des négociateurs, entre dans un détail qui va bien au-delà des principes fondamentaux. Il y a ainsi, dans notre pays, à la fois « trop de loi et trop de dérogation ».

Une double transformation est indispensable. À la nécessité d'une consultation systématique des partenaires sociaux en amont, la position commune ajoute l'idée d'une instance indépendante chargée de s'assurer que les accord n'enfreignent pas le domaine du législateur. Il est important que les employeurs aient renoncé à l'idée d'une loi qui serait subsidiaire à l'accord d'entreprise, ce qui n'était ni réaliste ni souhaitable. La position commune suggère en outre de distinguer un domaine propre au législateur, un domaine propre aux interlocuteurs sociaux et un domaine partagé. Le rapport du Plan propose dans le même sens un processus de réécriture et de simplification du Code du travail : le recentrage de la loi sur les principes et les mesures d'ordre public social non susceptibles de dérogation, l'adaptation de la loi relevant de la négociation collective et, par défaut, d'un décret supplétif. La question de la légitimité des accords est inséparable de celle de l'équilibre et de la représentativité des signataires. La CGT et la CFDT posent depuis longtemps la question des accords majoritaires. Le rapport du Plan propose d'avancer dans la direction d'un principe majoritaire; la position commune fait un petit pas dans cette direction. L'accord de branche supposerait qu'il n'y ait pas d'opposition d'une majorité d'organisations. À l'échelle de l'entreprise, en l'absence d'accord de branche, l'accord collectif devrait être ratifié par la majorité du personnel, ou ne pas recueillir l'opposition d'organisations représentant 50 % des votants.

La dynamique des accords de branche favoriserait-elle alors les accords majoritaires ou bloquerait-elle le développement de ce principe ? Les confédérations syndicales signataires sont divisées sur ce point. Bien que le législateur n'y soit pas tenu, il serait logique qu'il permette à l'expérimentation majoritairement proposé pour trois ans de se développer. Il pourrait y ajouter des élections de représentativité le même jour dans toutes les entreprises d'une branche, favorisant l'expression syndicale.

« Sur la signature des accords et la représentativité, le texte ménage les positions acquises. »

MARIE-LAURE MORIN Directrice de recherche en droit du travail au CNRS-Lirhe, université de Toulouse I.

La « position commune » des partenaires sociaux fait des propositions inédites pour la modernisation de notre système de négociation. Si certaines sont fort utiles (PME, droit d'initiative, etc.), si d'autres sont discutables (relations branche-entreprise) ou très en deçà des enjeux (dialogue social territorial), sur les deux questions majeures de la signature des accords et de la représentativité, le compromis trouvé traduit plus un souci de ménager les positions acquises qu'un accord sur ces réformes nécessaires.

La règle selon laquelle un accord est valable dès qu'un seul syndicat représentatif l'a signé confond la représentativité pour négocier, qui doit fonder la légitimité de la représentation, et la représentativité pour conclure, qui doit assurer celle de l'accord. Sur le premier point, la définition d'un seuil d'audience pour participer aux négociations, mesuré par des élections de représentativité dans le respect du pluralisme syndical, donnerait plus de légitimité et de réalité à la représentation des salariés. Quant à la conclusion de l'accord, le pas vers l'accord majoritaire, dans l'entreprise, conduit à mettre sur le même pied la majorité d'engagement et la majorité de refus (droit d'opposition élargi). Il s'agit certes d'une solution pragmatique pour éviter des blocages ; des branches (sauf si trois syndicats s'y opposent) ou des entreprises pourront opter pour la majorité positive et faciliter la généralisation de cette solution. Mais, majorité d'engagement et majorité de refus n'ont pas du tout la même portée. La première change la donne : elle pousse à l'union, elle permet de tester la volonté de négocier, elle est un gage d'équilibre et de force de l'accord, de sa légitimité comme source de règle. La seconde entretient la division syndicale, les surenchères et la fragilité de la négociation.

Représentativité et majorité sont en tout cas déterminantes pour élargir la place des normes négociées par rapport aux normes publiques. Sous cette condition, on peut souhaiter que la loi s'en tienne aux principes fondamentaux d'ordre public et que l'accord serve de décret d'application, sauf décret supplétif. Mais au lieu de créer une instance indépendante et un droit d'initiative, avec un souci affirmé d'autonomie, ne faut-il pas plutôt, dans le respect de l'indépendance et des compétences des uns et des autres, organiser la concertation entre le Parlement, garant des droits fondamentaux, le gouvernement et les partenaires sociaux, en amont des normes publiques ? En Europe, sauf en France et en Grande-Bretagne, des procédures variées de concertation ont permis la signature des pactes sociaux pour faire face aux changements. N'est-ce pas cette direction que nous devons suivre ?

« Il faut approuver le pragmatisme du texte sur le thème de la légitimité des accords. »

GILLES BÉLIER Avocat en droit social, cabinet Bélier et Associés.

Dans la « position commune » du 16 juillet, deux thèmes retiennent l'attention par leur caractère novateur. Le texte se livre tout d'abord à un partage des fonctions entre la loi et la négociation collective : au législateur revient la détermination des principes généraux du droit du travail, aux partenaires sociaux incombe la négociation des modalités de leur mise en œuvre aux niveaux appropriés, le décret ou la loi n'intervenant qu'en cas d'échec des négociations. Il retient aussi l'idée d'une consultation préalable des partenaires sociaux avant toute initiative parlementaire en matière sociale, sur son opportunité, et, le cas échéant, sur le traitement du sujet par la négociation. Partout apparaît l'idée qu'une fois un accord conclu, le législateur, s'il devait intervenir, devrait en respecter l'équilibre. Si cette exigence se conçoit, elle se heurte à la souveraineté du législateur. La majorité, dans une démocratie politique, fonde une capacité à agir selon les orientations présentées au corps électoral alors que la majorité, dans la démocratie sociale, fonde essentiellement la légitimité du compromis négocié. Cette contradiction s'oppose à ce que le législateur soit, par avance, tenu par le résultat des négociations s'il considère que les objectifs qu'il s'est fixés ne sont pas satisfaits par le compromis négocié.

La position commune introduit également des procédures visant à assurer une plus grande représentativité dans la conclusion des accords, valorisant ainsi leur légitimité. Confrontée à la réalité et à l'histoire des relations sociales, à la diversité des taux d'implantation syndicale, l'idée simple de majorité doit être abordée avec prudence; des accords signés avec une ou des organisations syndicales représentant une forte audience dans l'entreprise, par exemple 30 %, peuvent tout autant assurer une réelle légitimité du compromis négocié, quitte à conserver le droit d'opposition pour les accords dérogatoires. Le pragmatisme de la position commune doit donc être approuvé. Celle-ci laisse à la négociation de branche le choix des procédures pour la validation des accords d'entreprise dans la branche : accords majoritaires ou n'ayant pas fait l'objet d'une opposition des organisations syndicales totalisant la majorité des votants (et non plus des inscrits) aux dernières élections professionnelles. À défaut d'accord de branche, les parties définiront elles-mêmes les conditions de leur légitimité entre ces deux solutions.