Par Cécile Dejoux, professeur des universités au Cnam et l’ESCP BS, directrice de l’observatoire du futur du travail, des transformations managériales & RH, le Learning Lab Human Change.
Désengagement, « Quiet Quitting », besoin de réenchanter le travail, recherche de sens, semaine de 4 jours, tous ces sujets sont au cœur des réflexions des dirigeants.
Afin d’identifier les tendances éphémères qui vont faire pivoter les entreprises, nous avons mené une étude sur l’évolution des attentes des collaborateurs et des pratiques d’engagement au sein de l’observatoire du futur du travail, du management et des RH, le Learning Lab Human Change du Cnam, cofondé avec Julhiet Sterwen et Cornerstone, et nous montrons que ce sont les entreprises qui investissent dans une stratégie et des formations sur le management par le « care » qui obtiennent les meilleures performances et engagement.
Le management par le care, ce n’est ni du coaching, ni du feedback, ni de l’empathie, ni du codéveloppement, ni de la médiation. Il s’agit de donner une méthodologie et les outils aux collaborateurs et aux équipes pour qu’ils prennent soin d’eux, se concentrent sur l’instant présent, apprennent à faire des pauses utiles qui leur donnent de l’énergie à transmettre aux autres. Nous le définissons de la façon suivante : « C’est un état d’esprit positif et une nouvelle façon de travailler dans un monde numérique, hybride, collaboratif et surtout, incertain. Ce type de management valorise une relation individualisée avec chacun et part du postulat que le collaborateur doit d’abord porter attention à sa santé physique, mentale, émotionnelle au travail, puis à celle de ses collaborateurs en s’appuyant sur un modèle de management, nommé les 5R. » Nous proposons un mooc sur ce sujet avec de nombreuses interviews1.
Le management par le care se décompose en trois grands blocs : le self care, le team care, le planet care (responsabilité sociale et environnementale – RSE).
• Le self care : sans prendre soin de soi (self care), nul ne peut décemment prendre soin des autres. En prenant soin de soi, on gagne en résilience, en empathie et on apprend à réguler ses émotions et ses interactions avec autrui. Grâce à cet apprentissage et cette attention de soi, un manager est en mesure de prendre soin de ses équipes (team care) et, pour l’organisation, d’élaborer une méthodologie nouvelle de bien-être, de psychologie positive et d’amélioration des pratiques managériales. À ces deux volets se rajoute l’aspect RSE pour que chaque manager devienne socialement responsable (planet care).
Les managers et les acteurs du learning ont une nouvelle responsabilité : former les collaborateurs au self care, que chaque individu sache gérer ses vulnérabilités et développer ses talents dans un monde hybride.
Prendre soin de soi peut s’avérer plus difficile qu’il n’y paraît. Alors que l’empathie est célébrée comme une vertu, l’autocompassion et le fait de se concentrer sur soi-même est souvent assimilée à tort à l’estime de soi et considérée comme égoïste et égocentrique. L’autocompassion se définit comme le fait d’être bienveillant envers soi-même dans les moments où l’on se sent inadéquat, en échec ou en souffrance (Neff & Vonk, 2009).
De nombreuses recherches scientifiques démontrent ses effets bénéfiques sur la santé et la performance des individus (Kirschner et al.). Elle représente notamment un élément critique pour notre bonne santé mentale.
Pour apprendre à prendre soin de soi, citons la psychologie positive et le changement de mentalité que cela induit. Étude scientifique du fonctionnement optimal de l’être humain, elle vise à découvrir les facteurs qui permettent aux individus, au groupe et aux organisations de s’épanouir (Seligman, 1998). Cet épanouissement peut s’apparenter à la quête de bien-être et de bonheur de beaucoup d’entre nous. Les psychologues y associent cinq facteurs essentiels : les émotions positives, l’engagement, le sens, les relations et l’accomplissement (souvent appelés Perma). Pour prendre soin de soi, il faut changer sa relation au monde et à soi-même. C’est un véritable travail de neuroplasticité. À l’image d’un sportif de haut niveau, le bonheur et les émotions positives ne sont pas des acquis.
Le self care permet d’apprendre à gérer son énergie (corps, émotions, mental et esprit) et à prêter attention au moment présent et à ses actions sans jugement (« mindfulness »). Pour se recharger, les individus doivent reconnaître les coûts des comportements qui épuisent l’énergie, puis prendre la responsabilité de les changer, quelles que soient les circonstances auxquelles ils sont confrontés.
Pour l’énergie mentale, tout individu doit apprendre à clarifier ses priorités et à établir des rituels pour trois catégories : ce qu’ils font le mieux et apprécient le plus au travail ; allouer du temps de qualité et être présent pour les aspects les plus importants de sa vie (travail, famille, santé, etc.) ; et aligner ses valeurs personnelles avec ses comportements quotidiens et son travail (Schwartz, 2007). Ce travail sur soi est devenu d’autant plus important au vu du nombre de burn out et de problèmes de santé mentale évoqués par les collaborateurs. Il faut également apprendre à s’aimer pour renforcer sa résilience et savoir gérer les coups durs.
• Quand le self care est complété par le team care, alors l’engagement et la performance de l’équipe sont au rendez-vous.
Tout collaborateur peut s’épanouir en équipe si les bonnes conditions sont réunies. Parmi celles-ci, mentionnons la reconnaissance, le respect et l’importance d’avoir un projet collectif, qu’il soit directement ou indirectement lié à son travail. Dans ce sens, le team care, au même titre sur le self care, doit faire partie de l’apprentissage d’un manager. Il est nécessaire pour les organisations d’effectuer une démarche de qualité de vie et de conditions de travail qui favorise la participation des collaborateurs dans toutes les dimensions du travail et au sein d’une équipe. Au lieu d’isoler l’individu en lui offrant des cours de yoga, des sessions individuelles de bien-être et de coaching, qui sont certes bien accueillis, il faut aller au-delà de cette vision individualisée pour offrir un accompagnement à l’échelle d’une équipe et de l’organisation. Il faut notamment reconnaître le rôle du collaborateur au sein d’une équipe et d’une organisation et ses contributions à une mission commune. C’est parce qu’il développera des liens sociaux qu’un salarié se sentira engagé vis-à-vis de ses collègues, de son manager, d’une équipe et de son entreprise. Or le travail à distance, voire hybride, augmente l’autonomie et diminue les liens sociaux.
Pour que le collectif s’épanouisse, nous avons élaboré et testé un modèle à partir de data et workshop. Nous montrons qu’une équipe est efficace et que chacun est épanoui si les 5R sont appliqués : rôle, routines, règles, respect et reconnaissance. Chacun doit avoir un rôle contributif au projet. Des routines doivent être coconstruites par le groupe et constitueront la culture et les spécificités organisationnelles du projet. Des règles organisationnelles doivent être choisies, ainsi que des notions de respect. Enfin, chacun doit être reconnu dans sa contribution au projet et au collectif. Si l'un de ces « R » est absent, alors l'engagement et la performance peuvent être en risque.
Ainsi, dans le nouveau « normal », le self care et le team care sont les deux briques de l’engagement, de la performance individuelle et collective et du plaisir de travailler.
(1) Inscrivez-vous à la newsletter http://ceciledejoux.com pour avoir les informations en temps réel. Le mooc « Manager par le care pour engager les équipes » a démarré le 15.11.22 sur Fun-Mooc.fr.