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Briser l’omerta des morts au travail

Idées | Livres | publié le : 01.05.2023 | Lydie Colders

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Briser l’omerta des morts au travail

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Dans « l’hécatombe invisible », Matthieu Lépine raconte les drames de salariés tués au travail. Un appel à sortir du déni face à ce fait social qui augmente en France.

En 2018, dans les Vosges, Hugo, apprenti bûcheron de 22 ans, est mortellement percuté lors de la chute d’un conifère de 18 m de haut. Au moment de l’abattage de l’arbre, il se situait dans la zone dangereuse. « Aucun périmètre de sécurité n’a été matérialisé au sol. » Un an et demi après ce drame, l’entreprise, reconnue coupable d’homicide involontaire par imprudence écopera de 10 000 euros d’amende avec sursis et 1 000 euros pour non-respect du périmètre de sécurité. « Voilà ce que vaut la vie d’un apprenti », déplore Matthieu Lépine.

Face au déni politique, cet enseignant en histoire-géographie s’est lancé depuis quatre ans dans un recensement de ces accidents mortels sur Twitter, interpellant le ministère du Travail. Il reprend ces histoires terribles dans son livre. Une façon de « briser le silence qui entoure les milliers d’accidents du travail graves ou mortels qui surviennent chaque année en France ». Avec plus de 1 200 morts par an dus à des accidents ou des maladies du travail, et un taux d’incidence « deux fois supérieur à la moyenne européenne », tous les voyants sont au rouge en France en matière de mortalité au travail ». Une situation inacceptable pour l’auteur.

Les accidents ont une cause

Jeunes, ouvriers du BTP, de l’industrie ou agriculture, les récits de morts tragiques s’enchaînent dans le livre. Jusqu’à la difficulté des familles pour faire reconnaître la responsabilité de l’employeur… « Aucun accident du travail n’est le fruit du hasard. Il résulte toujours d’un manque. Manque de formation, d’information, d’évaluation des risques, de respect de la législation en matière de sécurité et de santé », assène Mathieu Lépine. Comme en 2020 en Mayenne : un ouvrier d’une entreprise de mécanique de précision décède en utilisant une vieille machine sans bouton d’arrêt d’urgence. « Le col de son vêtement a été happé par la machine et l’entraîne avec lui. Il est asphyxié en l’espace de quelques instants ». L’entreprise sera condamnée à 20 000 euros d’amende par le tribunal correctionnel pour avoir conservé un équipement vétuste, plus aux normes…

Dans cette analyse engagée, Matthieu Lépine dénonce un monde du travail dans lequel « la sécurité passe souvent après la rentabilité ». Critique « la précarité, la négligence de la formation, le recours massif à une main-d’œuvre intérimaire ou sous-traitante, la promotion de l’ubérisation », augmentant les risques d’accidents et déresponsabilisant les entreprises. L’enseignant s’inquiète de politiques « ne cessant de fragiliser » la protection des travailleurs, citant la suppression des CHSCT, la réduction des effectifs de l’Inspection du travail, qui ont chuté « de 13 % entre 2014 et 2018 ». La prévention ne fonctionne pas, juge-t-il : tarification des accidents du travail, sous-déclaration d’accidents (il cite le cas de Michelin), tout est à revoir. Il sonne l’alerte : « 8 000 décès supplémentaires sont à craindre d’ici 2030. Va-t-on continuer à fermer les yeux face à cette situation ? »

« L’hécatombe invisible »,

Matthieu Lépine, Éd. du Seuil, 208 pages, 18 euros.

Auteur

  • Lydie Colders