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« Une réflexion collective est à mener pour faciliter les parcours »

À la une | publié le : 01.05.2023 | Dominique Perez

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« Une réflexion collective est à mener pour faciliter les parcours »

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Béatrice Delay, cheffe de projet à la direction de l’évaluation chez France Compétences, a piloté l’étude dédiée à la reconversion professionnelle parue en février 2022.

Dans quel contexte l’étude dédiée à la reconversion professionnelle a-t-elle été réalisée ?

Béatrice Delay : Suite à la réforme de 2018 et aux différents plans de relance consécutifs à la crise sanitaire, plusieurs outils de soutien et d’appui à la mobilité des personnes ont été créés, mobilisés, ou reconfigurés au service des transitions professionnelles, le CPF, le CEP, les bilans de compétence, le PTP, (projet de transition professionnelle) transco… Autant d’instruments de la politique publique qui ont été placés, ou replacés dans le paysage. Notre idée de départ, avec cette étude, était de contribuer à la réflexion autour de ces différents outils, mais avec un angle un peu original par rapport aux champs traditionnels d’évaluation des politiques publiques. Le propos n’est pas d’évaluer un dispositif, mais de partir de l’expérience d’individus qui ont connu une reconversion, qui ont changé de métier ces cinq dernières années, quelles que soient les ressources sur lesquelles ils se sont appuyés. Ce qui a permis de faire émerger un certain nombre d’éléments qui n’étaient pas forcément intuitifs ou attendus ou, au moins, qui contrastaient avec la représentation un peu spontanée que l’on pouvait se faire de la reconversion.

Par exemple ?

B. D. : Nous avons souvent une représentation un peu linéaire, séquentielle, monolithique, de ce qu’est la reconversion. C’est-à-dire « je nourris un projet depuis très longtemps, j’y réfléchis dans l’absolu, de manière décontextualisée, en me faisant plus ou moins accompagner, puis je cherche une formation qui me permettrait d’acquérir des compétences ou de combler les écarts pour accéder à ce changement de métier, puis, pour finir, je cherche un emploi en phase avec mon nouveau profil ». Or, nous nous sommes aperçus que les parcours sont beaucoup plus variés, diversifés, loin de cette configuration monolithique que l’on pouvait présupposer. C’est probablement l’un des résultats les plus marquants de l’étude, en tous les cas qui vient complexifier l’idée première de ce qu’est une reconversion, des ressources qu’elle mobilise, des temporalités dans lesquelles elle s’inscrit, et des catégories d’acteurs qu’elle va mobiliser. Nous avons distingué ces changements de métier, isolé les invariants de ces expériences, mais aussi toute leur hétérogénéité.

À travers les expériences de ces individus, nous avons pu identifier des pistes de réflexion à adresser aux différentes structures d’appui et d’accompagnement à la reconversion, en mettant en évidence ce qui fonctionnait bien, ce qui correspondait aux attentes et ce qui, au contraire, était plutôt générateur d’insatisfaction. La nécessité est de s’adapter en permettant un accompagnement individualisé qui s’ajuste aux problématiques singulières de chaque personne, non rabattable sur une logique d’aspiration unique. Cette diversité apparaît aussi bien au moment de l’émergence du projet de reconversion, qu’à celui de « l’atterrissage », la réalisation du projet. Au passage, nous pouvons remettre en question aujourd’hui la vision manichéenne entre reconversion subie et choisie. L’un des moteurs, aujourd’hui très puissant, des décisions de reconversion est de « fuir » une situation professionnelle. Bien sûr, il y a d’autres facteurs, mais l’insatisfaction est toujours très présente.

Certains dénoncent un manque de lisibilité des différents dispositifs, est-ce pour vous un frein aux changements de métier ?

B. D. : Certes, le paysage, à l’image de celui de la formation professionnelle, est complexe, prolifique, avec une multitude d’acteurs, de dispositifs, et peut nécessiter un accompagnement rien que pour le comprendre. Pour autant, si on regarde de près quelles ressources les individus mobilisent pour réaliser leur projet, on se rend compte, notamment en ce qui concerne le financement de la formation, que les réponses sont très variées, plurielles, qu’elles sont mobilisées par des stratégies de « bricolage » individuels qui, finalement, peuvent fonctionner. Si les personnes utilisent les dispositifs labellisés ou étiquetés « reconversion professionnelle », du type PTP, ils vont aussi utiliser d’autres outils qui n’étaient pas fléchés, à l’origine, purement sur cet objectif. Par exemple la VAE, le CPF, les contrats de professionnalisation… on s’aperçoit que, finalement, aucun dispositif n’occupe une position prépondérante dans les parcours. Tout cela semble effectivement d’une grande complexité, mais les pistes de réflexion sont sans doute moins à chercher vers une restriction « quantitative » des dispositifs et des financements possibles mobilisés, que vers une meilleure articulation de ces dispositifs, en permettant à l’individu de se décharger de l’ingénierie financière. Donc la question n’est pas forcément de réduire ce nombre d’outils, mais d’en faciliter la connaissance et la pertinence par rapport à leur projet. Il y a certainement quelque chose à construire autour d’un droit à la reconversion, ou qui pourrait permettre de mobiliser de nombreux outils aujourd’hui dispersés et d’en simplifier l’accès. Ce besoin d’information ne va pas toujours de pair avec un besoin d’accompagnement. Certaines personnes sont autonomes dans leurs parcours et veulent le rester, mais, à un moment, peuvent avoir juste besoin de la bonne information pour faciliter leur démarche.

Vous mettez en évidence que pour trois personnes sur quatre en reconversion, l’entreprise « était une figure absente ». Ce rôle ne devrait pas être accru ?

B. D. : Il y a effectivement une responsabilité de l’entreprise, à laquelle on ne pense pas forcément. D’abord en matière de politique préventive, l’étude met en évidence que l’intensité de l’appréhension de se reconvertir est très marquée chez des personnes qui ont connu très peu de changements au cours de leur vie professionnelle, cantonnées au même poste et desquelles l’entreprise a très peu entretenu les compétences, peu confrontées aux dynamiques d’évolution des compétences, d’apprentissage… L’idée de se reconvertir est assez anxiogène pour ces personnes, et l’entreprise a la responsabilité de favoriser pendant leur carrière un développement de compétences chez ces personnes qui se sentent « incapables » de réaliser un changement, parce que non familiarisées à cette dynamique. D’autre part, un des leviers à creuser pour accompagner les reconversions serait de changer de braquet, en considérant que l’entreprise de départ n’a pas forcément d’intérêt à accompagner un salarié qui désire la quitter, c’est donc de ce point de vue une figure absente ; en revanche l’entreprise d’arrivée pourrait être bien davantage mobilisée et placée au cœur des dispositifs. On s’aperçoit qu’elle joue un rôle majeur, notamment dans des logiques de reconversion rapides. La reconversion ne s’opère pas toujours suite à un accouchement très long, mais apparaît parfois à l’occasion d’une opportunité, pas forcément anticipée. Elle peut être une réponse à des problématiques de pénurie de main-d’œuvre, avec des entreprises prêtes à accueillir des personnes qui ne sont pas directement opérationnelles, sur des critères d’appétence, de savoirs comportementaux et qui peuvent investir pour des formations plus « techniques »… Autre élément, qui est insuffisamment développé aujourd’hui, même si cela commence : un des principes vertueux, un des motifs de satisfaction des candidats, c’est la possibilité de se confronter à l’activité réelle du travail, dans leur parcours de reconversion. Les formules d’immersion qui permettent d’entrer dans le concret d’un métier, permettent de déconstruire certaines représentations erronées, d’infirmer ou de conforter un projet… Ces périodes pourraient, beaucoup plus qu’elles ne le sont aujourd’hui, être utilisées dans une logique « exploratoire ». Certaines personnes n’ont pas forcément d’objectif d’atterrissage précis et pourraient voir germer des idées et ouvrir le champ des possibles. Il y a une réflexion collective à mener de remise à plat des outils, quelque chose à chercher pour améliorer l’attractivité des entreprises d’arrivée.

Auteur

  • Dominique Perez