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Surveillance vidéo des salariés : la preuve illicite devient néanmoins admise

Idées | Juridique | publié le : 01.04.2023 |

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Pascal Lokiec : Surveillance vidéo des salariés : la preuve illicite devient néanmoins admise

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Depuis une vingtaine d’années, le droit du travail prête une attention particulière aux dispositifs de vidéosurveillance des salariés. Si les conditions de licéité de ces dispositifs semblent aujourd’hui clarifiées, on notera avec intérêt un arrêt tout récent de la Cour de cassation sur la possibilité de produire dans un procès une preuve illicite obtenue par un tel procédé. Aussi surprenant que cela puisse paraître, une preuve illicite est, sous certaines conditions, admissible.

Les conditions de licéité de la vidéosurveillance

La surveillance « physique » du salarié par son supérieur hiérarchique n’est pas un vestige du passé et est parfaitement licite, sous réserve qu’elle ne se transforme pas en une filature le conduisant à se poster devant le domicile de son salarié1 (le recours à un détective privé est évidemment interdit2). La surveillance « technologique » est bien davantage contrôlée, en raison notamment des possibilités qu’elle offre en matière de collecte de données personnelles.

Comme souvent, en droit, deux séries de règles s’appliquent. Les premières sont des règles de procédure. L’employeur doit, d’une part, informer et consulter les représentants du personnel ; d’autre part, informer préalablement et individuellement les salariés. L’information des salariés doit porter au minimum sur l’identité du responsable du dispositif et des destinataires des images (par exemple, le service RH), la durée de conservation des images, le fondement juridique du dispositif, l’objectif de la surveillance, les droits du salarié (droit d’accès…) et le droit d’introduire une réclamation auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Si le dispositif n’a pas été installé dans l’objectif de contrôler l’activité des salariés au cours de l’exercice de leurs fonctions, cette information préalable n’est pas nécessaire. C’est ce qui a été jugé à propos d’une salariée filmée en train de dérober un porte-cartes oublié par un client, alors que le dispositif était destiné à surveiller la sécurité du magasin, non les employés3. Même solution à propos d’un salarié coupable de pratiques de voyeurisme dans les toilettes pour femmes ; le dispositif, bien qu’il ait permis de visualiser la porte des toilettes, avait été installé pour la sécurisation d’une zone de stockage qui n’était pas ouverte aux salariés4. Par ailleurs, depuis l’adoption du règlement RGPD, il n’est plus nécessaire de faire une déclaration préalable à la Cnil.

Les secondes sont des règles de fond. Toute restriction apportée par l’employeur aux droits fondamentaux de ses salariés doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, prévoit le Code du travail dans l’une de ses dispositions les plus emblématiques (article L. 1121-1). Comment se décline cette exigence générale en matière de vidéosurveillance, sachant que les images captées sont potentiellement attentatoires au droit des salariés au respect de leur vie personnelle ? La Cnil, particulièrement vigilante sur ces questions, précise que seules les entrées et sorties des bâtiments, les issues de secours et les voies de circulation peuvent être filmées ; on ne peut donc pas filmer un salarié à son bureau, sauf circonstances particulières, ce qui serait le cas s’il manipulait des matières dangereuses ou de l’argent (ce à la condition d’éviter de filmer son visage). Évidemment, le droit au respect de la vie privée interdit à l’entreprise de vidéosurveiller les lieux de pause, les toilettes (sous réserve du cas très particulier évoqué plus haut) de même que les locaux des représentants du personnel. À ce qui précède, s’ajoute une protection des données personnelles collectées puisque, d’une part l’employeur doit sécuriser l’accès aux données recueillies et ne le confier qu’à des personnes habilitées par lui et formées à cet effet (par exemple le responsable de la sécurité de l’entreprise), d’autre part il doit limiter la durée de conservation des données.

Et la caméra de l’ordinateur ?

Aux traditionnelles caméras installées dans les couloirs de l’entreprise s’ajoutent aujourd’hui celles des ordinateurs, très utilisées en cas de télétravail. S’il n’est pas question d’interdire aux entreprises les ordinateurs portables avec caméra, la webcam du portable, par définition branchée sur le visage du salarié, n’est pas un outil de surveillance, mais principalement un dispositif d’appui aux réunions en distanciel. Cela veut dire qu’il est impossible de demander au salarié de brancher en permanence sa caméra afin de mettre l’employeur en mesure de vérifier qu’il est bien à son poste. Face à l’utilisation du bougeur de souris qui met à mal les logiciels captant l’inactivité de l’ordinateur du salarié, l’usage de la webcam n’est donc, en droit, d’aucun secours pour les employeurs ! L’entreprise ne peut pas davantage exiger de son salarié qu’il prenne des photos de lui à intervalle régulier. Ce qu’elle peut exiger en revanche est qu’il mette sa caméra en route pour une réunion, un entretien d’évaluation, une rencontre avec des clients extérieurs, dès lors que le dispositif de visio permet un floutage de l’arrière-plan ; le salarié peut légitimement protéger l’intimité de son domicile – il n’a pas forcément une pièce dédiée au télétravail – et permettre aux personnes habitant dans son appartement de circuler librement sans être captées par l’œil de l’entreprise !

Trois conditions

Intuitivement, on serait tenté de considérer que lorsque le recours à la surveillance est illicite, les preuves obtenues par ce biais sont systématiquement irrecevables ! Il n’en est rien en droit. Au nom, une fois de plus, de l’idée de proportionnalité, la Cour de cassation admet ce qu’elle appelle elle-même les « preuves illicites », ce qui couvre, au vu des quelques arrêts rendus à ce sujet, celles recueillies en ne respectant pas la procédure : absence de déclaration à la Cnil à l’époque où elle était requise, défaut d’information du salarié ou de consultation du CSE. Depuis 2020, on sait qu’une preuve attentatoire à la vie personnelle peut être produite lorsqu’elle est indispensable au regard du droit à la preuve. Depuis un arrêt très important du 8 mars 20235, la Cour de cassation précise son raisonnement en listant les vérifications, au nombre de trois, que le juge doit faire avant d’admettre la preuve. Il doit, d’abord, s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

L’affaire concernait une salariée licenciée pour faute grave sur la base d’images d’une caméra de vidéosurveillance. Pour la salariée, la preuve ne pouvait pas être admise car l’entreprise n’avait pas respecté ses obligations en matière de vidéosurveillance, en n’informant pas les salariés du fondement juridique du dispositif et de l’objectif poursuivi, et en ne demandant pas l’autorisation préfectorale requise lorsque la caméra capte des lieux ouverts au public. Il s’agissait sans nul doute d’une preuve illicite. Restait à savoir si elle respectait les trois conditions exposées ci-dessus pour être néanmoins recevable ! En l’espèce, la lettre de licenciement faisait état d’un audit, que l’employeur n’a pas produit devant le juge, et qui attestait, aux côtés de la vidéosurveillance, l’existence des irrégularités commises par la salariée. Il en résulte que l’employeur disposait d’un autre moyen de preuve et qu’ainsi la deuxième condition n’était pas remplie. D’un côté, l’arrêt du 8 mars peut être compris comme illustrant la rigueur de la jurisprudence – et on peut le concevoir – sur l’admissibilité des preuves illicites. De l’autre côté, il conforte le fait que lorsque l’employeur ne dispose pas d’autres preuves (ou que nul n’en a connaissance), le risque de voir admises devant le juge des preuves attentatoires au droit au respect de la vie personnelle est élevé. La salariée n’a pu obtenir le rejet des preuves obtenues par vidéosurveillance que parce qu’existait par ailleurs un rapport d’audit.

Alors que le droit ne cesse de courir après les avancées de la technologie, on n’en a pas fini avec les difficultés à articuler la règle de droit et la surveillance. Ce d’autant que les techniques de surveillance ne cessent de se sophistiquer, jusqu’à s’introduire au sein même du corps humain (Par exemple, les puces sous cutanées)!

(1) Cass. soc., 26 nov. 2002, n° 00-42.401.

(2) Cass. 2e civ., 17 mars 2016, n° 15-11.412.

(3) Cass. soc., 18 nov. 2020, n° 19-15.856.

(4) Cass. soc., 22 sept. 2021, n° 20-10.843.

(5) Cass. Soc., 8 mars 2023, n° 21-17802.