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Nikolaz Le Vaillant ; Marc Dumas : Gestion de la QVT et télétravail : que peuvent les plateformes SAS dédiées ?

Idées | Recherche | publié le : 01.04.2023 |

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Nikolaz Le Vaillant ; Marc Dumas : Gestion de la QVT et télétravail : que peuvent les plateformes SAS dédiées ?

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Ce n’est que depuis la crise Covid que le télétravail est passé d’embryonnaire en France à une obligation pour 41,6 % des actifs français (Ademe, 2020). Le télétravail est défini par le Code du travail (Article L-1222-9) comme une organisation du travail hors des locaux de l’employeur en utilisant les technologies de l’information et de la communication. De fait, cette organisation compromet la communication physique. Or, le manager doit garder le contrôle à distance et agir contre l’altération de la santé de ses équipes. En parallèle, depuis quelques années, des plateformes de gestion de la qualité de vie au travail connaissent une adoption croissante par les organisations et se positionnent par nature comme un système d’information adapté à la gestion à distance.

Malgré une réglementation post-crise destinée à assouplir les règles pour son recours, c’est bien le virus de la Covid-19 qui a permis l’accentuation du recours au travail à distance. Les recherches sur le tout-distant montrent cependant de nombreux risques comme l’isolement à travers la perte d’esprit d’équipe et de la relation managériale. La communication et les interactions subordonné/manager sont diminuées tout comme les relations interpersonnelles. Les managers et collaborateurs doivent s’ajuster et se soutenir, créer des retours d’expériences pour tirer des enseignements et ajuster les règles préétablies. Les organisations peuvent s’appuyer sur des outils numériques traditionnels pour connecter les travailleurs au-delà de leurs frontières traditionnelles. L’e-mail et les plateformes collaboratives de visioconférence et de « chat » d’entreprise sont couramment utilisés. Un certain nombre de start-up (Moodwork, Zestmeup, Octomine, Supermood…) cherchent aussi à renforcer l’adoption de leurs outils numériques de gestion de la qualité de vie au travail (QVT).

Ces plateformes SaaS (« Software as a Service » – logiciel en tant que service) n’existaient pas ou peu il y a encore une dizaine d’années. Les plateformes de gestion de la QVT visent à accompagner les entreprises pour une meilleure prise en charge des difficultés auxquelles sont confrontés leurs salariés. Les fonctionnalités principales se composent d’analyse automatique de données issues de questionnaires, de remontées d’informations en temps réel dans des tableaux de bord de pilotage et d’accompagnements pour la gestion par les décisionnaires et leurs subordonnés de la santé au travail. Les recherches montrent que l’enjeu du recours à des plateformes numériques de santé et de bien-être au travail est celui de la qualité de la relation managériale, du turnover, de la performance au travail ou encore de la satisfaction au travail. Nous proposons une analyse en trois points de l’utilisation de ces plateformes pour le management à distance. Ces points sont issus d’une étude composée de 66 entretiens réalisés auprès d’entreprises utilisatrices, des créateurs de ces plateformes et de services de santé au travail.

1. La gestion des émotions à distance

Un premier point de l’étude porte sur la capacité que peuvent conférer ces plateformes à gérer les émotions à distance, une pratique courante des managers en période de télétravail forcé. Dans ce contexte de travail distant, des proximités sont effectivement à recréer, des équipes sont à construire pour permettre la poursuite du travail.

Le management moderne est défini comme la « capacité […] de résoudre les problèmes quotidiens tout en prévoyant les problèmes à venir, qui a pour rôle premier de gérer ses propres émotions et celles des autres » (Van Hoorebeke, 2008, p. 96). Les émotions au travail sont particulièrement liées aux échanges entre les individus et permettent leur diffusion. Les émotions générées par les interactions sociales permettent d’assurer une socialisation organisationnelle, avec un rôle de soutien émotionnel du manager. La régulation des émotions dans le travail à distance peut être favorisée par la définition d’espaces d’échanges formels et informels. Ici, les plateformes de QVT tendent effectivement à être utilisées par les managers pour garder le lien, ressentir et gérer les émotions de leurs équipes à distance. Les indicateurs de QVT, les formations et conseils pour le manager et les questionnaires réguliers y contribuent. Nous observons ainsi que l’outil vient renforcer, sinon obliger le manager à pratiquer le feedback. Elles favoriseraient ainsi les échanges interindividus, régulant la charge émotionnelle des travailleurs distants, avec un rôle de soutien émotionnel du manager.

2. Un conflit entre autorégulation et contrôle traditionnel

Pour Wojcak et al. (2016), le manager passif en télétravail débouche sur un état d’incompétence et d’isolement social. Le télétravail favorise une situation d’autocontrôle des collaborateurs où le manager se transforme en support pour ses équipes. Il « agit à côté », coache ses subordonnés qui conservent leur autonomie. Il est référent pour les décisions prises en autonomie par ses subordonnés et joue un rôle de transmission de l’information. L’usage des plateformes participe au lien entre le manager et ses équipes. La recherche en gestion recommande un suivi périodique des télétravailleurs pour s’assurer que les conditions initiales requises à l’adoption du télétravail sont toujours présentes. Cette médiation observée des plateformes numériques peut permettre aux managers d’envisager des changements adaptés aux situations (fonctionnement de l’équipe, outils de travail plus adaptés…).

Pourtant, l’effacement du contrôle traditionnel tendrait à se heurter aux doutes sur la capacité des équipes à atteindre les objectifs, à maintenir leur productivité. L’adoption du télétravail peut créer, chez les managers moins formés, moins compétents et qui y sont moins favorables, une moindre confiance en la capacité de leurs équipes à atteindre les objectifs sans supervision. Dans l’utilisation de ces plateformes de gestion de la QVT aussi, l’autonomie acquise par le salarié ne se fait pas sans observer l’application d’un contrôle plus traditionnel. Il se traduit pour certaines par l’utilisation et l’adaptation de fonctionnalités sous la forme de chats dédiés pour assurer une fluidité dans les activités du collectif de travail, jusqu’au suivi direct d’objectifs et de résultats. Nous recommandons cependant un bon dosage pour que la stratégie de maintien de l’activité ne se transforme en surveillance, mal perçue et mal acceptée par les salariés qui y verraient une volonté de s’immiscer dans leur propre organisation, et réduirait le sentiment de confiance.

3. L’auto-leadership des travailleurs

L’auto-leadership est le processus par lequel un individu s’influence en gérant et en observant ses propres pensées et comportements. Les individus contrôlent leurs propres comportements en utilisant des stratégies comportementales et cognitives dont l’estime de soi et la confiance en soi en sont des médiateurs. L’analyse des plateformes de gestion de la QVT fait ressortir des fonctionnalités d’auto-accompagnement, en dehors des dispositifs internes gérés par l’organisation. Des formations, des conférences, des fiches conseils sont proposées sur des thématiques comme l’équilibre vie privée/vie professionnelle, mais aussi le recours à des professionnels externes (psychologues…) et ceci sans le passage préalable par les acteurs internes à l’organisation. Elles visent également à diminuer le sentiment d’isolement en agissant sur le sentiment de solitude qui touche les salariés à distance par un soutien organisationnel perçu.

Ces facteurs créeraient un cadre favorisant l’auto-leadership. Les fonctionnalités sont majoritairement appréciées par les utilisateurs. Dans ce contexte, l’efficacité de cette capacité d’action individuelle sera en grande partie dépendante de la volonté de l’écoute à être active, du décideur à poursuivre son action par d’autres actions. Pourtant, ce cadre complémentaire aux interactions sociales plus ou moins limitées selon la plateforme comporte de fait une dimension de gestion individualisée des risques.

Un point de vigilance porte alors sur le danger de responsabiliser le travailleur que peut engendrer une individualisation des risques en fournissant un système de prévention qui favoriserait des réponses individuelles à des problématiques d’ordre organisationnel.

Bibliographie :

Van Hoorebeke, D. (2008). La gestion des émotions au travail : une revue vers une nouvelle conception du management. Humanisme et entreprise, 289(4), 81-103.

Wojcak, E., Bajzikova, L., Sajgalikova, H., & Polakova, M. (2016). How to achieve sustainable efficiency with teleworkers : Leadership model in telework. Procedia-Social and Behavioral Sciences, 229, 33-41.