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Idées

Mais quel est donc ce fameux « nouveau rapport au travail » ?

Idées | Bloc-notes | publié le : 01.04.2023 | Antoine Foucher

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Mais quel est donc ce fameux « nouveau rapport au travail » ?

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C’est devenu le lieu commun du moment : syndicats, patronats, RH, politiques, experts ont tous à la bouche ce « nouveau rapport au travail » qui se serait installé dans la société française. Mais en quoi consiste-t-il exactement ? Procédons par élimination.

D’abord, contrairement à ce qu’affirme une partie du patronat, ce nouveau rapport au travail n’est pas une épidémie de flemme. En 2022, d’après l’Insee, 68,1 % des Français de 15 à 64 ans étaient en emploi. C’est le taux le plus élevé enregistré depuis qu’il est mesuré, c’est-à-dire 1975. En clair, les Français d’aujourd’hui sont davantage au travail qu’il y a 50 ans. Dire qu’ils sont devenus flemmards est donc l’inverse des faits, ou alors il faut dire qu’ils sont moins flemmards que leurs parents et grands-parents. L’analyse par le taux d’emploi est par ailleurs corroborée par celle sur la durée du travail, annuelle ou tout au long de la vie. Avec une moyenne annuelle de 1 600 heures, la durée du travail ne recule plus en France depuis 20 ans, alors qu’elle diminuait décennie après décennie depuis le début du XXe siècle. Les Français d’aujourd’hui sont donc la première génération, depuis un siècle, qui ne travaillent pas moins que ses parents. Quant à la durée de travail tout au long de la vie, elle augmente : 37,5 années de cotisation nécessaires pour une pension de retraite jusqu’en 1993, 41,5 ans aujourd’hui, 43 ans en 2027. Exit donc la flemmardise.

Ensuite, ce nouveau rapport au travail ne se caractérise pas non plus par une exigence particulière sur les salaires. Là aussi, les chiffres de l’Insee sont têtus. Décennie après décennie, le pouvoir d’achat augmente toujours moins vite : + 6 % par an dans les années 1960, + 4 % dans les années 1970, + 1,5 % sur les trois décennies 1980-2000, + 0,8 % dans les années 2010… et une baisse l’année dernière. Non, décidément non, les demandes des salariés ne sont pas devenues exagérées, ou alors, là aussi, il faut considérer que celles de leurs aînés étaient délirantes, et pourtant mieux satisfaites. Bien sûr, la situation économique globale a changé, la croissance a ralenti, la productivité est mal en point. Il n’empêche : quand on prend un peu de hauteur, on comprend que la quasi-stagnation du pouvoir d’achat, fut-elle en grande partie justifiée par celle de la productivité, est un phénomène qui dure maintenant depuis une quinzaine d’années. Force est donc de constater que les travailleurs français semblent comme résignés à attendre de moins de moins de leur travail une amélioration substantielle et continue de leur niveau de vie.

Alors, s’il faut travailler plus qu’avant et que le travail ne permet plus de changer de niveau de vie, on saisit mieux les réactions actuelles de beaucoup de salariés. Elles sont de trois ordres. La première est basique : résister au « travailler plus », soit en partant plus tôt à la retraite, soit en en faisant le moins possible (« quiet quitting »). La deuxième se répand comme une traînée de poudre et se sent clairement dans les entretiens d’embauche : relativiser le travail, en privilégiant sa vie personnelle, en choisissant son employeur d’abord pour sa capacité à faciliter la vie quotidienne (garde d’enfants, proximité du lieu de travail, possibilité de télétravailler…). La troisième, enfin, est à la fois contradictoire et complémentaire avec les deux autres : investir le travail d’un sens existentiel, comme la contribution au bien commun ou la lutte contre le réchauffement climatique.

C’est le paradoxe de notre époque : il n’y a pas un, mais plusieurs nouveaux rapports au travail, dans une société qui, depuis deux générations, n’a jamais autant travaillé, et dans laquelle le travail n’a jamais aussi peu permis de mieux vivre année après année.

Auteur

  • Antoine Foucher