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Idées

Dans les coulisses du portage salarial

Idées | Livres | publié le : 01.04.2023 | Lydie Colders

Dans les coulisses du portage salarial

Dans les coulisses du portage salarial

Crédit photo Éditions La Dispute

Dans « des salariés sans patrons », le sociologue Alexis Louvion ausculte l’ambiguïté du portage salarial, marqueur des politiques libérales. Une enquête critique sur la fameuse flexisécurité à la française.

Avec quelque 30 000 cadres « portés », le portage salarial peut paraître anecdotique. Ce statut ambigu est pourtant symbolique de « la doctrine libérale », visant à encourager l’indépendance, « laissant à chacun la charge d’assurer sa protection sociale et d’en payer le coût », souligne Alexis Louvion. En plein débat sur l’ubérisation, le rapport Frouin de 2020 préconisait d’ailleurs ce tiers statut du portage salarial pour les travailleurs des plateformes. Au travers de ce dispositif, quel regard porter sur cette flexisécurité, promouvant l’entrepreneuriat en affirmant diminuer les risques ? Dans son enquête critique, riche en témoignages, le sociologue analyse l’ambiguïté du portage (un « salariat libéral »), de sa construction politique à la réalité du terrain. Il pointe l’esprit concurrentiel des entreprises de portage salarial (EPS), qui ont fait de « la cotisation » leur marché. L'auteur rappelle leur opacité, voire certaines malversations (marges arrière, gonflement des cotisations à payer…), et relativise le potentiel « sécurisant » du dispositif. Au travers des récits de cadres « portés », le chercheur atteste sans surprise de grandes inégalités. À côté des consultants prisés s’appuyant rarement sur leurs allocations, d’autres (formateurs, sophrologues) n’échappent pas à la précarité, peinant à recharger leurs droits au chômage.

 
Un compromis syndical

Le livre est surtout éclairant sur l’histoire politique de l’encadrement du portage salarial. En à peine dix ans, entre 2008 et 2017, ce dispositif très contesté, lancé par quelques acteurs en toute illégalité, a fini pour aboutir à la création d’une convention collective sous François Hollande. Comment expliquer un tel revirement ? Alexis Louvion revient sur le contexte politique libéral favorable à la flexibilisation du travail et à l’entrepreneuriat depuis les années Sarkozy. S’y adjoindra, montre-t-il, un lobbying actif des syndicats professionnels de portage salarial (Sneps, puis Peps en 2012) pour réguler cette activité, au nom de l’emploi. Étonnamment, les syndicats, pourtant opposés, finiront par négocier son encadrement. Du premier ANI de 2008 cadrant le portage salarial à la création d’une convention collective en 2017, l’auteur explique leur curieux revirement. On apprend que la CFDT, notamment, préférera négocier en parallèle avec les professionnels de portage salarial pour écarter le patronat de l’intérim, réputé dur socialement. La CGT, très hostile, finira elle aussi par signer le second ANI de 2010 encadrant le portage salarial. À l’époque, la création du statut d’autoentrepreneur sans droits au chômage aurait joué dans sa volte-face : « À la limite, on est mieux en portage salarial », témoigne un négociateur cégétiste. Pour Alexis Louvion, les syndicats auraient donc fini par négocier pour « limiter » au mieux l’usage du portage salarial. Critique sur ces statuts hybrides, l’ouvrage résonne avec le casse-tête actuel de la protection des indépendants des plateformes.

 
« Des salariés sans patrons ? », Alexis Louvion, Éd. La Dispute, 216 pages, 15 euros.

Auteur

  • Lydie Colders