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Team building : on n’en est qu’aux débuts…

Dossier | publié le : 01.04.2023 | Murielle Wolski

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Team building : on n’en est qu’aux débuts…

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Le tout à distance démocratisé lors de la crise sanitaire a mis à mal la cohésion des équipes, d’où l’âge d’or du team building perceptible depuis plusieurs mois. Et, avec les changements d’organisation du travail, les enjeux écologiques et les tensions économiques, ce business de « resserrage de liens » entre collaborateurs a encore de beaux jours devant lui.

Nicolas Bergerault n’a pas à dire merci à Cyril Lignac ou Philippe Etchebest. Son succès n’est pas lié aux leurs. Dès 2004, année de sa création, L’atelier des chefs a ouvert sa cuisine à des salariés. Déplacer les relations de travail dans un cadre différent, moins formel, autour d’un repas à préparer, « c’était une vraie révolution à l’époque, commente-t-il. C’est devenu un « must » pour travailler des valeurs de l’entreprise, comme la rigueur ou la créativité. Ici, pas de chef, pas de meilleur ». Les derniers chiffres témoignent de l’intérêt pour la formule. 50 000 collaborateurs sont passés par ses cuisines en 2022, pour partager un moment dans ses adresses parisiennes, lilloises ou encore lyonnaises. Avant la Covid, les particuliers comptaient pour 60 %, 40 % pour les entreprises. Aujourd’hui, le rapport est inversé. Banques, assurances, la « tech », cols blancs ou cols-bleus, avec des acteurs de la propreté (dont une séance avec 943 collaborateurs), la recette séduit tous les secteurs, et toutes les tailles d’entreprises. « 18 ans que cela dure, et cela ne tarit jamais », se réjouit Nicolas Bergerault. Et cela ne devrait pas s’arrêter de sitôt.

Un contexte porteur

Team building par ci, team building par là… Google n’affiche pas moins de 3 870 000 000 articles qui traitent de ce thème. On est loin du dernierné des concepts en management. Le team building a plus de cent ans. Il est né sous la plume d’un certain Elton Mayo, professeur à la Harvard business school, d’une étude menée au cœur d’une entreprise de Hawthorne, sur le lien étroit entre productivité au sein d’une équipe, intégration et sentiment d’appartenance. Et, depuis le virage des années 2000, ce concept s’impose dans la boîte à outils de tout directeur des ressources humaines ou de chef d’entreprise, et encore plus actuellement, après deux années de confinements perlés. Rarement sujet n’a autant mobilisé les attachés de presse. Rarement les dirigeants d’entreprise ne se sont autant précipités pour prendre la parole.

Le team building est le sujet tendance du moment. Voire un peu « tarte à la crème » pour reprendre les termes de Francis Petel, professeur affilié à ESCP Europe, vice-président de la commission nationale éducation formation de la Confédération des petites et moyennes entreprises. « Pourtant, en parler et le pratiquer est plus que jamais indispensable, explique Vincent Binetruy, directeur du Top employers institute, organisme de certification des pratiques RH, avec une nouvelle organisation du travail et un éclatement géographique des collaborateurs, si on veut générer du lien. »

Aux dires de plusieurs récentes enquêtes, le contexte se montre en effet plutôt propice à son développement. « On recrute de plus en plus là où sont les collaborateurs, et non plus autour de soi, note Frédérique Lorentz, responsable expérience client-engagement des collaborateurs et communication interne chez ADP France, société spécialisée dans les logiciels de gestion de paie. Aussi, va-t-on créer des événements, des moments de partage supplémentaires. On est là pour offrir des opportunités d’échange. Pas juste un one shot. »

Par ailleurs, selon le rapport 2021 édité par France Tiers lieux, 2,2 millions de personnes sont venu réaliser un projet ou travailler dans un tiers lieu. D’après les dernières données de l’Idet (anciennement l’Association des directeurs de l’environnement de travail), de février 2023, le recours aux tiers lieux a presque doublé suite aux confinements. Après le pic pandémique, 33 % des salariés ont eu recours au télétravail en 2022 (chiffres extraits du baromètre publié par JPG, site de vente en équipements de bureau), dont 37 % sont cadres. Des adeptes du team building.

La dimension environnementale n’est pas à négliger dans le calcul. Un jour télétravaillé par semaine supplémentaire pour les 28,8 millions d’actifs en France représente une économie de plus de quatre milliards de litres d’essence. Atout économique ; atout écologique. Cinq milliards de m3 de CO2 ne sont pas émis avec un jour de télétravail. Et la hausse du prix de l’essence – et l’inflation en général – va booster l’intérêt du télétravail, et donc donner un coup de pouce supplémentaire à ces retrouvailles programmées. Gilles Pouligny, directeur général associé chez Republik RH, spécialisé dans le marketing RH parle « d’âge d’or ».

Opération récurrente

« Une organisation, ça se joue en équipe, lance d’emblée Philippe Bloquet, fondateur de PeopleSphere. Et les analogies avec le monde sportif ont du bon. Une somme d’individus sans esprit d’équipe ne donne rien. D’où des événements pour travailler les relations interpersonnelles en vue de faciliter les interactions dans le futur. »

Et, la pratique évolue au fil des années, la palette s’étoffe. « La grand-messe est de plus en plus difficile à organiser, ou encore acceptée, commente Gilles Pouligny. La proximité est de mise. Et cette pratique a descendu tout l’organigramme, quand il y a encore quelques années elle était plutôt réservée aux dirigeants. » Cuisine, défis sportifs ou escape game, équitation, jeu de piste, bowling, création d’un court métrage, ou d’un potager… seule l’imagination limite les possibilités. Nadia Bahha-Alvès, directrice de la communication d’AD Education, réseau européen de formations créatives, s’est lancée, pour la première fois en 2022, dans le développement d’une séance de team building, avec une chasse aux trésors – pour son équipe – dans l’une des écoles du groupe. Objectif : une meilleure connaissance des métiers accessibles à l’issue des formations. Comment créer du « sound design » ? Comment fonctionne le marché de l’art ? Comment se déroule une séquence de doublage de film ? « Cet événement ludique était aussi l’occasion de toucher de près ce qui constitue l’entreprise, analyse cette jeune femme dynamique. Ce qui fait sa force. Pas besoin d’avoir un coût exorbitant. Une parenthèse également pour saisir des signaux faibles. » Deux éditions ont été programmées en 2022. D’autres sont dans les tuyaux pour 2023. « Le monde va trop vite pour espérer être tranquille pendant un an, détaille Vincent Binetruy. Pareille fréquence pourrait même choquer. De même que si on remplace les manquements du management par une séquence de team building, cela ressemble alors à un pansement sur une jambe de bois. L’effet induit est alors pire que la situation de départ. On pourrait alors facilement entendre un : ils ne savent plus quoi inventer ».

« L’atelier ne comprend pas ce que fait le bureau. Et inversement. Un œil jeté sur l’écran d’une collaboratrice sur les réseaux sociaux – mais pour le marketing. Le team building permet de lutter contre les stéréotypes en interne, les a priori ou les incompréhensions. De donner un socle commun, de faire découvrir le langage de l’autre. » Paroles de Serge Denis, à la tête d’Ergotech, fabricant français d’équipements de santé et bien-être.

Un vrai investissement

À 500 euros, 700 euros par tête de pipe, voire plus, la mise en place d’une séance de team building n’est pas une démarche gratuite, dénuée d’intérêt. Il n’a rien à voir avec un cadeau. « Pendant ce temps-là, l’activité de l’entreprise est mise entre parenthèses, constate David Guillocheau, directeur général de ZestMeUp, experte en logiciels pour aider les organisations à mieux engager les salariés. Aussi, le team building est-il à classer au rang des investissements, avec un retour sur investissement (ROI) attendu. Avec une accélération de l’équipe après. Même si le mesurer peut se révéler difficile, si une séance ne suffit pas, si ce n’est pas une politique court-termiste. Le plaisir à se retrouver n’est pas le ROI. »

ROI pour les grandes boîtes, ROI pour les PME, mais aussi pour les start-up. « Elles vont très vite à se développer, note Vincent Binetruy, aussi il leur arrive de négliger les aspects RH. Le team building est un levier pleinement adapté de management. »

Le « fun » a une limite ?

Où s’arrête l’équipe ? Chez Whoz, société spécialisée dans les solutions logicielles permettant de faire correspondre les besoins en compétences et les missions des entreprises numériques, les séquences de team building embarquent femme ou mari, conjointe ou conjoint et enfants, et ce dès la création de l’entreprise… « De quoi ajouter une couche de confiance qui cimente l’équipe, de se connaître plus personnellement, souligne Thibault Maître, leader dévelopment international. Et pas uniquement comme contributeurs professionnels. Je vis sur mon lieu de travail ; je travaille de chez moi… la crise sanitaire a augmenté la perméabilité entre les deux. »

Est-ce une injonction à bien s’entendre ? « Aucune obligation de faire un bisou à son voisin, commente Philippe Bloquet, mais ce moment est aussi une opportunité de refaire son jugement, si d’aventure il n’y avait pas d’affinités particulières. » Jusqu’où ne pas aller trop loin ? « D’anciens collaborateurs se sont incrustés lors d’un team building d’une boîte, relate Vincent Binetruy. De quoi souligner la porosité entre les sphères professionnelle et personnelle ou affective. Preuve que le monde de l’entreprise a un rôle éducatif fort à assumer à l’attention de la jeune génération. »

Auteur

  • Murielle Wolski