logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Les PME s’y mettent

Dossier | publié le : 01.04.2023 | Lucie Tanneau

Le team building n’est plus l’apanage des grosses boîtes, les petites entreprises s’essaient, elles aussi, à ces activités de cohésion nouvelle génération pour fidéliser leurs salariés et attirer de nouveaux candidats. La pandémie a renforcé cette tendance. Si les budgets alloués sont moindres, les effets sont souvent plus rapides.Par Lucie Tanneau et Murielle Wolski

Les petites et moyennes entreprises n’ont pas attendu l’essor du « team building » prononcé en anglais pour offrir un arbre de noël à leurs salariés et leur famille, un barbecue d’été ou une galette des rois. Il n’empêche, les activités de cohésion d’équipes à la manière des grands groupes, avec activités originales et autres séminaires d’équipe avec nuit à l’hôtel ou non pour toute l’équipe, se sont renouvelées dans les PME pour encourager les collaborateurs à mieux se connaître et à partager des moments différents dans la vie de l’entreprise.

« Le team building ne se faisait pas dans les PME il y a encore cinq ans. Ça commence à venir. La Covid a clairement encouragé les petites entreprises sur ce chemin », constate Cynthia Sfilio, la gérante d’Estarel Aventures, prestataire qui organise des séminaires d’entreprises et propriétaire de bases de loisirs en région Paca. « C’est un côté positif de la pandémie, si on peut dire : les entreprises ont pris conscience de l’importance des liens sociaux au travail », analyse-t-elle. Résultat : même les PME « qui avaient l’idée que le team building n’était pas fait pour elles, avec cette image d’événement trop cher ou trop à l’américaine » s’y mettent. Avec une différence par rapport aux grands groupes : l’organisation est « plus rapide » puisque les participants sont moins nombreux, et plus directe, avec souvent une assistante de direction ou le « patron » aux manettes, qui décide, sans avoir besoin de faire valider et revalider par toute une chaîne de décisionnaires.

« Le changement est marquant depuis la Covid, car les petits comme les grands groupes connaissent des difficultés de recrutement, et ils ont l’idée que des événements comme des team building ou des séminaires peuvent les aider à attirer des candidats », accorde Christelle Mokdad, qui a lancé son entreprise d’organisation d’événements à Paris, Les Tricolores, en 2021. « Les patrons de 50-55 ans n’ont jamais connu ce genre d’activités dans leur carrière, donc ça ne faisait jusqu’à présent pas partie de leur langage, mais on essaie de leur faire comprendre que les gens ont aujourd’hui besoin de connaître l’ADN de leur boîte, son histoire, et les objectifs pour les années à venir. Des séminaires, avec des activités de convivialité ensuite, peuvent être l’occasion de donner ce sens-là, notamment aux jeunes générations, et de renforcer l’esprit d’équipe », encourage-t-elle. « Dans les petites entreprises, on a l’idée que les gens se connaissent mieux, car ils sont moins nombreux, mais c’est faux », tacle Christelle Mokdad, ancienne responsable des ventes d’une marque de maquillage au sein du groupe LVMH. « Les collègues, même en PME, se connaissent rarement au-delà du professionnel, sauf par petits groupes de deux ou trois personnes », analyse-t-elle, vantant l’intérêt d’activité de cohésion « peu importe la taille de l’entreprise ».

Reste un frein supplémentaire dans les PME : le budget. « Les grands groupes mettent beaucoup plus de moyens. Un petit patron aura du mal à dégager une enveloppe de 10 000 euros, qui va directement impacter les salaires des dirigeants », reconnaît-elle. « Le team building coûte cher », confirme Philippe Bloquet, le directeur de People Sphere, une plateforme tech qui rassemble des outils RH. Pourtant, ce chef d’entreprise en est friand. « Nous sommes 60 salariés à Paris et 40 à Montpellier, c’est important de mettre en place des choses pour se connaître et créer des points de rencontre pour que les gens partagent des moments » explique-t-il, reconnaissant que la Covid, qui a conduit à la généralisation du télétravail l’a motivé pour mettre en place des événements « réguliers et nombreux ». People Sphere dispose ainsi de cinq outils de team building : un « classique » séminaire tous les 18 mois, une « revue trimestrielle » par site, des « team meetings » une fois par mois par équipe avec un déjeuner convivial, un « café CIO » qui rassemble 5 à 6 personnes chaque mois autour de Philippe Bloquet, et des déjeuners, « plutôt pour les nouveaux embauchés ». « Pour moi le team building est indispensable », confirme le dirigeant. « Je prends l’exemple d’une équipe de foot, ou de n’importe quel sport : une équipe n’est pas la somme d’individualités. Pour être efficace il faut être une vraie équipe. Le team building permet ça : une occasion de passer des bons moments, de partager des expériences, mais surtout d’être plus efficace ensuite », résume-t-il. « Le fait d’avoir appris à se connaître permet de personnifier les échanges dans l’entreprise, d’éviter l’anonymat au travail », complète-t-il. Un bon point dans les moments difficiles. « Cela montre son efficacité quand il y a des tensions sur des projets : on échange alors plus facilement avec ses collègues », défend-il. « C’est aussi l’illustration de la valeur partage, qui m’est chère. Et une récompense », reconnaît-il.

Un délire de patron paternaliste ?

Une récompense. Pour les PME, plus que dans les grands groupes où le team building est parfois plus élitiste, réservé à des managers ou membres du codir, par exemple, le séminaire et ses activités de découverte est un cadeau de fin d’année offert aux équipes. « Cela permet clairement de récompenser les équipes pour leur travail », valide Christelle Mokdad qui raconte le séminaire organisé en République dominicaine pour une entreprise de « dix salariés et deux patrons » dans le secteur de la décoration intérieure. « Ils avaient du budget, mais ce choix de la République dominicaine, avec une vraie partie business présentée dans des réunions structurées, est aussi un moyen de récompenser le travail effectué. Et c’est une belle source de motivation pour le retour », valide-t-elle. « Dans les grands groupes, chaque ligne de dépense doit être justifiée et les dirigeants attendent donc un résultat mesurable. Dans les TPE, les PME ou même les ETI parfois, le patron peut avoir l’idée seulement d’un moment tous ensemble, dans une bonne ambiance, pour créer un souvenir commun », analyse Cynthia Sfilio, d’Esterel Aventures. « Il y a davantage cette idée de faire plaisir aux collaborateurs. C’est plus du fun », résume-t-elle. « Les PME ne peuvent pas se battre sur les salaires, mais tous ces à côtés sympas et le management plus familial permet de fidéliser et de créer une marque employeur forte », défend-elle. Même si les activités de type balades en buggy dans les vignes ou rallyes pédestres peuvent être communes, l’objectif ne sera pas le même. « La découverte et le plaisir pour les PME et la compétition ou le défi dans les grands groupes », tranche l’organisatrice.

C’est tout ce qui rebute Jean-François Faure. Pour le dirigeant de l’entreprise Aucoffre.com, qui emploie 50 collaborateurs à Bordeaux, le team building est souvent « superficiel ». « Cela dépend ce que l’on met derrière ce terme », précise-t-il. « S’il s’agit de créer des moments de convivialité, oui on organise des barbecues, en juin, un Noël en décembre et une galette en janvier… Mais vient qui veut et qui peut ! », commence-t-il. « Quand on fête les anniversaires, celui qui préfère rester à son poste, n’est pas mal vu », poursuit le dirigeant. Pas question en revanche d’emmener toutes ses troupes « au Parc Astérix ». Le team building « associé à une notion de management cachée » très peu pour lui. « Si c’est du boulot, j’ai suffisamment de projets qui rassemblent mes équipes », réfute-t-il. « Devoir forcer certaines personnes à participer au bateau pirate alors qu’elles détestent ça, ou, au contraire, les amener à refuser de faire partie de l’activité et donc passer pour les gens pas cool de l’entreprise » : il en est hors de question pour le dirigeant. « C’est clivant », assume-t-il. « Pour moi le team building avec ces activités prétendument fun, c’est vraiment un délire de patron paternaliste, très XIXe siècle, qui voudrait que tous les gens s’aiment », schématise Jean-François Faure. « Le but d’une entreprise est que les gens s’éclatent dans leur boulot : c’est ça le rôle du dirigeant. Quand on embauche un collaborateur, il signe pour un projet et une stratégie, pas pour ces activités surprises ! Payer un escape game pour compenser une ambiance pas très bonne au boulot, c’est plâtrer une jambe de bois », regrette-t-il. « Organiser un team building pour un groupe assez homogène, où tout le monde est sportif c’est super, mais dans une PME comme la nôtre, il y a des très jeunes, et des âgés, des sportifs ou non, des pudiques ou non… Comment faire ensemble une activité qui plaise à tous ? », interroge-t-il, mettant aussi en garde contre les risques que de telles propositions peuvent comporter. « Mon avocat m’a raconté qu’un team building a été utilisé contre un patron dans une procédure : un salarié n’avait pas pu payer une soirée au resto parce que sa carte ne marchait pas. Aux prud’hommes, plus tard, il a avancé qu’il avait alors été humilié », retrace-t-il (lire encadré ci-dessus). « Bien sûr, un tiers des collaborateurs s’amusera. Mais un autre tiers est indifférent et le dernier aurait préféré ne pas être là », résume-t-il. L’intérêt est donc « plus que faible » selon lui.

Récompense. Argument de recrutement ou de fidélisation ? Erreur du dirigeant ? Le team building dans les petites structures n’a pas trouvé sa justification pleine et entière… Même si la Covid a permis son essor, ces activités risquent d’être remises en cause : entre des factures d’énergie qui grimpent en flèche et des prestations de loisirs coûteuses, les entreprises aux budgets les plus serrés auront vite fait leur choix.

Auteur

  • Lucie Tanneau