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Décodages

« Pour beaucoup, la seule maîtrise de la langue suffit »

Décodages | Management interculturel | publié le : 01.04.2023 | Murielle Wolski

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« Pour beaucoup, la seule maîtrise de la langue suffit »

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La culture d’une entreprise est de plus en plus celle d’une entreprise internationalisée, à travers ses marchés d’implantation et ses partenaires, ou ses salariés. L’interculturalité en est donc une composante forte. Comment la gérer et la maîtriser ? Les fondateurs de Gapsmoov nous éclairent.

La Covid-19 a bouleversé les vies. Des projets. Avec parfois un retard à l’allumage. C’est le cas pour la toute jeune entreprise Gapsmoov, créée en juin 2020, dont la commercialisation a été décalée d’un an. Probablement un mal pour un bien. Cette parenthèse douloureuse, détonante, déstabilisante a mis en exergue l’appétence des salariés pour la formation. Petits modules, grands modules : se former est à la mode – encouragé par la médiatisation du compte personnel de formation. Selon une étude publiée par Xerfi en 2021, la dépense nationale en matière de formation professionnelle devrait atteindre 28 milliards d’euros d’ici 2024 contre 25 milliards en 2020. Et le chiffre d’affaires des organismes de formation devrait croître de 5 %. Côté langues, la marge de progression est gigantesque. Selon l’indice annuel de compétences en anglais, signé d’EF, la France se situe à la 34e place européenne, soit un recul de trois en places en un an. Que dire du management interculturel ? Un boulevard… que Gapsmoov entend bien marquer de son empreinte.

Thibaut Issindou, cofondateur de la plateforme, est tombé dedans tout petit ou presque, lors d’un séjour à l’étranger avec Erasmus, pendant ses études à l’institut d’administration des entreprises de Grenoble, pour multiplier ensuite les expériences d’acculturation en Chine, en Inde ou encore au Mexique. Virginie Deshaye a développé sa carrière, pendant quinze ans, chez des acteurs qui comptent dans la formation en langues étrangères. Tous deux se sont retrouvés chez Telelangue, au Luxembourg, dans un milieu multiculturel, où 170 nationalités se côtoyaient.

Pourquoi s’intéresser au sujet de l’interculturalité ?

Virginie Deshayes  : Nous sommes convaincus que sensibiliser aux cultures de l’autre est l’affaire de tous, sinon les fusions ou acquisitions risquent d’échouer, les négociations de perdurer, voire de ne pas aboutir… D’où la proposition de Gapsmoov d’être une plateforme de formation en langues et de décodage des cultures.

Thibaut Issindou : Le management interculturel est une discipline assez jeune. L’un des précurseurs en la matière s’appelle Geert Hostede, psychologue néerlandais, avec un questionnaire diffusé, début des années 1970, auprès de 50 000 collaborateurs au sein des filiales d’IBM pour comprendre les différents styles de management. Les grandes entreprises s’en sont emparées en premier. Dans des groupes comme Airbus ou Thalès, des incompréhensions pouvaient être constatées, non pas en raison de la non-maîtrise de la langue, mais de la culture. Chasse gardée des grandes sociétés, le sujet intéresse de plus en plus les start-up et les licornes, comme Back market, par exemple, car elles grandissent très vite à l’international.

On peut donc parler de prise de conscience générale des entreprises ?

Virginie Deshayes  : La prise de conscience intervient quand ça fait mal. Mais, il conviendrait de l’avoir avant. La diversité culturelle est une brique de la diversité au sens large, même si cela n’est pas la priorité. On donne des cours d’anglais pour… l’anglais. Pour beaucoup, la seule maîtrise de la langue suffit, avec un peu d’ouverture d’esprit. Et voilà. Mais, ce n’est pas le cas. On en est aux prémices. On se trompe alors de remède. Un vrai travail d’évangélisation est nécessaire.

Quels exemples de différences culturelles managériales pouvez-vous donner ?

Virginie Deshayes  : La durée d’une réunion, par exemple. Il n’en va pas de la même manière aux États-Unis ou en France, voire en Allemagne. « Brainstorming » en France, la réunion est de décision outre-Rhin. On en ressort avec un plan d’actions précis. On est dans le concret. Dans l’Hexagone, elle est l’occasion de joutes verbales : chacun exprime son point de vue. Et cela peut prendre une heure, deux heures ou trois heures. La relation au temps est l’une des dimensions importantes dans le management interculturel. On peut évoquer aussi la conceptualisation (pourquoi on le fait ?) versus le pragmatisme (comment on le fait).

Thibaut Issindou : En dehors de ce premier aspect, nous avons répertorié 17 autres traits culturels : la manière dont on travaille en équipe, dont on prend des décisions, dont on prend la parole… Dans un article des « Échos » de 2021, 60 % des chefs d’entreprise considèrent que les jeunes diplômés ne sont pas préparés pour travailler dans un contexte international. Les besoins sont donc importants.

Mais n’y a-t-il pas de plus en plus de programmes d’immersion qui contribuent à sensibiliser les étudiants à l’interculturalité dans le cadre de leur formation ?

Thibaut Issindou : Brigitte Sauzay, programme Voltaire… Je ne sais pas si la part des collégiens ou des lycées à profiter de ces dispositifs atteint les cinq pour cent aujourd’hui. Si ces programmes, encore marginaux, peuvent sensibiliser et donner une certaine ouverture d’esprit, ils n’ont pas vocation à former à l’interculturalité dans l’entreprise.

Quel est le marché du management interculturel en France ?

Virginie Deshayes  : On peut parler de niche. Le chiffre d’affaires évalué est de 15 à 20 M€, quand celui des langues représente 300 M€. Et Gapsmoov est la seule plateforme sur ce segment, avec 120 vidéos, des capsules, du « blended learning »… La fenêtre de tir est énorme. Aujourd’hui, une quinzaine d’établissements d’enseignement supérieur l’ont adoptée, avec une évaluation à la clé. Une douzaine d’entreprises aussi. On est passé par certaines victoires, certaines défaites. On pensait que le développement irait plus vite, mais la prise de conscience reste encore timide.

Thibaut Issindou : Le marché est plus mature en Europe, avec plusieurs années d’avance. L’Allemagne compte plusieurs acteurs. La tradition d’envoyer les jeunes vivre des expériences à l’étranger y est très développée. À propos de l’interculturalité, on parle de langue silencieuse. Et pas besoin d’aller très loin pour ressentir les décalages interculturels. Pas besoin d’aller en Chine ou en Inde, ou au Japon, pays dans lequel un « oui » peut cacher un malaise. On peut évoquer les différences entre l’implicite et l’explicite, et les différents comportements à relever avec nos voisins européens. Les Français s’inscrivent dans le premier, les Allemands dans le second.

Quelle est votre ambition ?

Thibaut Issindou : Gapsmoov est lauréat du Réseau Entreprendre depuis janvier dernier et, depuis six mois, nous sommes membre de l’Association EdTech Lyon. Nous espérons, notamment, grâce à ces partenaires, dupliquer le projet Voltaire (grammaire & orthographe) à notre champ d’expertise : l’interculturalité, avec une certification à la clé.

Focus sur les relations linguistiques franco-allemandes…

« L’Allemagne demeure, de loin, en 2021, le principal partenaire commercial de la France. […] L’Allemagne est, de loin, le premier client et fournisseur de la France. […]. » En caractères gras, voilà ce que l’on peut lire sur le site de la direction générale du Trésor. Et pourtant, les élèves français à choisir la langue de Goethe comme première langue étaient moins de 150 000 cette année-là, selon l’analyse des statistiques de l’Éducation nationale par l’Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France, contre 600 000 en 1994. Et du côté des enseignants, en 2022, plus de 70 % des postes d’enseignants d’allemand sont vacants (informations que l’on peut retrouver sur le site vousnousils.fr, l’e-mag de l’éducation, à l’occasion du 60e anniversaire du traité de l’Élysée et de l’amitié franco-allemande, en janvier dernier). C’est dire la faiblesse à venir de la force de négociation des entreprises françaises avec les partenaires allemands. Et quant au management interculturel… De nature à « griller » quelques points du produit intérieur brut ou à plomber la balance commerciale…

Auteur

  • Murielle Wolski