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Les lesbiennes sortent du placard

Décodages | Inclusion | publié le : 01.04.2023 | Irène Lopez

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Les lesbiennes sortent du placard

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L’identité lesbienne reste aujourd’hui un impensé dans le monde du travail et l’angle mort des actions menées en faveur de la diversité et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Des DRH se mobilisent pour engager une politique inclusive active et volontariste.

Corinne Calendini est directrice d’Axa Wealth Management. En 2020, elle fait son coming out auprès de sa famille et change de vie, mais, au travail, elle ne dit rien. Plus le temps passe et plus elle se sent en complète dissonance.

Comme elle, 44 % des femmes lesbiennes ou bisexuelles affirment ne pas évoquer leurs activités extra-professionnelles connotées LGBT+1 avec leurs collègues, de peur de leurs réactions. Le lundi matin, à la machine à café, le nom de la compagne, Stéphanie, devient Stéphane par exemple. De la même façon, elles sont 38 % à ne pas oser mettre le nom de leur compagne en tant que personne à contacter en cas d’urgence, un tiers d’entre elles ont renoncé à prendre des congés pour parentalité après l’accouchement de leur compagne.

Par peur d’être discriminées, voire d’être empêchées dans leur évolution de carrière, ces femmes font le choix de l’invisibilité auprès de leurs collègues ou de leur hiérarchie.

Le 17 mai 2022, Axa resigne la Charte d’engagement LGBT+ de L’Autre Cercle, association reconnue d’intérêt général pour l’inclusion des personnes LGBT+ au travail. L’organisme fédère plus de 230 organisations publiques et privées adhérentes signataires de la charte d’engagement LGBT+. Cette charte est un cadre formel pour une politique de promotion de la diversité et de prévention des discriminations. Plus de 2 millions de salariés et agents sont ainsi réunis autour de bonnes pratiques RSE et RH concernant l’orientation sexuelle, sujet complexe qui relève de l’intime, comme les convictions religieuses.

C’est ce jour-là que Corinne Calendini choisit de faire son coming out au travail. Face à elle, l’ensemble du Comex Axa France, une salle de 300 personnes et plus de 1 000 personnes connectées. Elle plonge et parle de ses peurs. Sa première peur est d’être la seule. La seule à le dire, la seule à représenter les lesbiennes. Sa seconde peur est de décevoir son collectif de travail. Elle a un collectif de 400 personnes. Comment allait-il réagir ? Sa troisième peur : avoir moins de succès professionnel, car elle travaille dans un environnement professionnel masculin où, malheureusement, beaucoup de relations sont fondées sur une forme de séduction. Allait-elle moins réussir en se déclarant lesbienne ? Sa quatrième peur : celle de ses amis chez Axa qui lui ont dit : « Ne le dis pas, ne te mets pas en danger. »

Résultat de cette mise à nu ? Une standing ovation. « Elle a vu une membre du comex pleurer. » Et des retours spontanés : « Aujourd’hui on ne retient de toi que ton courage. » Beaucoup de femmes sont venues vers elle pour lui dire que grâce à elle, elles oseraient désormais être authentiques, quelle que soit leur « différence ». Elle ajoute : « Pour ma part, cela a été une libération énorme. J’étais à nouveau moi-même, alignée. »

Femme et homosexuelle, la double peine.

Au travail, seul un tiers des femmes lesbiennes ou bisexuelles sont visibles de l’intégralité de leurs supérieurs. Et quand elles le sont, les chiffres sont alarmants : plus de la moitié d’entre elles ont subi une discrimination ou une agression les bophobe au travail.

Cette réalité se mesure par un coût psychique et émotionnel parfois lourd de conséquences : 34 % ont quitté leur employeur à la suite d’agressions et de discriminations et 45 % d’entre elles ont eu des pensées suicidaires selon une enquête commanditée par L’Autre Cercle auprès de l’Ifop en mai 2022.

Forte de ces constats, cette association dédiée à l’inclusion et à la gestion de la diversité LGBT+ au travail lance un guide, publié dans la collection Carrément de L’Autre Cercle. Avec pour objectif de mieux faire entendre leur situation en dressant un état des lieux illustré par des témoignages sur le terrain, le guide Voilat (Visibilité ou invisibilité des femmes lesbiennes au travail) propose des outils et des bonnes pratiques.

À travers des témoignages et des études menées sur le terrain, ce guide met en lumière les freins majeurs qui entravent, aujourd’hui encore, l’inclusion des femmes lesbiennes dans le monde du travail : un sexisme encore très présent et la présomption d’hétérosexualité comme norme. Être femme et homosexuelle est une double peine. Plus qu’un cumul, il s’agit là d’une véritable articulation des violences faites aux femmes, à laquelle s’ajoutent l’image très négative et les stéréotypes associés aux femmes lesbiennes.

La chercheuse en sociologie Sarah Jean-Jacques les a recueillis : « Les lesbiennes ont toujours une apparence très (trop) masculine », « les lesbiennes sont forcément moches, c’est-à-dire non désirables par les hommes et ceci expliquerait qu’elles se tournent vers les femmes », « les lesbiennes le sont parce qu’elles n’ont pas trouvé « le bon », autrement dit : il leur suffirait de rencontrer un homme qui les ferait changer d’avis (d’un point de vue sexuel) », etc.

Dès lors, ces verbatims constituent un climat propice pour jouer la carte de l’autocensure et cultiver leur invisibilité.

« Nommer c’est dévoiler, dévoiler c’est agir. »

Autour de 10 points clés, le guide invite les instances dirigeantes des entreprises privées et publiques, mais aussi les directions de ressources humaines, à repenser les politiques RH en s’engageant dans une démarche authentique en faveur de l’inclusion et de la visibilité des femmes lesbiennes et bisexuelles.

« La première action consiste à nommer, car pour reprendre la célèbre formule de Simone de Beauvoir, « nommer c’est dévoiler, dévoiler c’est agir ». Mais aussi réécrire des politiques qui prennent mieux en compte la présence et la prise de parole des femmes lesbiennes ou bisexuelles. Il faut poser les fondamentaux d’une politique inclusive, à savoir : sensibiliser, communiquer, former, et sanctionner les propos sexistes, lesbophobes ou biphobes. Le chemin à parcourir est encore long et la mise en mouvement est indispensable pour lever les freins, activer de nouveaux réflexes et créer un monde du travail plus inclusif, où chacun dans sa diversité pourra exister librement », déclare Catherine Tripon, porte-parole nationale de L’Autre Cercle et coresponsable du pôle employeurs et de Voilat.

Chez Axa France, une formation sur le « vivre ensemble » ancre les messages d’inclusivité. « Les 13 500 collaborateurs ont l’obligation de la suivre », témoigne Amélie Watelet, DRH d’Axa France.

Rendre visible, c’est aussi donner l’exemple. Aliette Mousnier-Lompré est CEO d’Orange Business Services et « role model » LGBT+. Un role model LGBT+ est une personne LGBT+ dont le succès professionnel, le parcours de vie, les valeurs ou le rôle social sont considérés comme un modèle à suivre pour les personnes LGBT+ et qui contribue, par son engagement et sa visibilité, à une représentation positive des LGBT+. Elle commente : « J’ai développé ma visibilité en plusieurs temps. Jeune stagiaire chez Orange, j’ai fait mon coming out auprès de mon équipe afin de réagir à des propos homophobes et je me suis juré de ne plus mentir. Mais il y a mentir et mentir par omission. J’ai mis plusieurs années à pouvoir en parler naturellement et sans appréhension. Puis, j’ai passé de nouveaux niveaux hiérarchiques et je me suis dit que j’avais une responsabilité pour faire progresser la visibilité des personnes LGBT+. »

Le rôle clé des managers.

L’une des missions d’un manager, homme ou femme, consiste à développer les talents et à garantir la qualité de vie au travail, tout en faisant vivre les valeurs de l’organisation. Dans cette perspective, il doit se montrer exemplaire en adoptant une attitude ouverte à toutes les diversités et se défaire de tout comportement ou propos sexiste ou les bophobe en se formant sur le sujet. Il doit également sanctionner les propos et attitudes sexistes et lesbophobes en affirmant une politique de tolérance zéro.

Ce que Kaidia Bouhet, analyste chez Accenture, résume ainsi : « Zéro tolérance exprimée, partagée par le comex, relayée par la communication, observable dans les faits, avec un enjeu singulier : celui de pratiquer également cette ligne de conduite chez nos clients. Chaque situation de discrimination, que ce soit en interne ou chez le client, est prise en compte et traitée de façon unique pour préserver les employés et maintenir un environnement de travail inclusif. »

Denis Triay, président de la Fédération nationale de L’Autre Cercle, conclut : « Dans le monde du travail, rien ne justifie une moindre visibilité et une moindre inclusion des femmes lesbiennes et bisexuelles. L’expérience démontre que la mise en action d’un collectif de travail permet de lutter contre le sexisme au travail. La visibilité des femmes lesbiennes et bisexuelles au travail bénéficiera à toutes et à tous. » Le 26 avril est la journée de la visibilité lesbienne.

(1) L’acronyme LGBT+ signifie : lesbienne, gay, bisexuel•le, transgenre, et le « + » renvoie aux autres orientations sexuelles et identités de genre.

Auteur

  • Irène Lopez