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Chaudronnier, métier d’avenir en voie d’extinction

Décodages | Métier | publié le : 01.04.2023 | Valérie Auribault

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Chaudronnier, métier d’avenir en voie d’extinction

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Le métier de chaudronnier et ses disciplines souffre d’un déficit d’image. Pourtant, face au plan France 2030 pour réindustrialiser l’Hexagone, il est urgent de dépoussiérer les idées reçues.

Face à son banc de sciage, portant chaussures de sécurité, visière de protection et casque antibruit, Flavien, 18 ans, fait des étincelles sur une pièce circulaire en métal. En 2e année de CAP chaudronnerie à l’école de production O’Tech, à Compiègne, dans l’Oise, il confie : « J’ai découvert le métier lors d’une journée portes ouvertes. Ça m’a plu tout de suite. J’aime bien l’idée de partir d’une feuille de tôle et de la façonner comme on veut. » Ce perfectionniste ne souhaite pas s’arrêter là. « Je veux faire un Bac pro. Peut-être un BTS. » Dans l’atelier, Ticia, 16 ans, explique : « J’ai découvert la chaudronnerie lors d’un stage. Le contact avec le métal m’a plu. Travailler avec mes mains aussi. Je viens de réaliser des roses. » La tige noire affiche ses épines, ses feuilles et ses pétales recourbés. Ne manque plus que la couleur et le parfum. « Très peu de gens sont capables de faire ça », dit-elle. O’Tech a ouvert ses portes en septembre 2021. Le concept : faire pour apprendre. Le directeur, Jean-Hugues Laurent, ex-ajusteur, usineur et chaudronnier, raconte : « Moi-même, je suis tombé amoureux de l’acier. L’acier, ça vit, ça bouge, ça crie, ça vous jette du copeau. On le mate, on le modélise, on le forme. Et ça vous le rend bien quand la pièce est terminée parce que c’est magnifique. Il y a une notion d’esthétisme dans ce métier. Un chaudronnier est un créatif. » Ici, les élèves réalisent et facturent les commandes passées par une vingtaine d’entreprises. Trois industriels locaux sont à l’origine du projet O’Tech : Poclain, Safran et Constructions mécaniques de Chamant. Avant l’ouverture, Jean-Hugues Laurent a fait « du porte à porte à domicile pour présenter le projet et convaincre les parents et les jeunes ». Résultat : 48 élèves inscrits, dont 7 filles. « Et ce ne sont pas des décrocheurs. Ce sont de bons élèves », insiste-t-il.

Le secteur industriel stigmatisé.

Ces ouvriers qualifiés sont parmi les principaux piliers de l’industrie. Ils interviennent dans tous les domaines : énergie (pétrole, gaz, nucléaire, renouvelables), alimentaire, chimie, défense, aéronautique, naval… Les disciplines sont multiples : soudure, tuyauterie, tôlerie… Les salaires oscillent entre 1 500 et 1 800 bruts par mois pour un débutant à 33 000 euros par an pour un salarié confirmé, avec des primes plus ou moins importantes selon les entreprises. Aujourd’hui, la France compte sur ces piliers. Le Gouvernement a mis 34 milliards d’euros dans le plan France 2030 pour réindustrialiser le pays. « Bon nombre d’ouvriers qualifiés sont partis à la retraite et ont emporté leur savoir-faire. Face au souhait du Gouvernement, les industriels sont inquiets, explique Yolande Bufquin, secrétaire générale du Syndicat national de la chaudronnerie, tuyauterie et maintenance industrielle (SNCT). Car sans chaudronniers, soudeurs, tuyauteurs, on ne réindustrialisera pas la France. » Car ces métiers sont en tension : « En 2019, 4 500 sorties d’école ont été enregistrées pour 14 000 postes de chaudronniers, soudeurs et tuyauteurs à pourvoir », indique Marie-Pierre Gillard, directrice des ressources humaines au sein du groupe Ponticelli Frères. À cela, plusieurs raisons. « L’image de l’industrie est germinalisée : ça fume, c’est sale, on en sort tout noir. Alors, qu’aujourd’hui, l’industrie, c’est l’excellence, insiste Jean-Hugues Laurent. On ne peut pas se permettre de travailler dans un univers qui ne soit pas nickel. C’est une obligation de qualité et de sécurité. » Et la filière s’est modernisée. « L’industrie s’est automatisée, robotisée, digitalisée », assure Yolande Bufquin. Le secteur a aussi été abandonné par les politiques. « Les métiers de la filière sont en tension depuis plusieurs décennies. Les politiques menées depuis de nombreuses années ont stigmatisé le secteur industriel. Il y a aujourd’hui un véritable désamour pour la filière, poursuit Marie-Pierre Gillard. Ce manque de main d’œuvre peut être un véritable frein pour porter nos projets. Nous sommes donc contraints de nous tourner vers de la main d’œuvre étrangère. »

L’entreprise, qui œuvre dans de nombreux secteurs (pétrole et gaz, défense, chimie, énergie…), compte 5 200 salariés répartis dans 20 pays. Pour pallier les difficultés de recrutements, le groupe a créé son propre atelier de formation à Saumur, de débutants à Bac + 3 : Ponticelli préfabrication services. « Outre les activités de préfabrication, nous y accueillons les jeunes, les demandeurs d’emploi, les personnes en reconversion pour suivre nos parcours de formations techniques Metal Job. Quelques femmes en reconversion nous ont rejoints également », indique Marie-Pierre Gillard. La devise du groupe : « participer à la transformation du monde », un clin d’oeil aux jeunes générations qui recherchent des métiers qui ont du sens. « Les jeunes se tournent davantage vers les études supérieures. Or les techniciens ont de l’or dans les mains et autant de chance d’évoluer qu’un ingénieur, fait remarquer Marianne Guillier, responsable attractivité et recrutement chez Naval Group. Il faut travailler à l’attractivité de ces filières qui sont notre avenir. »

Le rôle de la société.

Pour beaucoup, le désintérêt du secteur vient aussi des parents et de l’Éducation nationale. « Les années 1970-1980, ont été une période faste grâce à la création du parc nucléaire. Le secteur industriel était alors soutenu en France, observe Yolande Bufquin. Dans les années 1990, le parc nucléaire est fini, donc on a moins formé. Dans les années 2000, les parents voulaient des enfants ingénieurs ou informaticiens. Et on a tourné le dos au secteur industriel. »

L’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) reconnaît l’importance de la sphère familiale et de l’école. « Les parents ont une grande influence sur le choix d’orientation de leur enfant, constate David Derré, directeur emploi-formation au sein la fédération patronale. Il y a également des lacunes concernant l’orientation scolaire. Nous avons besoin d’une grande réforme. Il faut davantage accompagner les jeunes et les parents dès la 5e. » « Près de 70 % des centres de formation aiguillent vers le tertiaire. C’est un vrai problème de société, estime Olivier Ménard, élu fédéral, CFE-CGC Métallurgie. L’erreur a été de dire, il y a 40 ans : tout le monde au Bac. » Et attirer des jeunes filles reste éminemment compliqué. « Dans les filières techniques, il n’y a que 8 à 20 % de femmes, ajoute Olivier Menard. Il faudrait un taux de féminisation de 40 %. Rappelons que pendant les deux guerres, il n’y avait que des femmes dans les usines pour fabriquer des obus pendant que les hommes étaient au front. Il faut les faire revenir dans les ateliers. » Le SNCT déplore déjà la suppression des cours de technologie au collège.

Car une fois le métier découvert, comme pour Ticia et Flavien, bon nombre de jeunes s’engagent. « Notre filière ne se porte pas si mal, admet David Derré. Nous constatons des taux d’inscriptions convenables en Bac pro et BTS. Mais y a-t-il suffisamment d’offres de formation ? Depuis vingt ans, les rectorats ont fermé des formations quand les effectifs étaient durablement à la baisse. Les formations aux techniques industrielles ont été impactées par ces fermetures alors que les offres d’emploi étaient assez nombreuses pour attirer les jeunes. »

Redoubler d’ingéniosité pour attirer.

Deux cents lycées professionnels sont repartis sur le territoire national. Trop peu pour les industriels. Face à ce constat, certains grands groupes s’allient. Ainsi EDF, Naval Group, Orano et CMN ont lancé l’école d’excellence Héfaïs à Cherbourg-en-Cotentin, en septembre 2022, aux côtés de collectivités. Avec la construction de six réacteurs EPR2, EDF a plus que jamais besoin de main d’œuvre qualifiée dans sa filière nucléaire. Ces constructions représentent 30 000 emplois : 20 000 pour la construction, 10 000 pour l’exploitation, tous métiers confondus (emplois techniques, scientifiques, ingénieurs et IT). Au Pôle emploi de Chinon, en Indre-et-Loire, les agents orientent les demandeurs d’emploi vers les métiers de la centrale nucléaire toute proche. « Nous travaillons tout au long de l’année à la promotion de ces filières, indique Alexandre Guilpain, responsable équipe de l’agence Pôle emploi de Chinon. En cas de besoin, les entreprises recrutent les candidats avant la formation pour coller au plus près du profil recherché. À l’issue de la formation, l’entreprise propose un CDD de 6 mois, voire un CDI. Les demandeurs d’emploi ont tout intérêt à aller vers ces métiers. Il s’agit d’emplois durables dans lesquels les perspectives d’évolution d’une industrie à l’autre sont possibles. Et en cas de perte d’emploi, il est aisé de retrouver un poste ailleurs. » Les industriels ont su créer des alliances au fur et à mesure des décennies et des difficultés naissantes avec les agences Pôle emploi, les missions locales et les centres d’information et d’orientation (CIO). De grands rendez-vous annuels informent aussi le public : Semaine du nucléaire, Semaine de l’industrie, sans oublier les jobs datings ponctuels. Les stages de troisième sont aussi l’occasion d’attirer les collégiens. « Lors du stage de troisième, on les accueille en groupe sur un parcours de visite : un jour sur un chantier, le lendemain sur un sous-marin, un autre jour au sein d’un lycée professionnel pour leur montrer les formations et rencontrer les jeunes alternants et des professionnels. Trois jeunes qui étaient venus en stage chez nous ont intégré par la suite le lycée professionnel », indique Marianne Guillier.

Les secteurs du naval et du nucléaire ont mis en place des visites pour les parents et leurs enfants au sein même des entreprises. « Nous avons hérité de 400 ans d’histoire du naval. La vie d’un sous-marin fascine les jeunes, poursuit Marianne Guillier. On leur explique pourquoi nous avons besoin d’un acier spécifique. On les amène doucement comme ça vers les métiers. » En 2021, plus de 180 000 personnes ont pu échanger avec les salariés des différents sites d’EDF. « Ces rencontres permettent à nos jeunes salariés d’expliquer leur parcours de vie, leur parcours professionnel et leurs missions, explique Patrice Risch, directeur de l’emploi chez EDF. Nous constatons qu’ils posent beaucoup de questions sur les métiers qui font sens. Or, nous nous engageons vers une industrie 100 % décarbonée. » Pour atteindre leur cible, certains ont décidé de surfer sur le Web et les réseaux sociaux. En juin 2022, le SNCT a lancé la plateforme SNCT Jobs. Les entreprises y déposent leurs offres de stages et d’emplois. Dans une vidéo, sur son site Internet, le groupe Ponticelli Frères fait témoigner ses salariés sur la réalité des métiers.

D’autres misent sur les influenceurs. « Certains d’entre eux vulgarisent les métiers et atteignent les jeunes. Les réseaux sociaux peuvent être un plus », estime Patrice Risch. Face au bouleversement de ces dernières années, David Derré de l’UIMM se veut optimiste : « La crise sanitaire a secoué beaucoup de secteurs, rappelle-t-il. Ceci a permis d’accélérer la prise de conscience concernant notre indépendance et notre souveraineté industrielle. De ce fait, nous attendons beaucoup de cette prise de conscience politique et sociétale. »

Auteur

  • Valérie Auribault