logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

Titre de séjour « métiers en tension » : l’immigration économiqueen questions

À la une | publié le : 01.04.2023 | Dominique Perez

Image

Titre de séjour « métiers en tension » : l’immigration économiqueen questions

Crédit photo

Trop brûlant. Intervenant dans un contexte politique et social très chahuté, après la réforme des retraites dans l’agenda parlementaire, le vote du projet de loi « immigration, intégration, asile », qui devait représenter l’un des dossiers d’importance du second quinquennat d’Emmanuel Macron, a été reporté. Mais le débat reste ouvert.

Le texte de la loi Immigration, intégration, asile voté en mars 2023 dans une version amendée par la commission des lois du Sénat, attendra des jours plus sereins pour poursuivre son parcours et être présenté devant les parlementaires. Parmi ses mesures « phares », et des plus controversées, le titre de séjour « métiers en tension », qui offre une possibilité de régularisation, sur critères, de travailleurs étrangers en situation irrégulière, représente l’essentiel du volet « intégration » d’un projet de loi qui se veut par ailleurs plus répressif. Admettre que des travailleurs étrangers travaillent illégalement sur le sol français et qu’ils sont utiles à l’économie du pays, un premier pas ? « Poser clairement le sujet de l’immigration économique peut effectivement être considéré comme un progrès, estime Lydie Nicol, secrétaire nationale CFDT, en charge, notamment, de la politique immigration. Mais l’occasion de débattre sur une politique migratoire ambitieuse, qui aurait pu prévoir un accueil digne et une intégration durable des étrangers a été manquée. De plus, le moment était mal choisi, dans ce contexte déjà très tendu, il aurait fallu prendre le temps de travailler sereinement sur ce sujet. »

Loin d’être le prélude à une régularisation massive, la création de ce titre de séjour « métiers en tension », d’une durée d’un an et expérimental, concernerait des travailleurs déjà présents sur le territoire français depuis au moins trois ans et ayant travaillé au moins huit mois au cours des vingt-quatre derniers mois, dans un métier qui connaît une pénurie de recrutement. Trop « utilitariste » pour les uns, car considérant l’apport des immigrants avec le seul prisme « main d’œuvre ponctuelle », trop permissif pour les autres, il a représenté cependant l’occasion de libérer quelque peu une parole assez bridée sur le sujet de l’immigration de travail. Après des années où la question a été mise sous le boisseau, des employeurs, mais surtout certains de leurs représentants commencent à prendre la parole pour admettre une réalité à la fois très visible et… très cachée. Parmi les voix les plus médiatiques, celle du chef Thierry Marx, qui s’est prononcé, au nom de sa fédération, l’Union des métiers de l’hôtellerie et de la restauration, pour une régularisation des travailleurs étrangers exerçant dans ce secteur et dénonçant les obstacles mis notamment au renouvellement des titres de séjour, laissant travailleurs comme patrons dans l’illégalité. Une parole à laquelle tout le monde n’adhère pas. Cette éventualité de régularisation ne manque pas, en effet, de déclencher les foudres de l’extrême droite et d’une partie de la droite qui craignent un « appel d’air ». Un terme qui fait presque sourire certains professionnels. « Vous êtes déjà rentré dans la cuisine d’un restaurant parisien ? résume Vincent Sitz, président de la commission emploi formation handicap du Groupement des hôtelleries et restaurations de France. Tous ceux qui craignent cet appel d’air doivent se rendre à l’évidence, dans notre secteur, par exemple, 20 % des salariés sont immigrés, et nous avons besoin d’eux. C’est beaucoup plus encore dans d’autres domaines d’activité. Alors, faciliter les démarches de régularisation, nous sommes pour. »

Une loi utile ?

Le projet de loi apporte-t-il des réponses attendues pour faciliter des démarches considérées comme chronophages et aléatoires ? Grégoire Hervet, avocat spécialisé en droit des étrangers au sein du cabinet Exilae, fait plus qu’en douter. « Le titre de séjour métiers en tension est très révélateur de l’hypocrisie française, estime-t-il, car, dans les faits, la possibilité de régularisation existe déjà. D’un côté, c’est vrai, le Code du travail spécifie qu’un employeur n’a pas le droit d’embaucher un travailleur étranger en situation irrégulière. Mais en 2012, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur sous la présidence de François Hollande, a publié une circulaire précisant que « si l’étranger justifie d’un certain nombre d’années de présence en France et d’un certain nombre de fiches de paie, il peut, à la libre appréciation des préfets, demander un titre de séjour au titre du travail par l’intermédiaire de son employeur. Cela signifie que globalement, aujourd’hui, il existe déjà des conditions exceptionnelles d’admission au séjour, notamment par le biais du travail. À ce titre, la nouvelle mesure concernant les métiers en tension n’était absolument pas nécessaire. Ce qui l’aurait été c’est de légiférer, de transformer la circulaire Valls en texte de loi. »

Des contrôles renforcés…

Changement d’importance cependant, le projet de loi prévoit que les demandes de régularisation dans le cadre du titre de séjour « métiers en tension », jusqu’alors à la main des employeurs, seraient effectuées par les travailleurs eux-mêmes, dans le but « d’inverser le rapport de force » avec certaines entreprises « qui trouveraient un avantage à ce que des salariés soient dans une situation d’illégalité », avait affirmé Olivier Dussopt, ministre du Travail, au moment de la présentation de la loi. Un changement longtemps demandé par exemple par la CGT, mais qui ne va pas du tout assez loin pour le syndicat, qui craint notamment « un tri » entre les travailleurs étrangers en fonction de leur situation par rapport au marché de l’emploi. Le syndicat prône la régularisation de tous ceux qui travaillent actuellement sur le territoire. Un objectif qui se situe très loin de ce que prévoit le Gouvernement, qui marche sur des œufs dès que le sujet du nombre de personnes potentiellement concernées est évoqué. De « quelques dizaines de milliers » à « quelques milliers », les ministres de l’Intérieur et du Travail jouent la prudence dans leurs déclarations, à défaut de la clarté. Reste que ce chiffre dépendra également du nombre de dossiers déposés par des travailleurs étrangers qui devront être à la fois informés et soutenus dans leurs démarches. Des pressions pourront-elles être exercées par certains patrons pour les en dissuader ? La crainte des contrôles1 prévus dans la première version du projet de loi pourrait, pour Grégoire Hervet, le laisser craindre. « Il assortit la demande de titre de séjour de tellement de conditions et de risques pour l’employeur que les entreprises risquent de ne pas soutenir les demandes de régularisation des salariés, estime-t-il. Notamment à cause des contrôles systématiques qu’elles déclencheraient et qui ne concerneraient sans doute pas seulement le cas du travailleur étranger porteur de la demande. Je ne suis ainsi pas vraiment certain de l’effet positif de la mesure ! » Une préoccupation partagée par Éric Chevée, vice-président de la CPME, en charge des affaires sociales : « La question est de savoir comment un dirigeant va être exposé face à la loi. Les situations que l’on connaît actuellement concernent très majoritairement des chefs d’entreprise confrontés à la question du renouvellement des titres de séjour de salariés qu’ils veulent conserver, pas des patrons qui fraudent volontairement. Ce que nous souhaitons, c’est une simplification des procédures, pour que ces situations ne se produisent plus. De plus, je suis dubitatif sur le fait que le travailleur puisse faire seul cette démarche, très compliquée. » Procédures complexes et bonne foi des employeurs, qui n’auraient pas toujours le temps ni les connaissances nécessaires pour vérifier la légalité des titres de séjour… L’argument fait sourire, y compris certains représentants patronaux. « Quand un employeur sait que le travailleur est sans papiers, à 90 %, c’est plutôt une situation qu’il exploite comme un avantage, plutôt que d’essayer de l’arranger, soyons honnêtes, explique l’un d’eux en « off ». Car il est assez simple, finalement, de savoir si quelqu’un a ou non des papiers en règle. C’est pourquoi certains grands groupes ont tendance à ne pas se pencher vraiment sur la question. »

Certains secteurs ciblés

Souhaitant également et peut-être avant tout, à travers cette loi, à faire la chasse au travail illégal en renforçant ces contrôles, un objectif affiché depuis 2021, (17 % au moins des irrégularités constatées dans ce domaine concerneraient l’emploi de travailleurs « sans papiers »), le ministre de l’Intérieur a nommément ciblé certains secteurs, comme l’hôtellerie-restauration, le bâtiment, les plateformes… Sans nier toute dérive, mais en insistant sur la complexité des procédures et, donc, la « bonne foi » de la plupart des chefs d’entreprise, la plupart des représentants patronaux préfèrent insister sur les efforts déjà effectués dans ce domaine : « Avec la carte BTP, la limitation de la sous-traitance en cascade… nous avons mis en place des dispositions qui permettent de réduire la part du travail illégal, explique, par exemple, Olivier Salleron, président de la Fédération nationale du bâtiment. Mais pour lutter contre les entreprises peu vertueuses, car il en existe, je ne ferme pas les yeux, nous considérons que la venue d’une nouvelle mesure prise en responsabilité par l’État va dans le bon sens. »2

Pour la CFDT, qui considère comme une avancée positive que l’initiative de la demande de régularisation soit prise par le salarié, le doute est cependant présent. « Aujourd’hui le travailleur sans titre de séjour, n’a aucun droit et ne peut même pas ester en justice devant les prud’hommes. Donc il s’agit d’une avancée, estime Lydie Nicol. Ceci dit, pour pouvoir prouver qu’il exerce un métier en tension et demander un titre de séjour, il devra obtenir certains papiers de la part de son employeur. Si vous ajoutez à cela le risque d’une amende administrative à l’encontre des entreprises… à laquelle nous sommes évidemment favorables dans le principe, il est probable que certains chefs d’entreprise ne favoriseront pas cette initiative, sauf ceux qui, de bonne foi, avaient déjà engagé des démarches. Nous sommes donc sceptiques sur l’opérationnalité de la mesure. » Pour Vincent Sitz, « la crainte des employeurs sur les conditions des contrôles doit effectivement être levée. Nous échangeons sur cette question avec le ministère de l’Intérieur. Mais par rapport aux volumes de travailleurs demandés, il faudrait que tout cela aille très vite, nous souhaitons une simplification rapide ». Or, cette vélocité souhaitée n’est plus vraiment à l’ordre du jour, au vu de l’agenda parlementaire fortement bousculé par la réforme des retraites…

L’apprentissage de la langue, autre point d’achoppement

Autre raison des réticences, voire des questionnements vis-à-vis du titre de séjour, la maîtrise obligatoire de la langue française, prévue dans le projet de loi, dont les entreprises devraient se charger. Qui va prendre en charge la formation et comment ? Les Opco seront-elles mobilisées ? Est-ce que les cours devront se dérouler sur le temps de travail ? « Cela n’est pas encore défini, constate Éric Chevée. Mais la Confédération des petites et moyennes entreprises s’est déclarée pour que du temps soit libéré pour intégrer le salarié dans les meilleures conditions et qu’il puisse apprendre le français plus rapidement. Nous voulons bien faire cet effort. » Le Sénat, dans son rapport de commission des lois du 15 mars 2023, ajoute quelques éléments au projet de loi, en proposant par exemple la maîtrise d’un niveau de langue A2 (intermédiaire ou usuel), ce qui n’avait pas été défini jusqu’alors « pour obtenir un titre de séjour de longue durée » et y ajoute « la réussite à un examen civique centré sur les valeurs, l’histoire et la culture françaises ». Pour Vincent Sitz, « Le GNI a prôné depuis longtemps, ce qui a été repris dans le projet de loi, une obligation des employeurs à la formation de ces salariés. Il faudra la monter avec les Opco respectifs des différentes branches et les commissions paritaires nationales de l’emploi et de la formation professionnelle, mais nous allons trouver des solutions, je ne suis pas inquiet. » Pour d’autres branches, il s’agit d’une contrainte de plus. « Nous n’avons pas attendu l’État sur la question de la formation, en mettant en place un plan de lutte contre l’illettrisme, précise Philippe Jouanny, président de la Fédération des entreprises de propreté, d’hygiène et services associés. Mais le niveau de formation prévu dans le projet de loi est beaucoup plus élevé, et, de plus, s’il est prévu pendant les horaires de travail, il faudra organiser un remplacement des salariés. Nous devrions aussi prendre en charge le coût pédagogique ? C’est une triple peine. »

(1) Les contrôles, (article R. 5221-20 du Code du travail) porteraient notamment sur le respect par l’employeur de ses obligations déclaratives sociales, de l’absence de sanctions pénales ou administratives antérieures pour des faits de travail illégal et sur la conformité du niveau de rémunération avec les minimums légaux ou conventionnels.

(2) « L’instruction d’une demande de titre de séjour « travail dans des métiers en tension » s’accompagnerait d’une saisine des plateformes interrégionales main d’œuvre étrangère.

Auteur

  • Dominique Perez