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Métiers en tension, de quoi parle-t-on ?

À la une | publié le : 01.04.2023 | Dominique Perez

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Métiers en tension, de quoi parle-t-on ?

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Combien, lesquels, comment seront-ils définis et pour combien de temps ? Des interrogations se font jour sur la définition et le périmètre des « métiers en tension » qui pourraient donner lieu à une régularisation.

Des milliers ? Des dizaines de milliers ? Des quotas concernant chaque métier ? Les communications gouvernementales à propos des métiers dits « en tension » ouvrant droit au titre de séjour d’un an envisagé se sont enchaînées, illustration des craintes de réactions politiques que cette sélection suscite. Le titre de séjour « métiers en tension » va-t-il satisfaire les aspirations de secteurs d’activité en attente de mesures fortes pour répondre à leurs besoins ? Pour l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), notamment, la question n’a pas jusqu’à présent été considérée comme une priorité, d’autres pistes pouvant être explorées pour répondre à une pénurie qui touche tous les secteurs. « Nous n’avons cependant pas, dans notre dernière enquête auprès de nos adhérents, posé la question de savoir si ce titre de séjour pourrait être une des réponses apportées à la pénurie de main d’œuvre qui touche aujourd’hui tous les territoires et quasiment tous les métiers, commente Audrey Richard, présidente nationale de l’association. L’option de ce titre de séjour semble une idée intéressante, mais nous développons actuellement de manière privilégiée d’autres pistes. » En phase avec l’actualité, « celle de l’apport des seniors demandeurs d’emploi. Nous souhaitons agir contre le déficit d’image qui les touche ». Cependant, l’ANDRH envisage de réaliser une « micro-enquête » spécifique sur cette question auprès de ses adhérents. » Politiquement sensible, le sujet, désormais à l’ordre du jour des branches professionnelles, semble susciter beaucoup plus de prudence de la part des employeurs eux-mêmes, particulièrement dans les grandes entreprises.

Des listes à reviser

Sur quels critères précis seront définis ces métiers ? Le ministère du Travail, que nous avons sollicité sur cette question, n’a pas souhaité éclaircir ce point délicat, qui devrait être tranché au moment de la présentation de la loi à l’Assemblée nationale. La « large concertation avec les partenaires sociaux » annoncée par Olivier Dussopt pour réviser les listes régionales déjà existantes, publiées en 2021 et qui n’avait pas été réactualisées depuis… 2008, n’a, semble-t-il, pas eu lieu de manière aussi « formelle » ou avec l’ampleur prévue. Cependant, la révision de ces listes suscite un espoir certain, notamment auprès du secteur de l’hôtellerie-restauration, qui considère avoir été quelque peu oublié de l’histoire jusqu’à présent : « Notre première demande par rapport à la loi est déjà d’être inscrits dans la liste, ce qui n’était pas le cas aupara-vant, » explique Olivier Dardée, porte-parole de la commission confédérale des affaires sociales de l’Union des métiers de l’hôtellerie et de la restauration. « Nous comptons 1,2 million de salariés, nous cherchons encore 250 000 collaborateurs, et 40 000 alternants supplémentaires sur 80 000 alternants. Nous pouvons ainsi affirmer que tous nos métiers sont en tension », détaille-t-il. Pour Lydie Nicol, de la CFDT, « Il faudrait réfléchir d’abord par secteurs professionnels et pas par métiers, avec une part territorialisée. Par exemple, pour un soudeur, on n’aura pas les mêmes besoins dans l’est de la France ou sur la façade Atlantique… Il faudrait laisser une marge suffisante aux régions et aux acteurs professionnels de chaque secteur pour les définir. » Concrètement, une liste nationale doit être établie, ensuite communiquée aux Comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles qui vont devoir donner un avis dans chaque région.

Un métier en tension, pour combien de temps ?

Autre question des syndicats : « Les travailleurs embauchés sur un métier en tension, et qui ne l’est plus au bout d’un an, que vont-ils devenir ? » Le projet de loi répond partiellement en prévoyant une possibilité de « basculement », pour les travailleurs étrangers ayant un titre de séjour « métiers en tension » vers une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « salarié » pour les travailleurs « ayant exercé une activité professionnelle dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée ». Par ailleurs, le risque de « cantonner » les travailleurs étrangers dans des métiers en tension dits de « premier niveau » est, pour certains, tangible. Jean-François Foucard, secrétaire national emploi-formation de la CFE-CGC, estime que « si on veut valoriser les métiers dits en tension, il faudrait d’abord se pencher sur les conditions de travail, les salaires, de métiers à faible valeur ajoutée, notamment de première ou de deuxième ligne, très mobilisés pendant la crise sanitaire, ce qui permettrait d’intégrer plus de travailleurs français. On a le taux d’accidents du travail le plus important d’Europe, notamment dans le BTP, dont les grands chantiers comprennent une majorité de travailleurs étrangers. Les régulariser en les laissant dans des métiers de premier niveau, sans les valoriser, va provoquer une forte usure au travail, occasionner des arrêts prématurés, et coûter à la collectivité. » Ce dont se défend notamment la Fédération nationale du bâtiment : « La liste des métiers en tension que nous avons fournie ne concerne pas que les métiers de premier niveau, pas seulement les maçons, par exemple, précise Olivier Salleron, mais également les métiers du photovoltaïque, de la rénovation… Il n’y a pas pour nous de métiers « dédiés aux étrangers » par rapport aux travailleurs français, je ne vois pas l’intérêt de les différencier. »

Enfin, est mise en avant une certaine « volatilité » ou incertitude, sur la durée même des métiers en tension, dont la liste selon la proposition du Gouvernement, serait cependant amenée à être révisée tous les ans. Exemple probant : la branche de la propreté, qui dans un premier temps a échangé sur les métiers en tension avec le ministère du Travail, mais qui estime que la situation a changé. « Il y a encore 6 mois, nous avions de forts besoins de recrutement, explique Philippe Jouanny, de la Fédération des entreprises de propreté. Nous avons, suite à la crise sanitaire, réalisé des avancées sociales conséquentes sur les métiers dits « de la deuxième ligne », notamment sur injonction gouvernementale, qui a porté sur la revalorisation des salaires (de 11 % en 2022-2023) ce qui a eu un impact sur les marges de nos entreprises, à forte intensité de main d’œuvre. Mais nous ne parvenons pas à transformer ces augmentations de salaire en revalorisation des prix. » Principaux « accusés » : les acheteurs publics, qui représentent 25 % du chiffre d’affaires du secteur et n’ont pas du tout « répercuté les conséquences de cette revalorisation sur les prix. » Conséquence : « nous n’affichons plus de tension forte sur le recrutement, mais travaillons plutôt sur des ajustements, des réorganisations du travail. Le besoin de main d’œuvre, même si cela est probablement provisoire, est actuellement beaucoup moins sensible. »

Des besoins conséquents

Selon une étude publiée en mars 2022 par la Dares et France Stratégie, intitulée « Les métiers en 2030 », 760 000 postes seraient à pourvoir par an jusqu’à 2030, avec un écart entre ces besoins et le vivier de candidats qui pourrait atteindre un tiers. Parmi eux, nombre de postes de premier ou deuxième niveau, comme les agents d’entretien, les aides à domicile, les aide-soignants… De plus, selon une enquête de la Confédération des PME sur la situation de l’emploi et des salaires dans les TPE et les PME publiée en novembre 2022, 53 % des dirigeants cherchent à recruter, et 91 % signalent des difficultés à y parvenir.

Les principaux dispositifs ouvrant droit à l’emploi et à la régularisation des travailleurs étrangers en France

Un employeur peut demander, dans le cadre de l’article L. 414-13 du Ceseda, la délivrance d’un titre de séjour pour un travailleur étranger, quand il s’agit « d’un métier et d’une zone géographique caractérisée par des difficultés de recrutement ».

• Soit cet emploi relève de la liste des métiers en tension définie régionalement. En 2022, 17 000 demandes d’autorisations de travail concernaient des postes non soumis à l’opposabilité de la situation de l’emploi, soit 7 % des projets de recrutement.

• Soit l’offre pour cet emploi a été préalablement publiée pendant un délai de trois semaines auprès des organismes concourant au service public de l’emploi et n’a pu être satisfaite par aucune candidature répondant aux caractéristiques du poste de travail proposé.

Auteur

  • Dominique Perez