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« L’apport de l’immigration est complémentaire mais ne vient pas “à la place de” »

À la une | publié le : 01.04.2023 | Dominique Perez

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« L’apport de l’immigration est complémentaire mais ne vient pas “à la place de” »

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Emmanuelle Auriol est coauteure, avec Hillell Rapoport, de la note « L’immigration qualifiée, un moteur de la croissance » en novembre 2021.

La création envisagée d’un titre de séjour « métiers en tension » dans le projet de loi immigration, intégration, asile vous semble-t-elle aller dans le bon sens ?

Emmanuelle Auriol : Oui, pour plusieurs raisons. La première est que cela permet de sortir un peu de ces débats portant sur des questions identitaires et sécuritaires, en parlant enfin d’économie, en lien avec les problèmes que notre pays rencontre en ce moment. 50 % des entreprises cherchent des salariés et ne les trouvent pas. Or, il faut que les Français dans leur ensemble comprennent que quand on ne peut pas recruter, on renonce à créer de l’activité économique, y compris à créer des emplois pour nos enfants et on se prive de la croissance. Il est dramatique de ne pas permettre aux entreprises de développer leurs activités. Certaines d’entre elles renoncent à certains chantiers faute de main d’œuvre. Dans ce cadre, l’apport de l’immigration est complémentaire mais ne vient pas « à la place de ». Les métiers exercés, en matière de compétences, se situent aux deux bouts de la chaîne : il s’agit de postes peu ou pas qualifiés, que l’on a du mal à pourvoir, mais aussi très qualifiés, par exemple dans le domaine de la santé, de la recherche, de l’industrie… La création d’un titre de séjour intitulé « métiers en tension » a le mérite d’admettre que des besoins ne sont pas pourvus à ces deux extrémités. Les plus petites des entreprises sont particulièrement impactées par ce déficit de compétences, car, autre risque mal pris en compte, les plus grandes ont toujours les moyens de délocaliser des activités faute de pouvoir recruter suffisamment en France… Ce problème de pénurie, amplifié par la Covid-19, va finir par étouffer notre croissance et nous placer collectivement dans des situations intenables budgétairement.

Que pensez-vous du fait que ce nouveau titre de séjour prévoit une démarche du salarié, et pas de l’employeur lui-même ?

E. A. : C’est une véritable avancée. L’un des défauts des dispositifs existants est que, les entreprises actuellement devant défendre les dossiers des salariés et pas les travailleurs eux-mêmes, il peut exister une dépendance créant des relations malsaines avec l’employeur. Le salarié devient ainsi plus libre de choisir un métier et une entreprise. Donc pour moi, cette mesure va dans le bon sens, même si, évidemment, les régularisations risquent d’être un peu marginales par rapport aux besoins. Mais cela devrait permettre de freiner une concurrence déloyale, car les entreprises qui emploient des salariés sans titre de séjour en général les rémunèrent moins, et ne paient pas de charges sociales. De l’autre côté, celles qui ne souhaitent pas procéder ainsi, et souhaitent rémunérer tous leurs salariés de manière équitable vont pouvoir, avec des salariés régularisés, remettre les choses à plat de manière propre. Les patrons voyous risquent juste, eux, de perdre ces salariés qu’ils exploitent.

Et des craintes de « l’appel d’air » mises en avant par certains partis ?

E. A. : L’appel d’air ne vient pas du fait qu’on attribue des titres de séjours ou non ! Quand on est immigré, même en situation irrégulière aujourd’hui en France, on trouve du travail, cela signifie que le besoin est là. 95 % de l’immigration mondiale est économique. Quand on migre, ce n’est pas pour faire du tourisme, on choisit les pays qui recrutent. Simplement, quand on organise l’immigration « proprement » on peut passer des accords avec les pays d’origine, mettre en place des agences de recrutement dans les pays, faire en sorte que les gens prennent l’avion et pas des bateaux qui coulent. Laisser la situation ainsi n’est vraiment pas compatible avec la République. Je suis pour les quotas, par exemple, ce qui permet d’être clair. Il faut une transparence et une communication sur ce sujet, il ne faut pas le laisser à l’extrême droite. Si on ne dit rien, on laisse penser que l’extrême droite a raison. De son côté, la gauche est très mal à l’aise avec la notion d’immigration choisie… Moi je n’ai aucun problème avec ça.

Une des craintes des employeurs est l’amplification des contrôles sur le travail illégal…

E. A. : Cesser l’exploitation des personnes qui travaillent dans des métiers comprenant une grande pénibilité est nécessaire, car certains en font un business. Il faut opérer des contrôles, bien évidemment. Si on permet aux entreprises d’embaucher légalement des immigrés, il n’y a aucune raison qu’elles le fassent de manière illégale, à part les patrons voyous. Mais on ne peut pas pénaliser aujourd’hui aveuglément les entreprises qui emploient des personnes en situation irrégulière parce qu’elles ne trouvent pas de salariés, au risque de fermer boutique. Si on permet de recruter des personnes avec des titres de séjour temporaires, même de trois ou quatre ans, les entreprises n’auront aucune raison de procéder différemment. Il ne serait pas raisonnable de sanctionner après coup des employeurs qui voudraient être en règle, mais je ne pense pas que cela soit l’esprit de la loi. On peut imaginer des pénalités pour les patrons voyous à partir du moment où ils peuvent faire autrement.

Ce projet de loi, dorénavant reporté, était-il suffisant ?

E. A. : Il va dans le bon sens, mais il reste encore très timide. Il faudrait gérer l’immigration d’une manière différente. Par exemple, on manque de personnel soignant, il serait bien de favoriser également une immigration qualifiée. Les personnes très qualifiées ont le choix entre les pays, mais en France on n’a pas de canal efficient pour les faire venir, à part le titre Passeport talent qui ne fonctionne pas bien. Au Canada, ils ont un titre de séjour à points qui leur permet de recruter facilement, par exemple des infirmières… En France, on commence à mourir aux urgences ! L’autre problème est que l’on mélange dans la loi la question de l’asile et de l’immigration. Or cette dernière essentiellement économique, les gens viennent pour se former et pour travailler. On y ajoute, de plus, le problème sécuritaire, cela provoque une confusion des genres L’immigration pose très minoritairement un problème de sécurité et d’identité, mais si on ne le dit pas aux Français, et que l’on axe les discours sur ces thèmes, ils vont le croire. Je voudrais que l’on parle de l’immigration pour ce qu’elle est, c’est-à-dire essentiellement économique. La France a été une grande terre d’asile et 25 % des Français ont un ancêtre étranger. L’immigration crée du génie et si on est riche aujourd’hui, c’est que l’on a accueilli une immigration économique. L’Allemagne l’a bien compris, l’Australie aussi… La France est classée 19e dans le classement de l’attractivité des jeunes talents1 alors nous sommes la 6e puissance économique mondiale. Mais le sujet est radioactif en France, j’ai reçu des lettres d’insultes incroyables suite à la publication de ma note pour le Comité économique et social. La parole n’est pas très libérée sur ce thème, on s’expose à des violences. Mais je préfère dire la vérité.

(1) Index mondial de compétitivité des talents, 2022. Édité par l’Insead, le Portulans Institute et le Human Capital Leadership Institute.

Auteur

  • Dominique Perez