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Apprentis étrangers : des patrons mobilisés pour leur régularisation

À la une | publié le : 01.04.2023 | Dominique Perez

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Apprentis étrangers : des patrons mobilisés pour leur régularisation

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Cela aurait pu être l’occasion. Mais peu d’entre eux rempliront les critères permettant l’obtention du titre de séjour « métiers en tension ». Les apprentis étrangers menacés d’expulsion du territoire pendant ou à l’issue de leur parcours de formation restent dans une situation fragile.

Arrivés en France, pris en charge pour la plupart d’entre eux par l’Aide sociale à l’enfance en tant que mineurs non accompagnés, ils s’inscrivent dans des lycées professionnels ou des CFA pour préparer des métiers considérés comme « en tension ». Une opportunité, parfois une aubaine pour des patrons qui ne parviennent pas à recruter, et pour des établissements qui peinent parfois à remplir leurs sections dans le bâtiment, l’artisanat de bouche, la gestion des déchets, l’aide à domicile… Mais, nombre de ces jeunes reçoivent, à leur majorité, une obligation de quitter le territoire (OQTF) délivrée par le préfet, qui les laisse, eux, leurs formateurs et leurs patrons, dans une situation plus que difficile, humainement comme professionnellement. Mobilisations, pétitions, recours au tribunal administratif, rencontres avec les préfectures… Il faut souvent des mois, voire des années, avant d’obtenir gain de cause, après un parcours juridique qui laisse des patrons épuisés. C’est l’incompréhension qui domine, comme pour Isabelle Tanné, dirigeante de Divin, spécialisée dans la distribution d’équipements vinicoles et industriels à Eysines (Gironde) qui a signé, il y a deux ans et demi, un contrat d’apprentissage avec un jeune malien, Mahmadou Doucouré, arrivé en France à l’âge de 15 ans, reconnu mineur et accompagné à ce titre par le conseil départemental de la Gironde. Au bout de deux ans, son CAP opérateur logistique en poche « nous lui avons proposé un CDI, témoigne-t-elle. Il a souhaité poursuivre sa formation par un titre professionnel de technicien d’entreposage, pour acquérir plus de compétences, notamment en informatique. Nous avons donc prolongé son contrat, en attendant de l’embaucher. » Le jeune homme est un atout de poids dans l’entreprise : « Il est très autonome, motivé, il sait tout faire, il s’est parfaitement intégré… » À la veille de ses 18 ans, en juillet 2021, il dépose, comme c’est l’usage, une demande de titre de séjour salarié auprès de la préfecture de la Gironde. En attendant l’instruction de son dossier, des récépissés lui sont délivrés afin qu’il puisse poursuivre son apprentissage.

En juillet 2022, la réponse du préfet tombe : elle est négative. Le jeune homme doit quitter le territoire. « Au prétexte que ses papiers d’identité seraient faux, alors qu’ils avaient été reconnus valides jusque-là, s’indigne sa patronne, qui enchaîne les demandes de soutien et les actions pour son apprenti. « Je ne peux pas me mettre hors la loi en continuant à le faire travailler, mais il ne partira pas, affirme-t-elle. Ces jeunes qui veulent s’en sortir, il faut les aider ! » Soutenu par ses collègues, son centre de formation et des associations telles que Patrons solidaires, demande de soutien de la maire, de plusieurs institutions, articles de presse… « Ça commence à bouger un peu », reconnaît-elle.

Patrons solidaires

Des situations comme celle-ci, Patricia Hyvernat, présidente de l’association Patrons solidaires, en a l’écho tous les jours. Cette patronne de boulangerie de la Chapelle-du-Châtelard, dans l’Ain, sillonne la France à la rencontre de chefs d’entreprise qui appellent l’association pour demander de l’aide. Nantes, Lille, Rennes… des antennes se créent. Avec des situations différentes selon les régions, « mais dans certains départements, la demande de régularisation aboutit en plus à un contrôle de l’entreprise, avec des amendes à la clé, ce qui peut la mettre en péril. » Elle-même a vécu cette situation en 2021, allant jusqu’à faire une grève de la faim pour obtenir la régularisation de Yaya Bah, jeune Guinéen qu’elle souhaitait intégrer comme apprenti dans son entreprise (lire encadré). Elle avait été alors soutenue par Stéphane Ravacley, également boulanger à Besançon, qui avait lui-même cessé de s’alimenter pour la régularisation de son apprenti et a créé l’association Patrons solidaires.

Ces situations, bien que peu relayées « officiellement », mais soutenues plutôt localement, sont aujourd’hui portées par certaines fédérations et organisations d’employeurs, au plus haut niveau, qui expriment les préoccupations de leurs adhérents. À l’occasion des discussions occasionnées par le projet de loi « immigration, intégration, asile », la Fédération nationale du bâtiment, notamment, a demandé que la situation de ces jeunes soit considérée auprès du ministre du Travail. « Pour nous, c’est clair, les jeunes intégrés, qui souhaitent réussir leur vie, qu’ils préparent un CAP ou un diplôme d’ingénieur, s’ils souhaitent rester plusieurs années ou s’installer, doivent pouvoir le faire, exprime clairement Olivier Salleron, président de la fédération. Ce sont des drames humains, qui existent aussi dans le bâtiment, nous avons souvent des remontées de nos adhérents. » Si le ministre du travail dit connaître parfaitement le dossier, « cette question reste plutôt dans le giron du ministère de l’Intérieur » constate un observateur. Et la Place Beauvau n’exprime pas, à l’heure actuelle, sa volonté de s’emparer du dossier.

Des situations différentes d’un département à l’autre

Pour Samuel Kohen, dirigeant de Sabeko, entreprise lyonnaise spécialisée en plomberie, chauffage et climatisation de 128 salariés, qui a fait de l’apprentissage une des principales voies de recrutement dans sa société, le titre de séjour « métiers en tension » pourrait être une opportunité pour des travailleurs étrangers formés en France. Chez lui, les jeunes étrangers, mineurs non accompagnés, représentent les 2/3 de ses recrutements d’apprentis. « On n’est pas loin de la moitié des effectifs dans certains lycées professionnels et CFA. Soit on estime que c’est une menace, soit on considère qu’il s’agit d’une opportunité. Vu le contexte du marché de l’emploi, il est difficile de ne pas le considérer comme une opportunité ! Ils sont extrêmement motivés, disciplinés, ont envie d’apprendre, de réussir, et cherchent à réussir leur intégration par le travail. Pour vivre, et avoir une chance d’obtenir une régularisation. Ils restent souvent dans l’entreprise sur le long terme. » Soumise à la décision de la préfecture de chaque département, la délivrance de titres de séjour pour ces jeunes reste ainsi aléatoire, dépendant de la politique de chaque préfecture. Depuis quatre ans, ce patron n’a ainsi connu qu’une seule OQTF sur une cinquantaine de jeunes formés, pour une question de vice de forme administrative. « Il y a beaucoup de démarches mais on arrive toujours, à Lyon, à avoir gain de cause, y compris pour ce jeune, on a fait un point sur le dossier et on a pu le garder. » Si les conditions se durcissaient, le risque serait fort, pour lui, de décourager les patrons : « C’est un investissement de prendre un jeune en apprentissage, pour nous c’est un engagement de trois ans en général. Si jamais ils ont un doute sur leur régularisation après leur formation, les patrons risquent de moins s’engager. Alors qu’ils ont besoin de main d’œuvre. Je suis confiant dans le fait que le Gouvernement trouve des solutions. »

Mamadou Yaya Bah, un exemple d’intégration

Défendre les jeunes étrangers qui ont vécu la même situation que lui, c’est la volonté de Mamadou Yaya Bah, Guinéen de 20 ans, qui a effectué un long parcours vers l’obtention d’un titre de séjour.

Intégré à la rentrée dernière dans la deuxième promotion de « l’Académie des futurs leaders »1, Mamadou Yaya Bah dit avoir « beaucoup d’idées à défendre, nées de la richesse de [ses] expériences et des difficultés rencontrées dans [son] parcours migratoire. » Arrivé mineur en France, reconnu comme tel par le conseil départemental de l’Ain, « je suis d’abord resté dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance plusieurs mois « sans rien faire », avant de commencer une formation en boulangerie, suivant une alternance de deux semaines à l’école et trois semaines en entreprise, pendant un an. « Deux patrons boulangers voulaient me signer un contrat d’apprentissage mais cela ne s’est pas fait. À 18 ans, je me suis retrouvé dehors, à la rue, avec une Obligation de quitter le territoire français, et Emmaus m’a recueilli, entre 2019 et 2021. » Soutenu notamment par Patricia Hyvernat, boulangère de l’Ain qui a été jusqu’à faire une grève de la faim pour sa régularisation afin de pouvoir l’embaucher, il a obtenu sa régularisation. Mais ne s’est pas arrêté là. « J’ai créé le collectif d’aide aux jeunes étrangers pour demander aux autorités de mieux les accompagner. » Ayant obtenu des rendez-vous avec la préfecture avec des associations et le soutien de patrons, « nous avons été écoutés, estime-t-il. Entre 2019 et 2022, il y a eu des régularisations, pas seulement grâce à nous, mais les choses ont positivement changé. Nous avons apporté des preuves dont les autorités n’avaient pas connaissance, en leur prouvant qu’un même dossier n’était pas considéré de la même façon d’une préfecture à l’autre. Nous demandons trois choses : l’intégration par l’apprentissage de la langue française, par le travail par un contrat d’apprentissage, en l’absence de problèmes avec la justice. »

(1) L’Académie des futurs leaders est un programme de formation destiné à préparer des personnes engagées dans des causes environnementales et sociales à s’insérer dans le monde politique.

Auteur

  • Dominique Perez