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Le grand déni des cancers professionnels

Idées | Livres | publié le : 01.03.2023 | Lydie Colders

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Le grand déni des cancers professionnels

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Dans « Mourir de son travail aujourd’hui », la sociologue Anne Marchand lève le voile sur la non-reconnaissance des cancers professionnels. Un fléau occulté dans la santé au travail.

Le cancer est reconnu comme la première cause de décès par le travail en Europe. En France, selon un rapport officiel de 2021, entre 50 700 à 81 400 nouveaux cas de cancers seraient d’origine professionnelle chaque année. Or, moins de 1 800 cas annuels sont reconnus en maladie professionnelle en France. Comment expliquer un tel décalage ? Dans cette enquête fouillée, Anne Marchand, sociologue et codirectrice du groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine-Saint-Denis (Giscop 93), analyse les cruelles défaillances de la reconnaissance des cancers professionnels. Riche en témoignages, son enquête explore le chemin de croix des ouvriers malades, ou de leur famille, pour obtenir un droit à réparation. Tout s’imbrique pour occulter ce fléau, montre la sociologue. Des tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles restrictifs, bloqués par la résistance patronale depuis 1990. Une logique assurantielle (branche AT-MP) qui, côté employeurs, « n’a pas ou peu d’effets sur la suppression des risques » à la source. Des médecins du travail parfois négligents. Et un déni de ce danger dans les politiques de santé au travail.

Des luttes difficiles

L’affaire n’est pas simple, car des cancers professionnels peuvent apparaître des années plus tard, parfois à la retraite. Faute d’être informés, les salariés en contact avec des substances dangereuses sont parfois « contaminés sans le savoir ». Quand les syndicalistes s’inquiètent, Anne Marchand pointe leur manque d’information, « des marges de manœuvre réduites » face au déni des employeurs. Rien n’a changé depuis le scandale de l’amiante : « Ces stratégies de minimisation et d’évitement perdurent. » À lire, cet exemple édifiant dans un groupe de fabrication de moteurs d’avions. Fin 2013, un ouvrier fondeur décède à 34 ans d’un cancer fulgurant. Un rapport du CHSCT retranscrit révèle la difficulté des syndicats à obtenir gain de cause : douze ans avant ce décès, leur revendication (installer un nouveau système d’aspiration de fibres et de poussières toxiques) a été ignorée. L’employeur, négligeant la multi-exposition, la jugeait trop complexe à mettre en œuvre, trop coûteuse…

De l’importance « des traces »

L’enquête, à la fois combative et poignante, en dit long sur les obstacles pour reconnaître cette épidémie silencieuse et supprimer ces poisons mortels. Anne Marchand insiste beaucoup sur l’importance des archives, les preuves d’exposition étant parfois difficiles à trouver, surtout des années plus tard. Les PV des ex-CHSCT notamment peuvent être utiles. Mais depuis les CSE, « il est malheureusement fort probable que la question des risques cancérogènes soit encore davantage marginalisée dans ces comités qui héritent de missions extrêmement variées », craint-elle. Invitant à briser cette omerta, l’autrice plaide pour « une intervention plus contraignante de l’État ». Tableaux, traçabilité des expositions, recherches, pénalités des employeurs, tout est à revoir… Un vœu pieux ?

« Mourir de son travail aujourd’hui »,

Anne Marchand, Éd. de l’Atelier, 328 pages, 23 euros.

Auteur

  • Lydie Colders