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Le contentieux prud’homal n’est plus ce qu’il était : que faire ?

Idées | Juridique | publié le : 01.03.2023 |

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Le contentieux prud’homal n’est plus ce qu’il était : que faire ?

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Le renouvellement général des conseillers prud’hommes pour le mandat 2023-2025 a été acté. Ce sont 12 958 conseillers prud’hommes qui ont nommés sur proposition des organisations syndicales de salariés et professionnelles d’employeurs par l’arrêté du 2 décembre 2022. Nominations qui ont trois conséquences concrètes.

1. Ils bénéficient « du temps nécessaire pour se rendre et participer aux activités prud’homales » et d’un statut protecteur contre le licenciement, d’ordre public et pénalement sanctionné. Est-il besoin d’ajouter que, dans la liste des « GG » (Grosses Gaffes), faire des misères à un salarié prud’homme est rarement bien reçu par le Conseil concerné, qui n’est pas rancunier mais a de la mémoire ?

2. 40 % d’entre eux étant nouveaux dans la fonction et souvent sans formation juridique, l’année pourrait être créative dans nombre de conseils, même si l’essentielle présidence des audiences est confiée à un conseiller expérimenté.

3. Les anciens conseillers restent protégés six mois après la fin de leur mandat : le jour de l’installation de leur successeur. Jusqu’en juillet prochain, attention à la nécessaire demande d’autorisation auprès de l’inspection du travail en cas de licenciement, mais aussi de transfert.

Mais quid de l’avenir de cette juridiction de proximité géographique et professionnelle, dont le rôle a tant évolué en vingt ans ?

I. Des évolutions considérables dans la nature des contentieux

Le contentieux d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celui des années 1990, comme l’a montré Évelyne Serverin. Six constats.

• Nos prud’hommes ne sont plus « le juge du contrat de travail », mais celui du licenciement pour motif personnel : 80 % du contentieux en 2021, contre 49 % en 1990. Donc avec un aspect affectif important, des « j’irai jusqu’au bout ! ».

• Les affaires sont plus conflictuelles. D’abord, car nombre de séparations passent désormais par la rupture conventionnelle apaisée (454 000 en 2021). Ensuite, car un rappel d’heures supplémentaires ne pose pas exactement les mêmes problèmes que les multiples problèmes de prescription, de charge de la preuve… ou le contrôle de conventionnalité.

• « Gentrification » : de plus en plus de cadres, a fortiori depuis la barémisation de septembre 2017. Et vu les sommes en cause, des appels encore plus fréquents.

• « Seniorisation » : en 2018, 31 % des plus 60 ans ont contesté le motif de leur licenciement : un sur trois, contre 15 % des 25-35 ans.

• Hier marginale, l’assistance par avocat est devenue très majoritaire, des deux côtés de la barre (90 %) ; la défense syndicale passant de 26 % en 2004 à moins de 10 %.

• Spécificité des prud’hommes : la conciliation préalable. Mais 60 % des affaires étaient conciliées en 1960 et 10 % aujourd’hui, avec pour conséquence l’allongement de plusieurs mois de la procédure.

Si l’on y ajoute l’augmentation continue du volume des textes, français et supranationaux, les CPH créés pour appliquer les usages de la profession et régler en équité des conflits d’honneur professionnel sont-ils encore adaptés ?

II. Pas de refondation prochaine en vue

« Rénover et renforcer la justice prud’homale » : le rapport des « États généraux de la Justice » publié en juillet 2022 avait proposé leur transformation en « Tribunal du travail », avec rattachement exclusif au ministère de la Justice et port de la robe noire. Bref, davantage « magistrats », et moins « prud’hommes ». Mais est-ce réaliste alors que leur vie quotidienne en entreprise, leur culture, leur engagement et, depuis 2017, leur désignation sur des listes syndicales en font des magistrats nécessairement différents ? L’impartialité est par exemple plus naturelle pour un fonctionnaire que pour un salarié ou un employeur désigné, dont la formation continue est assurée par des organismes syndicaux.

Quant au fond, les propositions du garde des Sceaux du 5 janvier 2023 sont prudentes : « Renforcer les moyens d’aide à la décision, les formations, l’indemnisation des conseillers ; rendre prioritaire les questions d’instruction, d’audiencement et de gestion des affaires en renforçant les pouvoirs des présidents des tribunaux judiciaires et des greffiers ».

Mais indiquons à sa décharge que la justice prud’homale est un sujet syndicalo-politique hautement inflammable.

Car la double tutelle ministère du Travail-Justice est source de retards mais aussi de frictions. Sans oublier le rôle délétère de fortes tensions intersyndicales locales sur le fonctionnement du conseil de prud’hommes. Mais ni les États généraux de la Justice (« Malgré un discours dominant parfois péjoratif sur les compétences juridiques des juges non professionnels, le Comité souligne la légitimité de ces juridictions composées sans échevinage »), ni les partenaires sociaux dans leurs « Propositions paritaires pour une justice prud’homale renforcée » du 16 novembre 2021 n’ont remis en cause l’existence de cette juridiction de proximité géographique et professionnelle : « La force de la justice prud’homale repose sur la connaissance des conseillers prud’hommes du monde de l’entreprise, des réalités des professions et des secteurs d’activité ». Avec une réponse du berger à la bergère, en proposant de « sensibiliser les juges de carrière au monde de l’entreprise, notamment dans le cadre de leur formation initiale et continue ». Si la culture juridique des prud’hommes laisse effectivement parfois à désirer, la culture économique des magistrats professionnels est également faible. Comprendre avant de juger : les auditeurs de justice auraient beaucoup à gagner à se confronter à la vie quotidienne d’une PME lors d’un stage de longue durée.

III. Malgré un problème structurel pour toute la filière

La division par deux du nombre d’affaires nouvelles au niveau national entre 2010 et 2020 aurait dû entraîner une réduction notoire des délais ? Non.

En 2010, les prud’hommes avaient été saisis de 228 578 affaires : délai moyen 15,3 mois. En 2020, 102 696 affaires nouvelles (année Covid-19), et 103 141 en 2021 : délai moyen de 18 mois. Et selon les prévisions du « Budget Justice », pour 2025 « la cible » est de 15,5 mois : pas de quoi pavoiser.

Mais avec un phénomène commun à toute la Prud’homie : des écarts considérables entre Conseils, ici pas toujours liés au nombre d’affaires nouvelles. Selon le rapport du Sénat publié fin 2019, en 2018 au conseil des prud’hommes de Vannes, la durée moyenne était de 36 mois pour 222 affaires nouvelles, mais à Saint-Omer 4,9 mois pour 458 affaires. Un cadre qui assigne aujourd’hui à Nanterre obtiendra un jugement dans quatre ans… hors départage.

Alors un embouteillage général ? Pas vraiment : si l’on rapporte le nombre de décisions rendues au nombre de conseillers indemnisés, huit décisions par an et par conseiller… Certes. Mais 10 % des CPH et cinq cours d’appel assurent le traitement de la moitié des affaires, dans des conditions matérielles parfois indignes.

Problème : c’est toute la chaîne judiciaire qui est ici concernée.

Devant les cours d’appel, la durée moyenne des affaires prud’homales était de 20,4 mois en 2017. Avec un taux de confirmation totale des jugements de 28,3 %, donc nettement inférieur à celui constaté pour les autres juridictions de première instance : de 46 % à 53 %. Alors comparer le taux d’appel des deux tribunaux composés de magistrats non professionnels ? Côté tribunal de commerce, 13 % en 2020, avec 57 % d’infirmations totales ou partielles.

Mais 60 % pour les prud’hommes. Avec, là encore, des écarts considérables. Les Savoyards seraient-ils meilleurs en droit du travail ? Taux d’appel au CPH d’Albertville en 2021 : 11 % ; Chambéry : 16,1 % ; Aix-les-Bains : 26 %. De tels écarts font réfléchir.

Et tout en haut de la pyramide judiciaire, à la Cour de Cassation ?

Pour la période 2008-2017, 5 % des décisions prud’homales rendues en dernier ressort ont fait l’objet d’un pourvoi, mais 18 % des arrêts d’appel. Et quatre cours d’appel sur 36 sont à l’origine de la moitié des 3 795 pourvois en 2021 (contre 7 685 en 2012) : la chambre sociale est de très loin la chambre la plus chargée des chambres civiles. Mais avec 36,6 % de cassation, dont 12,2 % sans renvoi.

Question alors existentielle pour les Prud’hommes : cette suite cumulative d’incertitudes amenant finalement, au-delà du départage lié au paritarisme, des juges professionnels à statuer sur l’essentiel du contentieux du travail est-elle d’abord due aux faiblesses prud’homales ? Si c’est le cas, les prud’hommes seraient en grand danger. Et l’argument du coût des magistrats supplémentaires à embaucher dans les TJ pas vraiment dirimant : le taux d’appel pourrait diminuer de moitié (25 % en 2021 pour les tribunaux judiciaires, bien loin des 60 % des CPH), avec des effets sensibles jusqu’à la Cour de cassation.

Mais pour éviter la remarque de René Clair (« Mes films n’ont plu à personne, sauf au public »), il nous faut d’abord prêter attention à l’appréciation des usagers eux-mêmes : à 96 %, des salariés.