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Pour ou contre la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle ?

Dossier | publié le : 01.03.2023 | Dominique Perez

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Pour ou contre la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle ?

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Le burn-out, souvent considéré comme l’un des « maux du siècle » devrait-il faire l’objet d’une inscription au tableau des maladies professionnelles reconnues par la Sécurité sociale, afin de permettre son indemnisation ? Deux avis divergents.Par Dominique Perez, Lucie Tanneau et Valérie Auribault

La CFE-CGC déclare être la première organisation syndicale à avoir identifié le « burn-out » ou syndrome d’épuisement professionnel. Avez-vous porté également depuis le début sa demande d’inscription au tableau des maladies professionnelles ?

Depuis de longue date la CFE-CGC milite pour prévenir ce syndrome. Elle forme ses adhérents et ses militants à en reconnaître les signes précurseurs, les accompagne avec des outils et poursuit son combat non seulement auprès des pouvoirs publics mais aussi dans le cadre du dialogue social pour obtenir des avancées sur ce terrain.

En ce qui concerne la réparation, nous nous heurtons toujours à l’absence de tableau de maladie professionnelle qui intègrerait cette pathologie et permettait une prise en charge sans passer par les fourches caudines du C2RMP (Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles). Cette procédure suppose une reconnaissance préalable d’un taux d’IPP (Incapacité permanente partielle) d’au moins 25 %. Cette revendication figure depuis longtemps dans nos actions syndicales, encore dernièrement dans le cadre de la négociation sur le sujet des AT/MP qui s’est engagée dans le cadre de l’agenda autonome des partenaires sociaux.

Pour expliquer cette non-reconnaissance, entreprises mais également certains experts arguent du fait que la notion de burn-out est « floue », qu’il ne s’agit pas d’une maladie, et surtout que la part du « professionnel » n’est souvent pas prédominante dans le burn-out. Que répondez-vous ?

C’est effectivement un argument qui est invoqué par le patronat, d’ailleurs, sous-tendu par certaines commissions telles que la « commission ad hoc » en charge de l’évaluation de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. C’est un véritable non-sens dans le contexte avéré de l’évolution de l’organisation du travail et de ses conséquences : multiplication par 10 des accords de télétravail ; travail hybride ; montée en puissance des outils numériques, des modes de relation de travail au travers des réseaux sociaux, du flicage, de l’isolement social …L’encadrement est directement impacté par ces phénomènes. Les conséquences en termes de pathologies psychologiques sont reconnues et exponentielles. Toutes les études le démontrent ! Oppose-t-on en cas de troubles musculo–squelettiques la pratique intensive de sport le week end ?

Avez-vous constaté cependant, au moment où il semble que ce phénomène aille croissant, que l’idée de cette reconnaissance avance du côté notamment des politiques, mais également des entreprises ?

Il semble difficile aujourd’hui d’ignorer la réalité des RPS. Deux rapports récents respectivement de l’IGAS et de la Cour des comptes sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, évoquent la nécessité de cibler des actions visant à la prise en compte de cette évolution. La branche AT-MP (accidents du travail-maladies professionnelles) elle-même, affiche dans ses premiers travaux relatifs à la future Convention d’objectifs et de gestion pour 2023/2027 des axes d’amélioration sur ce terrain. En revanche, dans les entreprises si une prise de conscience est réelle en particulier sur le volet prévention, le pas à franchir reste encore long en termes de réparation.

Pourquoi à votre avis ce dossier semble-t-il si complexe ?

Tout n’est jamais qu’une question de gros sous. Le dispositif d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles a la particularité d’être entièrement financé par les employeurs qui ont la responsabilité de la santé et de la sécurité de leurs salariés. Sans entrer dans le détail, il suffit de rappeler que le montant des cotisations est fixé en fonction de la sinistralité dans les entreprises ceci ayant pour finalité de les rendre vertueuses du point de vue de la prévention. Ceci explique cela !

Pour vous, la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle serait-elle un non-sens ?

Pour qu’une maladie soit reconnue comme ayant une origine professionnelle encore faut-il qu’elle soit connue comme étant une maladie. Pour cela il faut un consensus scientifique international s’appuyant sur des études rigoureuses, une définition précise, une liste de symptômes, une vision de son évolution si elle n’est pas soignée et éventuellement un traitement. Or, aucune des nombreuses équipes scientifiques et instances réglementaires en France, en Europe ou dans le monde, qui ont travaillé sur le burn-out, ne l’a mis dans la catégorie des maladies. Les contours du phénomène sont flous : quand quelqu’un développe un « syndrome d’épuisement professionnel », nom français du burn-out, cette personne s’épuise dans son travail, développe un cynisme inhabituel, se sent de plus en plus inefficace.

C’est un processus temporaire qui suit en général une période de stress professionnel et peut parfois se terminer par de vraies maladies, psychiques comme une dépression, ou physiques comme des troubles cardio-vasculaires. La plupart du temps un arrêt de travail de quelques semaines et un retour prudent, avec l’aide du médecin du travail, permettent de sortir de ce mauvais pas. En outre, dans ces états, il est toujours très délicat de faire la part de ce qui revient au milieu professionnel et au contexte personnel : pour un même environnement de travail, certains font une dépression et d’autres s’en sortent bien.

Le burn-out serait pourtant en augmentation…

Avec des contours aussi flous, on comprend qu’il soit difficile de compter les personnes atteintes de burn-out dans la population. Suivant les critères choisis, les chiffres varient entre 30 000 et 3,2 millions soit de 1 à 100 ! Alors d’ici à savoir si ça augmente ou si ça diminue !

Il n’est pas question de nier les difficultés psychiques au travail exprimées par de nombreuses personnes dans toutes les enquêtes, et ce mot de burn-out, récent et fortement médiatisé, est bien commode pour exprimer difficultés, ras-le-bol, exaspérations en tout genre. Mais reconnaître comme maladie professionnelle un état aussi flou, mal codifié, mal mesuré, qui rend compte de choses aussi différentes qu’une fatigue passagère, un ras-le-bol transitoire ou le début d’une dépression grave paraît confusant médicalement et irresponsable économiquement.

Pour vous, il y a d’autres priorités que de se focaliser sur le « burn-out » comme maladie professionnelle…

On « accepte » chaque année en France 9 000 morts par suicide, soit 10 fois plus que par meurtre ! C’est l’un des taux les plus élevés dans l’Union européenne. On connaît bien les facteurs de risques et les signes annonciateurs du suicide. Or le milieu professionnel est un lieu où les gens se connaissent et savent si leurs collègues vont bien ou mal. Contrairement aux idées reçues c’est beaucoup plus l’isolement que le management qui rend psychiquement malade du travail, comme le prouve le fait que ce sont les professionnels indépendants (agriculteurs, médecins libéraux…) qui se suicident le plus au travail. On pourrait diffuser des formations sur le dépistage et la prévention des dépressions et suicides sur les lieux de travail. Malheureusement, en plein XXIe siècle, les maladies psychiatriques sont encore victimes de tabous dignes du XIXe

Pour : Mireille Dispot, secrétaire nationale confédérale à la CFE-CGC en charge de l’égalité des chances.

Contre : Richard Guédon, médecin exerçant dans une association du secteur médico-social en Seine-Saint-Denis, ancien administrateur d’une caisse régionale d’assurance maladie, ancien directeur médical d’une mutuelle d’assurance.

Auteur

  • Dominique Perez