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« Les salariés sont très majoritairement satisfaits de leur travail »

Décodages | Expérience employé | publié le : 01.03.2023 | Muriel Jaouën

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« Les salariés sont très majoritairement satisfaits de leur travail »

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Rapport au travail, à l’entreprise, au management, aux outils RH… Une étude menée par Viavoice pour KPMG décrypte les ressorts de l’expérience employé. L’occasion de détricoter quelques idées reçues.

Pourquoi avoir initié une étude sur l’« expérience employé » ?

Philippe Valo : Cette thématique revient très souvent chez nos clients, sans doute en miroir à la notion d’« expérience client » et au principe de symétrie des attentions, qui veut dire que l’on « traite » d’autant mieux ses clients que l’on se préoccupe de ses propres collaborateurs. Nous voulions cerner ce que ce concept d’expérience employé recouvre réellement. Pour ce faire, il fallait interroger les premiers concernés, les collaborateurs, sur les tenants de leur relation au travail, à leur employeur, à la figure de l’entreprise, pour comprendre leurs attentes et leurs sujets de préoccupation. À la lumière de leurs réponses, l’expérience employé, salarié ou collaborateur se dessine comme une notion polysémique, complexe, qui renvoie à de nombreuses dimensions, aussi bien objectives que subjectives : organisations, choix RH, pratiques managériales, valeurs de l’entreprise, rapport au collectif de travail, situation personnelle, etc.

Cécile Decourtray : Les directions des ressources humaines sont confrontées à trois grands enjeux : attirer, fidéliser et engager. Avant d’orchestrer des actions et des dispositifs, il leur faut connaître les attentes des candidats et des salariés déjà en poste. Nous évoluons dans un monde où les cycles de transformation s’accélèrent. Cela vaut également pour les salariés et leur rapport au travail et à l’entreprise. Cette enquête nous a confirmé que leurs attentes sont mouvantes. Près de 60 % d’entre eux affirment qu’elles ont évolué sur les trois dernières années, et ils sont autant à annoncer qu’elles vont encore changer. Il est donc important, pour les entreprises – et donc pour nous, qui les accompagnons – de rester à l’écoute. C’est tout l’objet de cette étude.

Les médias ont largement relayé les notions de grande démission et de quiet quitting… Votre enquête corrobore-t-elle la réalité de telles tendances ?

P. V. : Au-delà de notre enquête proprement dite, il convient tout d’abord de se référer aux statistiques nationales. Le nombre de démissions en France (2,7 millions en 2022) est sensiblement le même qu’en 2007 au début de la crise financière (2,9 millions). Ce nombre est, en outre, resté relativement stable entre ces deux périodes. Rien ne démontre donc statistiquement la réalité de ces phénomènes. Maintenant, si l’on décrypte les résultats de notre étude, il apparaît nécessaire de dissocier le travail et l’entreprise. D’un côté, contrairement à ce que l’on entend souvent, les salariés se disent très majoritairement (79 %) satisfaits de leur travail. De l’autre, ils affichent un faible degré d’attachement à l’entreprise. La « cellule de référence » du collaborateur, c’est plus l’équipe directe, le collectif de proximité que la figure, plus abstraite et plus éloignée, de l’entreprise. Deux chiffres ont retenu notre attention : 30 % des personnes interrogées souhaitent quitter leur entreprise d’ici trois ans et seuls 17 % seraient prêtes à la recommander à des tiers. Il y a là, pour des employeurs déjà contraints de composer avec de fortes tensions sur le marché du travail, un vrai point de vigilance.

Quels sont les éléments déterminants de la satisfaction au travail ?

C. D. : Notre enquête vient chambouler quelques idées reçues. La rémunération, dont on a souvent entendu dire qu’elle n’était plus un paramètre majeur dans l’échelle de priorités des salariés, est le critère le plus cité lorsqu’on leur demande comment leur entreprise pourrait agir pour améliorer leur qualité de vie au travail. C’est encore plus vrai chez les plus bas revenus (72 % des salariés gagnant moins de 2 000 euros par mois le mentionnent). L’organisation du travail et la répartition des tâches au sein de l’équipe reviennent également comme des facteurs importants. Les salariés n’aspirent pas à moins de travail, mais ils voudraient pouvoir s’organiser différemment, bénéficier d’une plus grande flexibilité. Un exemple : 43 % d’entre eux souhaiteraient conserver la même charge de travail pour le même salaire, mais dans le cadre d’une semaine de quatre jours. Seulement 17 % des personnes interrogées disent vouloir rester dans un « statu quo » (charge égale, salaire égal, sur cinq jours). Un autre élément important : la reconnaissance. 40 % des collaborateurs estiment que leurs efforts et leur travail ne sont pas pleinement reconnus par la direction.

Votre étude met également à mal le mantra d’un salarié en quête de sens, qui ferait de la RSE le premier ressort d’adhésion à l’entreprise…

P. V. : Le sens du travail est une composante importante pour les salariés, mais c’est loin d’être le premier vecteur d’amélioration de leur satisfaction. En réalité, les trois quarts des personnes interrogées déclarent trouver du sens à leur travail ; et en même temps, elles sont 10 % à se dire prêtes à changer de travail pour être plus en accord avec leurs valeurs. 10 % ne représentent pas une majorité, mais dans un contexte de tension de l’emploi, ça n’est pas non plus un ratio négligeable. D’autant moins que, pour cette dimension comme pour celle du désengagement, les réponses sont fortement données en fonction de la situation socio-économique. La quête de sens au travail est plutôt une exigence de cadres.

C. D. : En ce qui concerne la RSE, il existe une forte corrélation entre le fait d’être d’accord ou non avec la politique RSE menée par son entreprise, ainsi qu’avec les valeurs qu’elle porte et la satisfaction ou l’insatisfaction au travail. Mais ce que l’on constate au premier abord, c’est une meilleure communication : seuls 48 % se sentent bien informés de la politique RSE de leur entreprise. Les salariés sont également demandeurs de réalisations concrètes : 75 % expriment une forme de méfiance envers les engagements ESG (environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance) affichés par leur entreprise. Ils se montrent très vigilants quant à ce qu’ils pourraient percevoir comme du « greenwashing ».

Le télétravail n’a-t-il pas fragilisé la dimension collective au sein des organisations ?

C. D. : Il ressort de l’étude que le télétravail, qui concerne aujourd’hui 27 % des salariés (vs 4 % en 2019) est perçu de manière très positive puisque 8 télétravailleurs sur 10 ne souhaitent pas revenir au « tout présentiel ». Les personnes ayant accès au télétravail expriment un niveau de satisfaction professionnelle plus élevé (89 % vs 79 %) et se sentent plus épanouies (74 % vs 66 %). Pour autant, 32 % des personnes interrogées s’inquiètent de l’affaiblissement potentiel des liens sociaux dans l’entreprise du fait du télétravail. Or, elles expriment le besoin de lien social, d’interactions, de « retrouvailles », plus encore après la parenthèse Covid. Pour les entreprises, il ne s’agit donc pas de réfléchir en termes d’alternative entre télétravail « ou » bureau. Cette lecture binaire est bel et bien révolue. En revanche, pour les salariés autant que pour les DRH, il faut trouver les équilibres d’organisation et les leviers managériaux qui permettent de rassembler le collectif en mode hybride et de maintenir un lien d’appartenance à l’entreprise. La conception des espaces de travail fait partie des solutions : flexibilité, modularité, convivialité, dans les bureaux, sans oublier la qualité d’équipement des espaces à domicile.

Quel est le rôle du manager dans cette expérience employé décidément très protéiforme ?

P. V. : Cela fait longtemps que les entreprises ont tendance à concentrer sur le manager les missions et tâches liées à la complexification des organisations, aux transformations de plus en plus rapides de la relation au travail. Aujourd’hui, l’on demande également à ces mêmes managers, notamment de proximité, d’être les nœuds opérationnels de l’expérience employé. Dans un contexte de fortes tensions sur le marché de l’emploi, où le rapport de force bascule clairement du côté du candidat, l’un des grands sujets pour les entreprises est leur capacité à se « mettre à la place » des salariés, à les comprendre pour répondre à leurs besoins et même les anticiper. Ce rôle d’écoute, de diagnostic, de compréhension est plus que jamais dévolu aux managers de proximité. À eux d’incarner en interne la raison d’être de l’entreprise, sa promesse employeur.

C. D. : Les salariés eux-mêmes expriment de grandes attentes à l’égard de leurs managers : reconnaissance, meilleure organisation de la charge de travail au sein de l’équipe, feedbacks réguliers et constructifs, soutien face aux éventuelles difficultés. Ils comptent également sur leurs managers pour les aider à monter en compétence, à muscler leur employabilité dans une dynamique d’évolution au sein de l’entreprise ou même ailleurs. Dans un environnement et une organisation de travail hybride, alors que leurs repères et outils traditionnels (gestion du temps, rituels d’équipe, aides au « contrôle ») ont évolué et qu’on leur demande de restaurer la cohésion et le collaboratif, les managers ne sont pas toujours – loin de là – suffisamment « armés ». Il est important que les ressources humaines et le leadership les accompagnent, avec des missions précises et des moyens adaptés. Elles peuvent par exemple développer des réseaux de coachs ou d’ambassadeurs, structurés et outillés pour soutenir les managers, notamment dans le développement de leurs soft skills : culture du feedback, intelligence émotionnelle et relationnelle, empowerment, etc.

Comment évolue la place du travail dans nos vies ?

P. V. : Le travail est toujours considéré comme un ciment important dans la construction des identités. En France notamment, on décline très vite sa profession quand il s’agit de se présenter. Mais la centralité du travail recule. Dans notre étude, les répondants placent le travail en quatrième position dans leurs priorités de vie, bien après la famille, les proches et les loisirs. Seuls 24 % des Français considèrent le travail comme « très important » dans leur vie. Il y a trente ans, ils étaient 60 % !

Philippe Valo est Associé KPMG au sein de l’équipe de conseil RH et conduite du changement du bureau de Paris. Expert dans les projets de transformation, il est en charge de l’activité technologies RH au sein du cabinet. Il a accompagné de nombreux projets internationaux de transformation de la fonction ressources humaines.

Cécile Decourtray,également associée KPMG au sein de l’équipe de conseil RH et conduite du changement du bureau de Paris, a notamment travaillé sur la conduite de projets complexes concernant des activités d’audit financier et de transactions. Depuis une dizaine d’années, elle se consacre à l’accompagnement de la fonction ressources humaines dans ses enjeux de transformation et d’optimisation.

Auteur

  • Muriel Jaouën