logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Enseignement supérieur privé : la recette du boulimique Galileo

Décodages | Formation | publié le : 01.03.2023 | Judith Chetrit

Chaque année, à la faveur de rachats ou de créations d’établissements, les effectifs de ce groupe croissent d’environ 4 000 à 5 000 apprenants. Capitalisant sur l’accélération du nombre d’apprentis et vantant une formation professionnalisante, Galileo Global Education lorgne de plus en plus sur la formation continue.

Quiconque s’intéresse à la planète Galileo Global Education se retrouve rapidement confronté à des chiffres astronomiques et à une cartographie tentaculaire. 210 000 étudiants, dont la moitié sont inscrits en ligne. Quinze pays d’implantation comme le Mexique ou l’Italie. Et une bonne cinquantaine d’établissements, le tout représentant un chiffre d’affaires mondial de plus de 850 millions d’euros. En une dizaine d’années, la croissance de ce groupe, présenté comme l’un des leaders de l’enseignement supérieur privé, a été alimentée par une série d’acquisitions d’écoles, essentiellement dans le commerce, le management, les arts et le numérique, mais aussi, par exemple, celle de Studi, un site proposant des formations exclusivement distancielles. Rien qu’en France, où se concentre la moitié de son activité avec environ 50 000 étudiants (hors Studi), Galileo agrège quelques marques davantage connues du grand public à l’image du cours Florent, Penninghen ou bien l’école de commerce post-bac Paris School of Business (PSB). Chaque année, les effectifs grimpent d’environ 4 000 à 5 000 étudiants.

Il faut dire qu’avec un étudiant sur quatre qui s’inscrit dans le privé, les fonds d’investissement, attirés par un vivier pérenne sur plusieurs années de scolarité, assurent l’assise du groupe. « L’enseignement supérieur est devenu l’un des secteurs les plus visibles, car il est à la fois résilient, récurrent et rentable », décrit Martine Depas, senior partner de la banque d’affaires Amala Partners. En dépit d’un lourd endettement suite à un achat par LBO, les marges ainsi réalisées parlent d’elles-mêmes : au dernier exercice annuel, l’EBITDA soit le profit brut d’exploitation si scruté par les financiers, s’approchait des 25 % d’après un document que Liaisons Sociales Magazine a pu consulter. N’étant pas coté, le groupe aime peu communiquer sur ses performances. Devant ses principaux actionnaires, que sont Téthys Invest (fonds de la famille Bettencourt-Meyers), le fonds de pension des retraités canadiens CPPIB et la BPI, le PDG, Marc-François Mignot Mahon se projette sur une relation à long terme et promet de quintupler de taille d’ici 2027. Auprès de ses plus de 9 000 salariés lors des vœux pour 2023, il fait déjà état d’investissements en 2022 de l’ordre de 70 %.

Dernier atterrissage remarqué du groupe : l’entrée au capital de l’EM Lyon avec environ 38 % des parts après que la prestigieuse école de commerce est passée du statut associatif à celui de société anonyme. Deux mois plus tard, l’annonce de l’arrivée au conseil d’administration de Muriel Pénicaud, l’ancienne ministre du Travail à l’origine de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle – qui siégera aux côtés notamment de l’ex-directeur de cabinet d’Édouard Philippe à Matignon, Benoît Ribadeau-Dumas – a fait encore un peu plus jaser sur le poids et l’influence du groupe dans le paysage de l’enseignement supérieur et de la formation continue.

Un maillage plus important du territoire.

Alors que la taille de ce groupe et plus généralement la croissance de l’enseignement privé lucratif suscitent une curiosité plus poussive des ministères de l’Enseignement supérieur et du Travail en quête de clarté et de régulation (voir encadré), le groupe répète à l’envi les preuves de la réussite de son modèle avec 86 % d’étudiants en emploi à six mois en fin de cursus (68 % en emploi pérenne de type CDI). « Nous nous positionnons en complémentarité de l’offre publique. Nous avons une promesse claire de formation professionnalisante et une employabilité élevée », souligne Vanessa Diriart, la directrice France du groupe, étonnée par une de nos questions sur l’atteinte d’une « taille critique ». « Il y a différentes interprétations de cette taille critique », juge-t-elle. Dans son viseur pour 2023, le perfectionnement d’un système d’évaluation de la satisfaction des étudiants, appelé Happy Student Maker, l’ouverture de nouveaux campus à Strasbourg et Rouen pour poursuivre la déclinaison de son offre dans d’autres villes françaises, de nouveaux doubles diplômes entre des écoles du groupe et le développement de leurs programmes dédiés à la santé avec l’arrivée remarquée de l’ex-directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch comme vice-président.

Pour l’instant, l’institut Éva Santé, présent à Bordeaux et Metz, forme des futurs aides-soignants en apprentissage dans des établissements tels les réseaux Korian ou DomusVi avec une formation dispensée à 70 % en distanciel, soit 35 jours de présentiel sur les 18 mois de formation. Avec quelques inscrits, la responsable partenariats et formations à la direction de l’offre de soins de la Mutualité Française, Fabienne Vincent, y voit un premier pas pour répondre à la demande de leurs gestionnaires en difficulté de recrutement : « J’étais assez sceptique au début sur la part de la formation à distance mais cela complète d’autres possibilités de formation qui s’essoufflent parfois. Les usages changent et les jeunes ont d’autres pratiques. Ils nous ont rassurés sur la sélection de jeunes motivés. Cela offre une certaine souplesse pour caser les heures de formation. » Une évolution dans cette profession pénurique rendue également possible par un arrêté récent de juin 2021 pour lequel Galileo a oeuvré, en s’appuyant notamment sur les services d’un chargé d’affaires publiques, Alexis Bataille, d’après les activités de lobbying déclarées auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Un étudiant sur deux en France est un apprenti.

Car avec la constante augmentation du nombre d’apprentis en France – 830 000 nouveaux contrats l’an dernier et environ 60 % d’entre eux signés dans l’enseignement supérieur, l’apprentissage a joué un rôle crucial dans le développement de Galileo, aussi bien opérationnellement que dans ses discours notamment auprès des élèves décrocheurs ou issus des quartiers de la politique de la ville. Leur tout dernier livre blanc « Regards croisés sur l’alternance » est un plaidoyer de 79 pages pour ce « médicament efficace sans effet secondaire » qui « finance les études et le coût de la vie », dixit Marc-François Mignot Mahon également co-auteur d’un rapport pour le think tank Terra Nova sur le « nouvel âge de la formation professionnelle ».

Depuis 2020, avec deux à trois rentrées par an, la part de l’apprentissage parmi leurs étudiants en France vient de dépasser les 50 %, soit 22 800 contrats signés en cours et une quasi-disparition parallèle des contrats de professionnalisation. Pour les deux dernières années, l’alternance représente même 80 % dans la croissance annuelle d’effectifs. Une dizaine de classes sont, par exemple, entièrement dédiées à des contrats d’apprentissage avec une même entreprise comme Auchan ou LCL. Avec dix CFA et la mutualisation de certaines fonctions support, ce passage à l’échelle est également le fruit d’une machine administrative et commerciale bien rodée d’environ 260 personnes. Certains la qualifient même de redoutable avec notamment un système de primes et de relances téléphoniques pilotées par plus de 75 téléconseillers depuis un centre de téléprospection à Soissons. Un service dédié au placement et aux relations entreprises suit sa performance, à partir d’indicateurs hebdomadaires comme les admis en recherche d’alternance et les offres reçues d’entreprises. « Nous avons pris le temps de nous organiser pour la gestion des contrats, l’accompagnement des apprentis et les relations aux entreprises », affirme Julien Blanc, le directeur grands projets et affaires publiques du groupe. Celui-ci fait notamment partie de l’association « Entreprises éducatives pour l’emploi », une structure qui s’est récemment mobilisée auprès des pouvoirs publics pour le maintien des primes à l’embauche et la fixation du niveau de prise en charge des contrats. « Ce n’est pas un effet d’aubaine. L’alternance faisait déjà partie de notre pédagogie », se défend Vanessa Diriart.

En février, une étude de France Compétences sur les usages des fonds de la formation professionnelle estimait, à partir des comptabilités analytiques des centres de formation et l’analyse de coûts de formation, que le taux de marge des CFA de structures privées était de 19,3 % contre 11 % en moyenne. La directrice France trouve ce taux « élevé » : « Est-ce qu’ils ont pris en compte le niveau d’investissement ? » Dans les comptes rendus de réunion CSE des années 2021 et 2022 que nous avons pu lire, les demandes des élus sont récurrentes sur le partage de la valeur, à savoir un intéressement et un actionnariat salarié au-delà des primes de participation, équivalente actuellement à un mois et demi. Autre point de tension : un élu syndical déplore la montée en puissance des « enseignements en autonomie » et des cours à distance pour « absorber » l’augmentation du nombre d’étudiants dans des locaux devenus trop petits et face à une population enseignante qui, selon lui, a plutôt tendance à stagner.

Les titres RNCP, l’atout concurrentiel.

Au sein de Galileo, le portefeuille de cinquante-quatre titres de niveau IV à VII, enregistrés au Répertoire national de la certification professionnelle, est sans doute l’un de ses avantages concurrentiels les plus valorisés – car demandés par les familles qui y voient un gage de reconnaissance apporté par l’État à la crédibilité des formations. « Avec une direction dédiée à la qualité et aux certifications, ils ont vite compris l’intérêt de cet enjeu, surtout avec le resserrement des délivrances de titres », relève Mathieu Hivet, co-fondateur de FacilityCert. À chaque renouvellement de titre tous les deux à cinq ans, la solidité des dossiers présentés à France Compétences est donc essentielle pour faire vivre cet actif. Il y a un an et demi, l’achat finalement annulé de l’école Multimedia a, tout de même, donné lieu à une transaction d’environ 1,2 million d’euros pour acquérir six titres RNCP dont une école du groupe, l’Institut d’études supérieures des arts (IESA), est devenue certificatrice. À condition d’en superviser l’organisation et l’évaluation, chaque certification obtenue permet ensuite d’en faire bénéficier les écoles du groupe dans le même secteur d’enseignement. Ceux-ci en deviennent les organismes préparateurs. Par exemple, le titre « Chef de projet digital », certifié par l’IIESA, est associé à une liste de plus d’une vingtaine d’organismes partenaires, internes (comme l’école Merkure à Aix-en-Provence ou ESG Luxe à Paris) et externes (Comundi et Moovéus) en cas de location pour des prix allant de quelques centaines d’euros à plus de 1 500 euros par apprenant. Des entreprises clientes, comme Century 21 pour le titre RNCP de responsable du développement commercial, peuvent également figurer parmi ces préparateurs. Au-delà du déclaratif sur les compétences obtenues à l’issue de la formation, il faut s’employer à démontrer le « placement » dans l’emploi de leurs dernières cohortes d’étudiants pour en obtenir le renouvellement. Seulement, à nouveau, malgré un taux d’acceptation moyen de 40 % des dossiers (contre 60 % en 2020), le manque d’effectifs au sein de la commission de la certification professionnelle a tendance à entacher le sérieux des avis rendus et conduit actuellement le cabinet de la ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean, à réfléchir à d’autres critères d’évaluation, dont une part moins importante de déclaratif.

Pour accroître sa présence auprès des grands comptes, avec lesquels des liens ont déjà été renforcés via l’apprentissage, le groupe a créé une entité à l’été 2020, appelée Galileo Global Education Entreprises. S’appuyant sur l’étagère étoffée de ressources pédagogiques du groupe, notamment ses modules d’e-learning, cette petite équipe répond à des appels d’offres d’entreprises sur des formations hybrides, fait du conseil en ingénierie ou assure des formations pour des sociétés d’outplacement. Présent à la dernière Université d’hiver de la formation professionnelle, son directeur, Pierre Baulier, expliquait devant la caméra de Centre Inffo que cette « porte d’entrée » a pour but de faciliter le contact avec « de très grandes entreprises qui se perdaient dans le dédale de toutes nos marques ». Celui-ci animait également une présentation sur les certifications RNCP pour les parcours en entreprise autour de la question « intérêt ou superflu ? ». En plus du développement en Afrique, serait-ce la prochaine bascule stratégique du groupe Galileo ? « Les salariés, ce n’est pas le même public que les étudiants en formation initiale. Il faut muscler la scénarisation et la validation des apprentissages pour séduire les DRH », juge un fin connaisseur du secteur. Avec Demos, qui a l’avantage d’être référencé, un partenariat a été noué pour former des salariés d’EDF comme data analysts. Pour l’heure, l’activité reste encore très mineure à l’échelle du groupe mais des poids lourds du secteur font déjà état de quelques contacts, surtout informels. « Vu notre taille sur le secteur, dès qu’il y a un dossier, il arrive sur notre bureau », glisse Vanessa Diriart.

Un groupe de travail ministériel sur l’enseignement supérieur privé

Tout semble avoir démarré par les résultats d’une enquête initiée en 2020 par la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF). Sur 80 établissements privés – échantillon dont le groupe Galileo assure ne pas faire partie –, plus de la moitié d’entre eux se sont vu reprocher des « irrégularités » comme des pratiques commerciales trompeuses ainsi que des clauses contractuelles illicites ou abusives. Une proportion jugée anormale qui mérite un examen plus fin sur la communication de ces acteurs ainsi que leur modèle économique, actionnarial et pédagogique, estime le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui a lancé en début d’année un groupe de travail dont les conclusions devraient être connues dans le courant du printemps. « Le ministère ne se positionnera pas sur des « bons » et des « méchants ». Mais c’est notre travail de mettre plus de visibilité et d’intelligibilité dans l’offre pour indiquer les garanties attachées à chaque diplôme », indique une source proche du cabinet au sujet des bachelors et des mastères qui fleurissent un peu partout. Le développement de l’apprentissage fera notamment partie des travaux : « Peut-être que l’apprentissage qui était avant trop régulé souffre désormais d’une certaine dérégulation avec des organisations plus structurées que le secteur public pour en saisir les bonnes opportunités », souffle un interlocuteur qui participe aux travaux. Au nom de la « concurrence déloyale » que ces établissements représentent, aussi bien la Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif (Fesic) que France Universités montent déjà au créneau pour réclamer plus de transparence sur les dénominations des diplômes et d’exigence sur les titres accordés, voire un « moratoire sur la délivrance de visas et de grades ».

Auteur

  • Judith Chetrit