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Développement des compétences : le coaching, aide réelle ou soin palliatif ?

Décodages | Coaghing | publié le : 01.03.2023 | Gilmar Sequeira Martins

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Développement des compétences : le coaching, aide réelle ou soin palliatif ?

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Désormais installé dans les pratiques managériales, le coaching devient un outil recherché favorisant la rétention mais ses effets suscitent des réactions ambivalentes.

Pourquoi pas un… coaching ? L’option gagne en évidence au sein des entreprises au point de voir se multiplier les coachs. Selon les estimations de la sociologue Scarlett Salman (voir encadré), leur nombre a fortement progressé : alors qu’ils n’étaient encore que 250 dans la seconde moitié des années 1990, près de 2 500 exerceraient aujourd’hui de manière professionnelle. À l’arrière-plan, la sociologue estime que l’Hexagone compte aujourd’hui entre 10 000 à 20 000 personnes formées à cette technique. Les croissances parallèles de l’offre et de la demande a poussé les entreprises à se faire plus pointilleuses sur les parcours et les qualifications, précise la coach Mylena Ljubic : « Elles veulent connaître la formation des coachs, savoir s’ils sont supervisés, ou même s’ils bénéficient d’un accompagnement thérapeutique. Aujourd’hui, les coachs sont effectivement supervisés par un autre coach, qui a une qualification spécifique, et ils doivent aussi avoir un accompagnement thérapeutique. Ce travail sur soi évite la projection ou l’interprétation par rapport aux situations que le coach vit ou a vécu. »

Les procédures se sont aussi homogénéisées. Lorsqu’une entreprise propose un coaching à un manager, le cadrage initial se fait avec lui, le coach qu’il aura choisi, son supérieur, voire un responsable des ressources humaines. Attention toutefois à ne pas garder trop de distance avec le processus, prévient toutefois la coach Sylvie Ray-Hugues : « Un coaching se prépare. Le prescripteur doit s’y engager, s’impliquer et considérer le coach comme un partenaire. » Aux yeux d’Audrey Richard, la présidente de l’ANDRH1, les vertus de la démarche ne sont cependant plus à démontrer : « Le recours à des coachs externes a pour objectif d’améliorer les soft skills, de revoir certaines pratiques de travail, d’améliorer le rôle du manager dans son collectif, de prendre de la hauteur de vue et d’accompagner une nouvelle prise de fonction. Il s’agit à la fois d’aider quelqu’un mais aussi de favoriser le développement de son potentiel. »

« Être comme on attend que vous soyez ».

Luc Chaumette peut en témoigner. Aujourd’hui directeur Industrie, Digital et Innovation de Rail Logistics Europe (groupe SNCF), il a suivi trois coachings depuis une dizaine d’années : « Cet accompagnement m’a permis de mieux connaître mes forces et mes faiblesses et de travailler la perception qu’avaient de moi mes collaborateurs et plus généralement l’entreprise. » Une expérience qui lui a permis d’identifier les domaines dans lesquels il pourrait s’épanouir et apprendre à mieux présenter ses réalisations, ses compétences et ses souhaits « lors de rencontres avec des dirigeants ». Il mesure aujourd’hui le chemin parcouru : « À l’époque, j’étais absorbé dans l’opérationnel, je pouvais avoir un comportement un peu « éruptif » et tenir des propos qui pouvaient être perçus comme parfois « cassants », même si l’intention n’y était pas. Le coaching m’a permis de détecter les « drivers » qui m’amenaient à avoir ces postures et de prendre du recul par rapport à ces dernières. J’ai compris que, même si elles étaient justifiables, elles pouvaient porter préjudice à la coopération et à la confiance. Le coaching permet de progresser plus vite qu’on ne le ferait seul, afin d’apprendre à être autrement, à être comme on attend que vous soyez. » À l’heure des pénuries de main-d’œuvre et de la croissance du turn-over, le coaching présente une autre vertu selon la coach Nathalie Barbet-Baker : « Il peut être un outil efficace de fidélisation. Proposer un coaching à quelqu’un de compétent, en phase avec les valeurs de l’entreprise, pour qu’il soit plus performant et serein, c’est le fidéliser. »

Le coaching a aussi conquis le territoire du collectif. Pour faire évoluer le fonctionnement d’une équipe, Nathalie Barbet Baker propose de construire un pont auto-porté, système sans clou ni vis imaginé par Léonard de Vinci. Répété, l’exercice permet de voir les participants aller vers les places qu’ils préfèrent ou de voir évoluer le fonctionnement du groupe lorsqu’il change de leader : « Si le leader est très directif, il va susciter une attitude très attentiste parmi le groupe. S’il adopte une attitude plus collaborative, il va susciter une plus grande implication des membres du groupe. » Cette approche est censée permettre aux participants, à travers des échanges, de mieux appréhender leur propre fonctionnement, de trouver la place qui leur convient et de faire évoluer les fonctionnements. « Typiquement, résume la coach, ces exercices peuvent par exemple mettre en lumière les leaderships « doux » mais réels, qui reposent sur un accompagnement attentif, des remarques pertinentes qui suscitent l’adhésion du groupe. C’est une forme de leadership d’adhésion, construit sur l’écoute, la recherche de solutions innovantes. »

Lui aussi coach, Patrick Dugois invite les membres d’un groupe à définir leurs objectifs avec un jeu de cubes de bois afin que chacun puisse « constater qu’il est aussi particulier que les autres » et penser sa place dans l’ensemble : « Un collectif, ce n’est ni un espace où chacun se développe et peu importent les autres, ni un espace où il faut se suradapter. Un collectif est un dialogue entre ces deux extrêmes. Un phénomène collectif réussi repose sur un accord sur les objectifs, des règles claires et une qualité relationnelle. »

Développer la maturité d’une équipe.

Globalement, le coaching collectif se fixe comme but le développement de la « maturité » d’une équipe, explique la coach Sylvie Ray-Hugues : « Une équipe peut se caractériser selon trois stades. Dans le premier, elle est simplement un groupe d’individus dans lequel le responsable est un donneur d’ordre. Avec un accompagnement, elle peut atteindre le deuxième stade, celui de groupe solidaire où il y a une écoute, une réciprocité qui permet de créer des liens entre les membres. Le manager peut alors se centrer sur les relations et la dynamique de groupe. Le troisième stade est celui de l’équipe performante où les gens se connaissent, peuvent occuper d’autres places que la leur, tandis que le manager peut se centrer sur le sens, la cohérence et le partage. Le coaching collectif vise cette dernière étape à travers un travail d’intelligence collective qui développe la capacité à coconstruire et élaborer des solutions efficaces. »

Comment constater les progrès et les mesurer ? Pour Dominique Vercoustre, président du Simacs (Syndicat interprofessionnel des métiers de l’accompagnement, du coaching et de la supervision), ils se manifesteront dans la manière de travailler – est-elle plus fluide ? – ou l’évolution des résultats. Pour autant, aucun étalon de mesure universel ne peut être utilisé : « Les résultats du coaching peuvent être établis à travers la perception de l’évolution des modes de fonctionnement, le constat d’une confiance partagée et dans le niveau de mobilisation des équipes. Cet examen des résultats se fait dans des réunions tripartites qui réunissent le coaché, son manager et le coach, mais aussi à travers un regard extérieur, que ce soit celui du DRH, des pairs du coaché ou de ses équipes », (voir aussi encadré).

Paul Dugois estime de son côté que voir croître la prise d’initiative constitue l’un des critères de succès : « Avec le coaching, le manager arrive à renoncer à être au centre de tout, accepte une parité avec les membres de son équipe, même s’il garde des moments d’arbitrage. Il faut aboutir à ce que ce soit la vision qu’a l’équipe de son travail qui serve de régulateur afin que le manager puisse se décentrer, être plus en observation, en soutien et en stratégie. » Pour expliquer le besoin croissant de coaching, il pointe la formation déficiente des managers : « Aujourd’hui encore, dans les écoles de commerce, on enseigne peu le leadership ou les sciences sociales. La quasi-totalité des managers ignorent la vie émotionnelle du collectif placé sous leur responsabilité. La conséquence c’est que, quand tout va bien, ils sont satisfaits mais leur équipe peut s’emballer et cela peut devenir dangereux, ou, inversement, elle peut déprimer et ils ne savent plus quoi faire, et ils se disqualifient. » Si aujourd’hui le coaching vient à leur rescousse, leurs successeurs auront peut-être une formation initiale élargie pour éviter de tels écueils. À condition de trouver une place au coaching dans des cursus déjà bien remplis.

Mise en adéquation…

Pour Dominique Vercoustre, président du Simacs (Syndicat interprofessionnel des métiers de l’accompagnement, du coaching et de la supervision), le coaching constitue un levier indispensable. « Nous sommes dans un monde compliqué, violent et difficile. Les entreprises se trouvent dans des écosystèmes complexes et qui se transforment pour répondre à des enjeux climatiques, sociétaux et sociaux. Le manager et le dirigeant qui est un peu seul doit trouver des ressources pour avancer et atteindre ses objectifs. Le coaching individuel aide les managers ou les dirigeants à trouver des ressources en eux-mêmes pour répondre à ces enjeux et atteindre leurs objectifs. Le coach les aide à une prise de conscience, une prise de recul et un questionnement qui leur permet de trouver des réponses. Le coaching ne doit pas être mobilisé seulement en cas de difficulté. Il peut aussi aider à déterminer si la partie émotionnelle est un frein ou un avantage, à mieux la maîtriser, à savoir comment faire de cette partie émotionnelle un atout dans la relation à l’autre. Le coaching aide la personne à établir son propre diagnostic. Quand la prise de conscience est faite, la moitié du chemin est déjà faite. Le manager est en permanence dans une posture. Le coaching l’aide à mettre en adéquation sa posture avec ce qu’il pense. Cette adéquation va lui permettre de demander aux autres d’investir le maximum d’eux-mêmes dans leur travail. »

…ou processus « révélateur » ?

Pour la sociologue Scarlett Salman, le développement du coaching doit beaucoup au mode de gestion paradoxal qui reste dominant au sein des entreprises. « Certains cadres se voient attribuer un coaching parce qu’ils ont un comportement « irrévérencieux » vis-à-vis de leur hiérarchie. Le but est de remettre la personne à sa place car même s’il existe un discours sur la possibilité pour tout le monde de s’exprimer, les organisations restent très hiérarchiques et même un cadre dirigeant doit faire attention à ce qu’il dit. Ces cas, pas si anecdotiques au demeurant, sont révélateurs de la nature hybride du capitalisme actuel. D’un côté se développe depuis vingt ans un discours « néomanagérial » encourageant la prise d’initiative, la créativité, la libre parole, qui trouve une traduction concrète dans les pratiques de formation de l’encadrement et de coaching ; de l’autre, les organisations et les modes de prise de décisions restent très hiérarchisées. Si les cadres veulent contourner cette structure très hiérarchique pour contacter directement le dirigeant par exemple, ils risquent de se faire placardiser ou de devoir partir. Dans ces cas, le coaching joue un rôle ambivalent. D’un côté, il enseigne les règles informelles et implicites que doit respecter le cadre au sein de l’organisation ; ce faisant il l’aide à éviter une situation où il risque la placardisation ou l’exclusion, et il l’aide aussi à comprendre suffisamment à temps le risque pour l’amener à se repositionner et à élaborer une autre stratégie. Le coaching opère cependant également comme un rappel à l’ordre hiérarchique dans ce type de configuration, en rappelant aux cadres leur place. »

« Le coaching ne traite que les symptômes » (Scarlett Salman, sociologue)

Sociologue, maître de conférences à l’université Gustave Eiffel et chercheuse au Laboratoire interdisciplinaire Sciences, Innovations, Sociétés (Lisis – CNRS/Inrae/Université Gustave Eiffel), Scarlett Salman a publié en 2021 Aux bons soins du capitalisme, le coaching en entreprise (Presses de Sciences Po). Elle revient sur l’origine du coaching et analyse le rôle qu’il remplit actuellement dans les entreprises.

www.info-socialrh.fr

(1) ANDRH : Association nationale des DRH

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins