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Ordonnances Macron : pistes brouillées et malmenées pour la santé au travail

À la une | publié le : 01.03.2023 | Dominique Perez

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Ordonnances Macron : pistes brouillées et malmenées pour la santé au travail

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Catherine Barthel-Fuentes, maître de conférences associée à l’Institut du travail (IRT) de Strasbourg et formatrice en santé au travail (agrément SSCT) auprès d’élus, de managers, de responsables RH, d’animateurs et ingénieurs en sécurité sur les questions de santé au travail.

À votre avis, quels effets la disparition des CHSCT a-t-elle eu sur la façon dont est traitée et considérée la question de la santé au travail ?

Catherine Barthel-Fuentes : J’ai constaté, à partir de mon expérience de formation en santé au travail, une réelle déperdition. D’abord dans les entreprises de 50 à 299 salariés, où il n’y a pas d’obligation d’avoir des CSSCT (commissions santé, sécurité et conditions de travail) mais aussi parce que les élus, depuis la fusion des instances représentatives, sont moins nombreux et ont moins de moyens. Ils ont dans leurs prérogatives non seulement tout ce qui relève des demandes individuelles et collectives par rapport au droit du travail, à la protection sociale, mais également la représentation des intérêts des salariés en matière économique, environnementale et santé… Toutes ces attributions, à mon sens, représentent la plus grande source de difficulté. Sur les questions de santé en particulier, le déficit en termes de personnes et de moyens dévolus pèse lourd. De plus, les élus ont une déperdition en termes de savoir-faire, certains s’étaient spécialisés, beaucoup ne le sont plus. On pourrait estimer que le législateur, lors de la fusion des institutions représentatives en CSE, a souhaité favoriser la santé au travail, en permettant aux élus d’avoir une vision transversale. C’est ce qu’avait mis en avant Muriel Pénicaud. Je veux bien l’entendre. Mais la réalité, sur le terrain, est que la négociation en entreprise, qui était considérée comme le levier principal des ordonnances, qui devait donner de l’oxygène au dialogue social et permettre d’aborder les questions de santé, n’a pas eu lieu de façon efficiente comme prévu ni eu les effets attendus. Et les dispositions supplétives en matière de santé sont insuffisantes. Elles se limitent à prévoir le nombre de membres minimum dans la CSSCT, mais ne disent rien sur la périodicité des réunions, sur les moyens dévolus à la commission, par exemple.

Quelles sont les conséquences ?

C. B.-F. : Dans les entreprises où existaient déjà un bon dialogue social, avec des CHSCT forts, reconnus, et une prise de conscience que ce comité était un élément primordial pour limiter les accidents du travail et prévenir les risques professionnels, cette prise en compte s’est parfois poursuivie. On a pu le constater également pendant la crise sanitaire. En ce sens, certaines entreprises de moins de 300 salariés, donc non soumises à l’obligation de créer une commission santé, l’ont tout de même mise en place. C’est le cas d’un employeur du secteur du soin que je connais. Dans celle-ci, tous les titulaires du CSE sont également membres de la CSSCT et disposent de 10 heures de délégation en plus des heures prévues au CSE. Mais la plupart des TPE-PME en France, qui représentent l’essentiel du monde économique, n’ont pas majoritairement cette culture de la santé et sécurité. Surtout, les accords négociés, en tous les cas ceux que j’ai vu passer, sont souvent très succincts, ils ont été souvent négociés dans l’urgence, sans véritable recul par rapport aux nouvelles dispositions. Or, l’articulation CSE/CSSCT, est presque creuse, car souvent on a seulement copié/collé l’article du Code du travail précisant que « le CSE délègue en tout ou partie les attributions en santé à la CSSCT… ». La loi ne dit rien de la manière dont les travaux de la commission doivent être pris en compte. Résultat : on ne sait pas, dans la pratique, qui fait quoi. Les CSE ont la possibilité, à défaut de précision dans l’accord, d’intégrer dans le règlement intérieur du CSE cette question de l’articulation et du fonctionnement de la commission santé. Ce devrait être à mon sens un axe de progrès dans les nouveaux accords de renouvellement des CSE. Des employeurs qui ne souhaitent pas trop s’investir sur ce thème par exemple, peuvent se dire : on ne va pas aborder telle ou telle question concernant la santé en CSE, parce qu’elle a déjà été traitée en CSSCT… La commission, est la cheville ouvrière du CSE, c’est-à-dire qu’elle va préparer les dossiers en santé. Le législateur précise bien qu’elle n’est pas là pour être consultée, puisqu’elle n’a pas la personnalité morale, elle ne peut recourir aux experts, ni ester en justice. Des confusions existent sur ce point et certaines entreprises vont consulter la CSSCT au lieu et place du CSE contrairement aux dispositions d’ordre public. C’est pourtant le CSE qui garde ces prérogatives. Dans la plupart des entreprises le nombre d’élus en CSSCT est assez faible, le minimum légal a été fixé à trois, de plus la loi ne précise pas s’il peut s’agir de titulaires ou de suppléants. Des personnes peuvent ainsi faire partie de la commission santé mais être élues au CSE en tant que suppléantes, qui ne participent pas aux plénières et ne votent pas, sauf en cas d’absence du titulaire. Ce qui en pratique pose problème. Un exemple concret ? On a une consultation du CSE sur une réorganisation qui touche à la santé au travail parce qu’elle va avoir des incidences sur les horaires, les amplitudes, sur la question de la santé mentale, dont les risques psychosociaux… Le CSE est consulté. La CSSCT est censée avoir préparé cette consultation, après un dialogue avec l’employeur. Or, quand cette question passe au CSE, ceux qui vont finalement travailler et voter l’avis ne sont pas tous les mêmes que ceux qui étaient à la commission santé, particulièrement les suppléants. Je crains de manière pragmatique que ces commissions santé, qu’elles soient facultatives ou obligatoires, ne soient que des instances techniques, et finalement des coquilles vides, juste des groupes de travail. En terme probatoire, c’est gênant parce que la seule base sur laquelle les élus pouvaient se référer en cas de contentieux était un procès-verbal du CHSCT en bonne et due forme… Il faudra donc être vigilant sur l’adoption des avis du CSE en matière de santé.

Vous soulignez également les risques pour l’employeur à ne pas prendre en considération les avis du CSE en matière de santé et sécurité au travail…

C. B.-F. : Les élus n’ont pas encore pris suffisamment conscience de l’importance d’exiger de l’employeur qu’il détaille les suites qu’il va donner aux demandes ou réserves émises par le CSE. Exemple : une direction d’entreprise qui a mis en place partiellement des actions de prévention suite aux recommandations et ou avis du CSE. En cas d’accident du travail, l’employeur va devoir démontrer qu’il a pris des mesures nécessaires, qu’il a adapté l’organisation conformément aux articles L. 4121-1 et suivants du Code du travail. Si les mesures prises ne sont pas suffisantes, non seulement il y aura manquement à l’obligation de sécurité mais aussi recours possible pour faute inexcusable… De même, un employeur qui n’a pas voulu négocier des moyens pour la santé dans un accord et qui, lors d’une consultation du CSE, ne répond pas aux demandes, voire oppose une fin de non-recevoir, peut être pénalisé en cas d’accident du travail. Il y a là un vrai levier pour les élus, qui ont intérêt à faire comprendre à l’employeur que ne pas tenir compte des propositions du CSE est une arme à double tranchant. Ceci ne semble pas encore, sur le terrain, très bien compris, de la part de certaines directions comme de certains élus.

Cela est d’autant plus prégnant depuis le 31 mars 2022. En effet la nouvelle consultation sur le DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels) dans les entreprises d’au moins 50 salariés sera analysée à la loupe par les juges en cas de contentieux. Cette nouvelle prérogative du CSE doit être maniée avec vigilance, aucun CSE ne pourra de manière efficiente être consulté, en une seule fois, sur l’ensemble du document unique. Il me semble nécessaire de faire des consultations sur le DUERP par unité de travail en prévoyant un échéancier en relation avec les inspections et enquêtes du CSE et bien sûr en articulation avec le rapport et le programme annuel de prévention des risques professionnels et d’améliorations des conditions de travail. À défaut on aura des consultations formelles, voire fictives, des CSE qui n’auraient aucunement les moyens de se prononcer valablement et ce au détriment de la prise en compte des questions de santé au travail.

Auteur

  • Dominique Perez