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La vie après des mandats au CSE : une question qui va s’imposer

À la une | publié le : 01.03.2023 | Murielle Wolski

Avec la réforme du comité social (CSE) et économique de l’entreprise de 2017, le mandat renouvelable à vie a disparu. À l’approche du renouvellement des membres en poste, la question de l’après-mandat se fait jour. Focus sur un sujet qui va alimenter les discussions avant les prochaines élections en 2024.

Soazig Sarazain est à la tête d’un master un peu particulier, à l’université Paris-Dauphine. Son libellé : master négociations et relations sociales. « Le public cible est – précisément – constitué d’élus ou de représentants syndicaux qui ne se voient pas reprendre leurs postes d’avant, explique Soazig Sarazain, par ailleurs fondatrice du cabinet conseil VoxNego, une fois leurs mandats achevés. Ils ont tous pour projet d’évoluer. » Ce bac + 5 est le seul diplôme d’État en France à s’atteler à cette problématique, les autres sont des diplômes d’université. Et il y a fort à parier que le nombre de candidatures pourrait augmenter dans les mois et années à venir. En effet, l’un des effets des ordonnances dites Macron du 22 septembre 2017 va se faire sentir dans les prochains mois. Que dit le texte ? Selon l’article L 2314-33 du Code du travail, « les membres de la délégation du personnel du comité social et économique sont élus pour quatre ans. Le nombre de mandats successifs est limité à trois… » [à l’instar de ce qui se passe dans le monde universitaire]. Cette règle ne peut souffrir d’aucune exception pour les entreprises de plus de 300 collaborateurs. En revanche, la durée des mandats peut osciller de deux à quatre ans, selon l’accord d’entreprise ou de branche conclu. Avec des premières élections des comités sociaux et économiques (CSE) – version ordonnances Macron – qui ont eu lieu en 2018, quelque 20 000 CSE ont été renouvelés en 2022, 40 000 sont programmés pour 2023… sur un nombre total de 89 934, selon le rapport de France Stratégie publié fin 2021 (près de 11,5 millions de salariés seraient ainsi couverts par un CSE). Et le calendrier des élections professionnelles, avec cette limite des trois mandats, va donc s’échelonner jusqu’en 2032. On n’a donc pas fini d’en parler. « À l’approche de la fin des trois mandats, le sujet risque de venir inflammable », commente David Guillouet, avocat associé au sein du cabinet Voltaire.

2005-2021 : le parcours de Marie-Béatrice Sénèze compte seize ans en tant qu’élue au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), puis au CSE, sur 29 ans passés dans la même entreprise. Négociation avec la direction, individuellement pour répondre à la demande d’un collaborateur en difficulté, ou collectivement pour améliorer la qualité de vie au travail des salariés ; organisation, planification des réunions, rédaction des ordres du jour, écoute et recueil du témoignage des salariés sur leurs problématiques… « Au moment du plan social, j’ai réalisé tout ce que j’avais appris, explique-t-elle. Pour autant, en parler ou pas, j’avais un complexe par rapport à cet investissement. Je le laissais dans l’ombre. Une forme de délit de faciès pèse sur nous. Et pas d’accès à une forme de validation des acquis de l’expérience. » Résultat : elle est à son compte aujourd’hui pour… accompagner les bilans de compétences.

Profiter de l’entretien professionnel

La loi Rebsamen du 17 août 2015, via l’article L. 2141-5 du Code du travail, avait encouragé la valorisation des compétences des porteurs de mandats, avec la création d’un entretien de début et de fin de mandat pour les délégations supérieures à 30 % de leur temps de travail – les heures de délégation vont de 10 heures mensuelles pour une entreprise de moins de 50 salariés, et de 34 heures pour des effectifs au-delà de 9 750. « Cette disposition est très peu connue des militants », déplore Soazig Sarazain.

« Beaucoup sont titulaires d’un mandat en dilettante, note David Guillouet, pas très investis. Ils n’ont pas besoin d’être reclassés. Les salariés ne se pressent pas pour figurer sur des listes professionnelles. Il a fallu combler. Beaucoup de candidatures ont été enregistrées pour faire plaisir. Quand ils le sont un peu plus – investis-, ça peut parfois se négocier avec un chèque… »

Et la VAE ?

« Globalement, on progresse, témoigne Éric Ferrères. Mais, les entreprises ont encore du mal à apprécier l’apport d’un collaborateur doté d’un parcours de syndicaliste. La reconnaissance passe par le diplôme. Cette démarche a le mérite de mettre tout le monde d’accord. Cela n’est pas un passe-droit. » Et il a une petite idée sur la question. Syndicaliste au sein de la SNCF, Éric Ferrères est aujourd’hui directeur des ressources humaines au sein de l’Association d’Entraide Vivre, après plusieurs postes intermédiaires. Un grand écart effectué, précisément, grâce au master de Paris-Dauphine. Un grand écart qui ne suscite plus de questions pendant l’entretien de recrutement, le sien.

Danone, Manpower, SFR, Peugeot, Carrefour, la SNCF mais aussi la branche des assurances peuvent proposer à leurs représentants au CSE de faire valider leurs compétences ainsi acquises, en formation continue. « Tout dépend de la qualité du dialogue social en interne, commente Soazic Sarazain. La formation est alors perçue comme un levier de transformation ou de valorisation de ceux qui ont assuré le dialogue social. Les dirigeants œuvrent alors à leur employabilité. » Mais pas de validation des acquis de l’expérience (VAE) instituée, organisée ou fléchée par des textes de loi, à destination des élus. Et la toute dernière réforme a pensé à en élargir les bénéficiaires (aidants familiaux, bénévoles ou détenus), mais a zappé les militants syndicaux. Une occasion ratée. « Les syndicats rencontrent de réelles difficultés à recruter, constate Jean-Dominique Simonpoli, cofondateur de la Fabrique du social. Avec un nombre d’élus moins élevé, en vertu des ordonnances Macron, et plus de tâches à gérer, notamment tout ce qui touche l’écologie, sans compter le Covid, les membres des CSE sont fatigués. La lassitude est notoire. Est-ce de nature à accélérer le renouvellement lors des élections professionnelles ? Ne rien faire est un signal négatif envoyé à toute l’entreprise, et un gâchis de compétences. Or, dans ce contexte, légalement, il n’y a rien », résume-t-il. Ou presque rien.

Dans la foulée des ordonnances dites Macron, a été créée la certification relative aux compétences acquises dans l’exercice d’un mandat de représentant du personnel ou d’un mandat syndical. C’est l’article L-6112-4 du Code du travail (daté du 18 juin 2018). Et, en 2022, ce dispositif a même été prorogé jusqu’en octobre 2026, en dépit de son succès relatif. En moins de cinq ans, seule une centaine d’élus en ont profité. Plus de la moitié avait un mandat syndical à 100 %. L’organisme à la manœuvre ? L’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). « Comment un organisme extérieur peut apprécier les compétences du syndicaliste, sans le voir en fonction », interroge Jean-Dominique Simonpoli. L’idée portée, et déjà développée, par la Fabrique du social, est une évaluation en interne, syndiqué, entreprise et syndicat. Une mécanique tripartite. Une vingtaine d’entreprises l’ont déjà adoptée, dont Total, EDF, la BNP… « Avec une évaluation qui peut se faire au fil de l’eau, pas besoin d’attendre la fin du mandat, poursuit-il, et la mise en place de formations pour étoffer les connaissances. » Ou la portabilité des compétences liées au mandat de représentant au CSE. L’institut régional du travail de Toulouse a développé une VAE militante. Des initiatives parfois isolées. « Cela manque d’accompagnement des ressources humaines, déplore Céline Cassou, élue CGT au CSE de la RATP infrastructure. Et le syndicat ? « Il peut avoir des informations, mais ce n’est pas lui qui remet en poste, complète-t-elle, ou qui s’occupe de l’intégration. »

L’heure des représailles

Le retour sur le poste de travail initial ? « Avec 100 % de mon temps dédié aux mandats, cela m’a éloigné de fonctions classiques, commente Cyril Savtchenko Belsky, représentant syndical au Comité de Groupe Suez &au CSE Central Suez Recyclage et Valorisation. Vous en savez plus que les autres. Vous avez une couleur politique. Je n’ai pas d’exemple en tête d’élus qui ont posé le stylo pour reprendre une activité professionnelle dans l’entreprise dans laquelle ils ont été représentants, dans le même service, au même poste. Je préfère voir cette expérience comme une étape de ma trajectoire professionnelle et aller m’épanouir ailleurs. » Pour lui, ce sera le barreau. Avec les ordonnances Macron, cette conception de la vie syndicale comme toute autre expérience professionnelle du CV devrait se développer.

Le retour sur le poste de travail initial ? Une trajectoire tout à fait possible, mais une projection qui est loin de séduire. « On ne va pas être attendu comme le messie ! On ne va pas repasser à une vie normale ! Les élus ne sont pas toujours bien accueillis… » Autant de constats de Mikael Klein, associé au sein du cabinet LBBa, spécialisé dans le droit social. « Le salarié ne va plus être protégé six mois après, ajoute Caroline Diard, enseignant-chercheur en management des ressources humaines et droit à l’École supérieure de commerce d’Amiens. Il y aura forcément des règlements de comptes. Des « tu ne m’as pas défendu quand… » ou « on va ne faire qu’une bouchée de vous », du côté des RH, vont fleurir, à l’arrêt du mandat. Or, vous avez un passif. Vous avez écrit une histoire. C’est un vrai problème de management, avec un collaborateur qu’il va falloir occuper, une ventilation des missions qu’il va falloir retravailler. »

« Si on n’est pas encore saisi de ces sujets-là – car c’est un peu tôt par rapport au renouvellement des mandats, souligne Mikael Klein. Une forme d’inquiétude est perceptible. Il y a la loi, et il y a la vie, commente-t-il–avec un joli sens de la formule. Si la loi était respectée, je ne serais pas sûr d’avoir du travail ! »

Auteur

  • Murielle Wolski