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CSE : cinq ans après les ordonnances Macron,un bilan (plus que) contrasté

À la une | publié le : 01.03.2023 | Dominique Perez

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CSE : cinq ans après les ordonnances Macron,un bilan (plus que) contrasté

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Si, côté patronal, on considère que les ordonnances Macron, en fusionnant les différentes instances de représentation du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE), ont plutôt facilité le dialogue social, le sentiment de perte, côté syndical, prédomine largement, dans un contexte de renouvellement des troupes…

Le 22 septembre 2017 : les ordonnances « relatives au dialogue social et aux relations de travail », dites plus volontiers « ordonnances Macron », viennent modifier en profondeur le Code du travail. Parmi les mesures « phares », la fusion des instances déléguées du personnel, (IRP-délégués du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène de sécurité et de conditions de travail ( CHSCT) en une instance unique, le Comité social et économique (CSE). Avec l’injonction de se mettre en ordre de marche dans des délais assez restreints, entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2019. Une tâche encore rendue plus ardue avec l’apparition d’une crise sanitaire qui a contribué à apporter de la confusion quand tout n’était pas encore calé. « Les ordonnances ont représenté un véritable big bang dans le Code du travail, se souvient Isabelle Schucké-Niel, avocate experte en droit social, une tabula rasa. Il a fallu le temps de s’approprier les textes, de prévoir la fin des instances en cours de mandat, quand les historiques accords dits de droit syndical (fixant notamment la place des suppléants, délégués…) tombaient aussi, et renégocier les cycles des mandats en cours dans les grandes entreprises, tout recartographier avec la transformation des comités d’établissements (CE) en CSEE (Comité social et économique d’établissement)… » Cinq ans après, alors que les deux tiers des instances doivent être renouvelées en 2023, le moins que l’on puisse dire est qu’un certain « traumatisme » est encore bien palpable, tout au moins du côté des organisations syndicales, même si, sur le terrain, les situations sont assez contrastées, en fonction de la qualité antérieure du dialogue social.

Simplification ou frein ?

Faciliter justement ce dialogue social en permettant notamment aux entreprises de se doter d’une instance « à la carte », via un accord négocié, tel était le but affiché par Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail. Dans les faits, en l’absence d’obligation de devoir s’y soumettre, les entreprises ne se sont pas massivement, c’est un euphémisme, emparé de cette possibilité. Entre 2017 et 2019, seulement un peu plus de 8600 accords avaient été conclus. Or, « en l’absence d’accord collectif, 90 % des CSE ont été constitués par décision unilatérale, sur les dispositions légales minimales, estime Jean-Emmanuel Ray, professeur émérite de droit de travail à l’université Paris I-Sorbonne. Le réflexe de beaucoup d’entreprises, face à un bouleversement si majeur et avec l’impression que le ciel leur tombait sur la tête, a été de décalquer au maximum l’existant. » Avec une tendance au « moins-disant » qui, pour Luc Bérard de Malavas, consultant du cabinet Secafi, spécialisé dans l’expertise, l’assistance et le conseil auprès des IRP, a eu des conséquences délétères. « Le but était de simplifier les instances du dialogue social, certes, mais aussi de faire des économies. On retrouve cette volonté dans les dispositions légales supplétives, qui fixent le nombre d’élus minimum, d’heures de délégation… En théorie cela n’empêche pas les parties de pouvoir négocier, mais c’est le niveau des mesures légales qui donne le tempo. À partir du moment où il est bas, on constate également une forte diminution des accords favorables à ce dialogue social. »

Pour la CPME, « les dirigeants de PME sont satisfaits du pragmatisme de cette réforme avec un dialogue social au plus près du terrain. Et lorsque l’on se parle mieux, on se parle plus », résume Éric Chevée, vice-président. Mais il reconnaît également que des efforts doivent être effectués pour se l’approprier : « Les ordonnances Macron ont ouvert la voie à une multitude de possibilités d’aménagement du dialogue social et du CSE. Paradoxalement, le pendant de cette évolution est la difficulté de s’en saisir complètement. Lors de la constitution d’un CSE, de nombreuses entreprises reprennent les dispositions par défaut du Code du travail alors que ce code permet justement au chef d’entreprise d’y déroger en aménageant le dialogue social en fonction de la réalité économique et sociale de l’entreprise concernée. »

De forts écarts de perception

Côté syndicats de salariés, les ordonnances sont donc d’abord considérées comme un recul majeur, avec une baisse du nombre d’élus (estimée entre 20 et 40 %). « On peut résumer l’esprit des ordonnances par le mantra « faire beaucoup plus avec beaucoup moins », estime ainsi Gille Lecuelle, secrétaire national en charge du dialogue social à la CFE-CGC. Nous avons beaucoup plus de sujets à traiter avec moins d’élus et moins de moyens. Or, la charge de travail peut devenir très vite ingérable. Bien souvent, avec la diminution du nombre d’heures de délégation, les élus sont amenés à délaisser certains thèmes. Ce qui est dommageable pour les organisations syndicales, mais aussi pour les employeurs. » Dans un contexte de difficulté à motiver de nouveaux représentants syndicaux, le cœur du problème, pour Jean-Emmanuel Ray, n’est finalement pas vraiment dans la diminution du nombre d’élus. « Les syndicats se sont, c’est normal, focalisés dans un premier temps sur la réduction des moyens et des heures de délégation, estime-t-il. Mais étant donné la difficulté à trouver des délégués, même si en avoir moins sur le plan symbolique est problématique, finalement cela peut aussi en quelque sorte leur simplifier la tâche. L’important, maintenant, après plusieurs années, est de se pencher sur les moyens d’organiser le dialogue social pour les 8 ou 10 prochaines années Côté patronal, les avantages d’une simplification apparaissent donc nettement : « Avec moins de réunions à préparer, la suppression du CHSCT, les directions ont le sentiment d’une plus grande efficacité, constate Nicolas Weinstein, membre du comité de direction de Syndex expert en CSE et SSCT (santé, sécurité et conditions de travail). Les représentants du personnel, eux, déplorent le manque de temps, la perte d’une proximité avec les salariés et le fait que le sujet des conditions de travail est moins traité qu’auparavant (lire aussi l’article suivant) pour cause d’ordres du jour extrêmement chargés… » Seul élément sur lequel IRP et directions pourraient, dans une certaine mesure, selon le comité d’évaluation des ordonnances, déceler un avantage : la concentration du traitement de toutes les thématiques au sein d’une seule instance permettrait une plus grande « transversalité » qui peut en effet être perçue « par certains élus, en particulier dans des grandes entreprises, comme une possibilité d’accéder à des informations et de gagner en coordination. » Avis partagé par l’IRES (Institut de recherches économiques et social) dans son rapport « Quel dialogue social dans l’entreprise après les ordonnances du 27 septembre 2017 ? » paru en décembre 2021 : « La fusion des missions au sein d’une seule instance permet d’éviter, dans une certaine mesure, des effets « ping-pong » comme ceux qui consistent à renvoyer les questions CSE aux questions DP par exemple. » Une appréciation partagée par Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH et DRH du groupe Afnor : « Cela permet une professionnalisation des délégués, et avec moins de monde autour de la table, souvent de mieux s’entendre, et de moins « doublonner » sur certains sujets. »

Mais, a contrario, la charge de travail supportée par les nouveaux délégués, devant se former sur des thématiques très diverses, suppose une « professionnalisation nécessaire sur tous les thèmes, souligne Marcel1, délégué CGT dans une entreprise du textile de moins de 500 salariés. On nous a réduit les heures de délégation, de 28 heures – ce qu’on avait réussi à maintenir lors du premier mandat du CSE – à 22 heures aujourd’hui, la nouvelle direction souhaitant se référer au strict minimum légal. On est obligés de prioriser les thèmes, je travaille le soir sur les dossiers, je fais cela avec passion, mais pour prendre le temps de former la relève, c’est compliqué. La durée des mandats, prévue désormais pour 4 ans, ajoute une difficulté supplémentaire, avec de nouveaux délégués à former plus souvent. » Avis partagé par Christophe Clayette, secrétaire confédéral CFDT, en charge du dialogue social : « Quand vous arrivez sur un mandat CSE avec des ordres du jour pléthoriques, avec de plus en plus d’élus happés par des réunions plénières à rallonge qui s’étalent parfois sur plusieurs jours, quand on organise ainsi la concentration et la centralisation du dialogue social, on prend le risque de le casser. »

Une proximité perdue ?

La perte est ressentie de manière d’autant plus forte que le rôle de suppléant des délégués a été amoindri par les ordonnances. Auparavant convié aux réunions du CE, il ne peut assister aux réunions du CSE que quand le titulaire est absent, et s’il doit prendre connaissance des ordres du jour, à charge de ses collègues de l’informer sur les dossiers hors réunions officielles. Une disposition légale qui peut cependant être modifiée à la faveur d’un accord d’entreprise, mais à laquelle peu d’employeurs auraient souscrit. Autre problématique : le sentiment d’un manque de proximité avec le terrain, dû à la centralisation et à la charge de travail des élus, qui serait peu compensée à ce jour par la mise en place des « représentants de proximité » permise par les ordonnances, par accord d’entreprise. « L’effacement de la représentation de proximité apparaît comme une crainte récurrente, souligne le rapport du comité d’évaluation des ordonnances. D’après une étude menée pour le comité, environ 25 % des accords de mise en place des CSE prévoient la création de représentants de proximité, principalement dans des grandes entreprises, avec néanmoins un quart de ces accords qui concernent des structures de moins de 300 salariés. À ce stade, leur rôle reste encore mal défini. » Pour Laurence Breton-Kueny, cette question peut effectivement apparaître comme une difficulté pour des entreprises multisites, et doit être pensée au moment de la désignation des délégués. « Même si, comme employeur, nous n’avons évidemment pas la main sur le choix des délégués et des suppléants, en revanche, lors de la négociation du protocole d’accord préélectoral, nous échangeons sur l’intérêt qu’il y aurait de disposer des représentants des différents métiers et régions d’implantations, pour avoir une représentativité du groupe. » Perte pour les uns, gain de simplification pour les autres… La nécessité d’un bilan, voire de changements des modalités se fait largement jour, tandis que le comité d’évaluation des ordonnances a été purement et simplement enterré fin 2022. « Nous avons appris cela par voie de presse, regrette Thomas Vacheron, membre de la Commission exécutive confédérale, alors que la diversité de points de vue dans cette commission permettait de mettre en avant des arguments factuels et des perspectives d’amélioration, mais quand ça chauffe, on supprime le thermomètre ! Tout le monde y trouvait pourtant son compte. » De leur côté, et dans un contexte tendu, nombre d’experts alertent sur les risques à venir, et la « nécessité à rendre le CSE de nouveau attractif, au regard notamment de ses insuffisances et de la fatigue des élus, pour éviter une crise des vocations dont les premiers signes semblent se manifester. Dans un monde qui paraît désormais connaître une instabilité permanente, faire vivre le dialogue social est un enjeu d’importance », prévient par exemple Syndex à l’occasion de son dernier baromètre, « État du dialogue social en 2022 ».

(1) Le prénom a été changé.

Auteur

  • Dominique Perez