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Vie des entreprises

Les Yo-Yo de la Bourse n'affolent pas les salariés actionnaires

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.09.2001 | Catherine Lévi

L'actionnariat salarié, c'est super, mais que se passe-t-il quand les marchés sont en berne ? Réponse : rien ! Se comportant en bons petits soldats, les salariés conservent leurs titres et attendent des jours meilleurs. Une sérénité d'autant plus grande que les entreprises multiplient les filets de sécurité.

Le Nasdaq est patraque, le CAC 40 se lamente, mais rien n'y fait : les actionnaires salariés affichent un moral à toute épreuve. Dernier exemple en date : avant l'été, les deux tiers des salariés de France Télécom ont investi comme un seul homme leur copieuse participation en actions de l'entreprise, en dépit d'un cours vraiment peu engageant. Et un tiers seulement ont préféré un placement monétaire, moins risqué. « L'année dernière, la proportion était identique alors que l'action était en phase ascendante », note Gérard Gruet Masson, responsable de l'actionnariat salarié. Confirmation par un cadre de France Télécom : « Je ne regarde plus la cote, qui change trop au gré de l'actualité. Je sais que l'entreprise tient la route sur la durée. Et l'actionnariat salarié reste une bonne affaire. » Un avis semble-t-il partagé, puisque 92 % des salariés de France Télécom sont actionnaires de leur entreprise.

Autre titre fortement ballotté sur les marchés financiers, celui d'Alcatel, qui n'a cessé d'accumuler déboires et plans de restructuration. Entre la crise des valeurs technologiques et l'échec de la fusion avec l'américain Lucent, l'action Alcatel a traversé de sacrées turbulences depuis le début de l'année, descendant sous la barre des 20 euros (elle cotait 18 euros à la mi-août) après avoir flirté avec celle des 100 euros en 2000. Et pourtant, les quelque 60 000 salariés actionnaires du géant des réseaux de télécoms se comportent comme de bons petits soldats. « Il n'y a pas eu de désinvestissement, remarque Thierry de Loppinot, président du conseil de surveillance du fonds commun de placement des actionnaires salariés. Pour le mois de mars, par exemple, les versements sont restés dix fois supérieurs aux retraits. » Reste à savoir si l'annonce faite au début de l'été par Serge Tchuruk de vendre la moitié des usines du groupe ne va pas remettre en cause cette fidélité. Son homologue d'Aventis, Philippe Subiron, ne peut que se féliciter du bilan du programme d'actionnariat, baptisé Plan Horizon, lancé au niveau mondial par le groupe en octobre 2000. « Les salariés ont joué massivement le jeu, même s'il y a eu un trou d'air au beau milieu de la période de souscription, car le titre était en baisse tout en restant supérieur à celui proposé dans l'offre. » Résultat, plus d'un tiers du personnel a souscrit les 5 millions de titres émis, ce qui représente un triplement du nombre de salariés actionnaires. Surtout, ces investisseurs ont choisi pour la plupart la formule la plus risquée, dite « à effet de levier », dont le rendement est plus élevé si la Bourse est booming.

Des montagnes russes

Face aux mouvements de montagnes russes des derniers mois, les spécialistes des marchés financiers ne peuvent que louer la constance des salariés. « Ils savent qu'il s'agit d'une épargne à long terme. Dès lors, les Yo-Yo de la Bourse n'ont pas vraiment d'importance », estime Agnès Gaultier de la Ferrière, membre du conseil de surveillance de l'un des fonds communs de placement d'entreprise (FCPE) de Vivendi Universal. « Ce sont des investisseurs qui refusent de rentrer dans l'irrationnel, affirme pour sa part Chantal Cumunel, déléguée générale de l'Observatoire de l'actionnariat salarié en Europe. Tout en acceptant une part de risque, ils croient en leur entreprise et voient leur intérêt à long terme. » La plupart achètent des titres maison pour se constituer un patrimoine et compléter leur retraite. Ce que confirme Philippe Subiron, d'Aventis : « 80 % de nos salariés conservent leur épargne au-delà de la période légale de blocage. » Une sage décision : sur la durée, toutes les études sérieuses montrent en effet que le placement en actions est gagnant.

France Télécom en est un bon exemple : introduit à 27,75 euros en octobre 1997, le titre affichait 45 euros à la mi-août (mais 150 à l'automne 2000). Le scénario est certes un peu moins rose pour Steria, une SSII dont le personnel détient 38 % du capital : l'action introduite en Bourse en juin 1999 à 40 euros est montée jusqu'à 100 euros au printemps 2000 pour revenir mi-août à un cours proche de celui de son introduction. Mais les pertes provoquées par la chute du cours ne sont jamais que potentielles : rien n'oblige les actionnaires à vendre leurs titres, ou les détenteurs de stock-options à les lever, ces derniers ne sortant d'ailleurs pas un centime de leur poche. « Ce n'est jamais l'intérêt des actionnaires salariés de vendre lorsque les cours sont au plus bas », note Jean Carteron, gérant de la holding de Steria. Dans ce cas de figure, il est préférable d'attendre des jours meilleurs. Au demeurant, l'épargne salariale est généralement bloquée pendant cinq ans, sauf en cas de départ de l'entreprise, d'acquisition immobilière ou d'événement familial.

Les mauvaises surprises ne sont donc pas exclues. Chez Vivendi Universal, plusieurs salariés ont vu chuter le cours de l'action du groupe entre le moment où ils ont signé une promesse de vente et celui où ils ont décidé de débloquer leur épargne. Mais les entreprises pensent à tout. Beaucoup d'entre elles accordent des conditions tellement avantageuses qu'elles atténuent l'effet des aléas boursiers : abondement, décote par rapport au cours en vigueur (de 20 % en général), formule à capital garanti… « Tout est fait pour que nous puissions souscrire au FCPE dans des conditions avantageuses, indique un cadre de Vivendi Universal. L'entreprise accorde une décote de 20 % et un abondement variant de 10 à… 100 % en fonction du niveau de salaire. En conséquence, le placement est toujours intéressant. On a pu ainsi tripler ou quadrupler notre mise, même si, aujourd'hui, nous sommes sur des bases moins élevées. »

Autre sorte de blindage, le plan proposé en juin 2000 par PPR prévoit une formule permettant aux salariés de recevoir, à l'issue des cinq années de blocage, 125 % de leur capital initial et 45 % de plus-value relative aux actions souscrites. « Ainsi, même à plus-value zéro, on est sûr de retrouver sa mise de départ majorée de 25 % », fait valoir Nathalie Laffont, directrice du développement social. Quant au plan d'actionnariat proposé par Aventis, il prévoyait une décote de 15 % sur le cours de l'action en vigueur et une formule à effet de levier permettant aux salariés de multiplier leurs gains à la fin de la période de blocage, sous forme de titres supplémentaires, mais seulement si la valeur de l'action avait augmenté.

Avec ce filet de sécurité, les soubresauts de la Bourse sont tout à fait supportables. Dans nombre d'entreprises de la vieille économie on n'a d'ailleurs même pas vu passer la crise. « L'action a peu baissé. Cela n'a ému personne », explique Jean-Claude Mothie, vice-président de l'Association des actionnaires salariés de Thales. Chez Alcatel, l'action a été introduite, lors de la privatisation, à 6,71 euros (chiffre tenant compte de la division par cinq de l'action intervenue en mai 2000). Et elle cotait tout de même 30 euros en mai dernier.

Fini le troc stocks contre salaire

En cas de pépin sérieux, les entreprises ont toujours les moyens de contre-attaquer. Par exemple, en lançant de nouveaux plans d'actionnariat destinés aux salariés qui ont acheté au plus haut. Une technique souvent utilisée pour réconforter les bénéficiaires de stock-options. Chez Yahoo ! France, où le cours de Bourse était, en fin d'année 2000, dix fois inférieur au cours le plus élevé atteint au premier semestre, on a refait à Noël une tournée de stock-options pour « dédommager » les salariés, car une minorité d'entre eux seulement avait encore un portefeuille en positif. Pour Thierry de Beyssac, directeur général de Hewitt, à toute chose malheur est bon. Selon lui, compte tenu du niveau des cours, la période actuelle est propice à l'actionnariat salarié : les salariés peuvent acquérir actions et stock-options à moindre prix avec des espoirs de plus-values non négligeables ! Thierry de Loppinot se souvient qu'en septembre 1998 l'action d'Alcatel avait perdu 38,8 % en une journée, ce qui n'avait aucunement affecté le succès de l'augmentation de capital réservée aux salariés lancée peu après.

Pas question pour les entreprises de remettre en question les plans d'actionnariat salarié ou les distributions de stock-options. « On construit une politique d'actionnariat salarié dans la durée et non de façon opportuniste. Que l'action monte ou descende », affirme Gérard Gruet Masson. « Il n'y a aucun effet de mode dans l'actionnariat salarié, juge Chantal Cumunel. Les grandes sociétés développent même aujourd'hui une réflexion internationale sur la question. » Mais des ajustements sont à prévoir. En premier lieu, un renforcement de la communication avec les actionnaires salariés. « Ils sont toujours satisfaits d'être rassurés quand leur patrimoine fluctue, juge Serge Cimmati, président de la Fédération française des associations d'actionnaires salariés et anciens salariés (FAS). Les directions des ressources humaines mettent souvent le paquet pour vendre des actions et, après, silence radio. » Au plus fort de la crise, beaucoup se sont contentées d'incriminer la Bourse sans faire de pédagogie. Steria n'est pas tombé dans le panneau : « On a regardé comment se comportait les titres de huit entreprises concurrentes, ce qui nous a permis de voir que le nôtre résistait mieux. La transparence est une tradition maison, même lorsque cela ne va pas », explique Jean Carteron.

Autre parade possible, les entreprises peuvent toujours faire appel à l'actionnariat plus régulièrement, pour des montants moins importants, ce qui les expose moins aux cycles boursiers, au lieu d'accorder de gros paquets d'actions de façon très espacée dans le temps. C'est en tout cas la conclusion de Fondact (association pour la gestion participative, l'épargne salariale et l'actionnariat de responsabilité). Pour Dominique Delamare, directeur général de la société de conseil Stock-option.fr, la crise boursière a sonné la fin du troc stock-options contre salaire, particulièrement prisé dans la nouvelle économie. Le package offert aux cadres devrait donc se diversifier, incluant intéressement et actionnariat. Chez Yahoo ! France, les salaires ont été réévalués. Mais Isabelle Bordry, la directrice générale de l'entreprise, est sereine : « Nous avons toujours dit à nos salariés qu'ils ne rentrent pas chez nous pour faire des gains mirobolants, mais parce qu'ils croient aux produits. » Une évolution saine pour le secrétaire général adjoint de la CFDT Cadres, Jean-Paul Bouchet, qui estime « qu'il faut se méfier d'un discours consistant à externaliser auprès des salariés des risques non maîtrisés ». Sans s'opposer au principe des stock-options, il estime également que si la baisse du marché boursier est trop forte, des mécanismes de régulation sont indispensables.

Certaines sociétés proposent d'elles-mêmes des contrats d'assurance garantissant un gain minimal lorsque les options seront converties en actions. Mais la formule est loin de faire l'unanimité. Car, selon plusieurs experts, elle dénature l'esprit des stock-options. « Chez nous, les salariés n'ont pas le droit de se couvrir. S'ils le font, c'est qu'ils ne croient pas à la marque », proteste Isabelle Bordry. Les troupes de Yahoo ! sont prévenues !

Toujours plus de capital pour le travail

Selon la Fédération française des associations d'actionnaires salariés, 1,2 million de salariés détiennent actuellement des titres de leur entreprise, contre 700 000 il y a deux ans. Chez France Télécom, ils possèdent 3,27 % du capital, 5,3 % au Crédit lyonnais, 3,7 % chez Aventis… Les salariés peuvent accéder au capital de leur entreprise en souscrivant par un versement volontaire à une offre d'actions qui leur est réservée, par l'intermédiaire d'un fonds commun de placement d'entreprise (FCPE) ou en direct. Ils peuvent aussi placer leur participation et leur intéressement dans un plan d'épargne d'entreprise investi en actions maison. Ils peuvent enfin exercer leurs droits d'attribution d'options d'achat d'actions (stock-options) et conserver les titres acquis.

92 % des salariés de France Télécom sont ainsi actionnaires (sans stock-options). Ils détiennent en moyenne 227 actions pour un apport moyen de 41 600 francs (6 341,88 euros). Les stock-options ont elles aussi le vent en poupe. Plus d'une entreprise sur deux, lorsqu'elle est cotée en Bourse, propose des plans d'options à ses salariés. Mais la formule, qui vise d'abord à compléter la rémunération des cadres et dirigeants, est généralement nettement plus élitiste.

Le site stock-option.fr a recensé environ 40 000 bénéficiaires parmi les sociétés du CAC 40. 0,71 % de salariés d'Accor sont concernés, 2,16 % chez Alcatel, 0,24 % chez Saint-Gobain… La distribution est sélective et augmente fortement avec le niveau hiérarchique.

Auteur

  • Catherine Lévi