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Vie des entreprises

Daniel Lebègue un réformateur de choc à la Caisse des dépôts

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.09.2001 | Isabelle Moreau

Intéressement, prévoyance, épargne salariale, retraite par capitalisation… Daniel Lebègue mène tambour battant la modernisation d'un mastodonte où cohabitent fonctionnaires et salariés de droit privé. Ce faisant, la Caisse des dépôts montre peut-être le chemin de la réforme dans le secteur public.

À l'âge de 185 ans, une nouvelle vie commence pour la Caisse des dépôts et consignations (CDC). La vieille dame de la rue de Lille a, en effet, annoncé en juin dernier son mariage avec les Caisses d'épargne pour constituer le troisième grand pôle bancaire français. Une union sur laquelle on n'aurait pas parié un kopeck, tant il est vrai que les tourtereaux se sont longtemps boudés. Et, sans l'intervention efficace d'un entremetteur québécois, jamais cette holding publique, baptisée l'Alliance, n'aurait vu le jour. Sur le papier, l'égalité entre époux a été strictement respectée, puisque Charles Milhaud, président du conseil de surveillance des Caisses d'épargne, et Daniel Lebègue, directeur général de la Caisse des dépôts, assureront la coprésidence du nouveau groupe. Pour ce dernier, un énorme chantier s'ouvre. Ce haut fonctionnaire venait à peine de mettre de l'ordre dans la maison en achevant la séparation des missions d'intérêt général et des activités concurrentielles assurées par la CDC.

Le voilà à nouveau à pied d'œuvre pour réaliser et vendre aux salariés du groupe une fusion qui ne veut pas dire son nom. Mais Daniel Lebègue n'aime rien tant que le changement. Lorsque Dominique Strauss-Kahn lui propose, en décembre 1997, de prendre la succession de Philippe Lagayette, il demande trois jours de réflexion afin de bâtir un projet pour la Caisse. Et pose ses conditions, comme celle de pouvoir fixer les rémunérations des cadres dirigeants. DSK dit banco et les ministres des Finances qui se sont succédé l'ont laissé travailler. Du coup, la CDC – bastion pour le moins atypique avec, dans l'établissement public, 4 500 agents dont deux tiers de fonctionnaires et un tiers de salariés de droit privé, et près de 30 000 agents dans les filiales – se comporte comme un véritable laboratoire, voire un aiguillon, pour la réforme de l'État.

1 CLARIFIER L'ORGANISATION DU GROUPE

C'est bien simple. Il ne faut pas trop de deux jours pour décrire aux nouvelles recrues la Caisse des dépôts et consignations, avec ses quelque 35 000 salariés, ses 18 métiers différents, la banque, l'assurance, la retraite, les transports ou encore l'immobilier, sa kyrielle de conventions collectives… D'où la difficulté de créer une culture maison. « Il n'y en a pas », estime tout bonnement un cadre dirigeant. Certes, l'organisation de la CDC a été clarifiée. Pour répondre aux injonctions de Bruxelles et coller aux impératifs des marchés, le groupe a eneffetséparéles missions d'intérêt général, comme la gestion des fonds des notaires, et les missions concurrentielles. Un processus en cours depuis… treize ans. Désormais, le groupe comprend l'établissement public et trois grandes filiales, la Caisse nationale de prévoyance (CNP), C3D (services et ingénierie) et, depuis le 1er janvier 2001, CDC Ixis, l'ancienne Direction aux affaires bancaires et financières. La révolution a été menée tambour battant par Lebègue. Non sans heurt. « Il y a eu de grands mouvements sociaux à la fin 1999 contre le projet de filialisation de CDC Ixis », rappelle Jean-Luc Dessenne, secrétaire général de l'Union autonome intercatégorielle Paris. Normal, estime Pierre Ducret, secrétaire général de la CDC, « c'est la première fois qu'on touchait au cœur de la maison ».

Pas de quoi faire changer de cap Daniel Lebègue, conforté par l'avis des experts choisis par la direction et les syndicats, et concluant que la filialisation « était la moins mauvaise décision, si on faisait le pari du développement », indique Daniel Bonté, secrétaire général de la CFDT Fonctionnaires de la Caisse. Le directeur général n'a pas hésité à mouiller sa chemise pour défendre son projet. Il a tenu plus de 20 réunions du comité d'entreprise, rencontré plus de 3 500 collaborateurs. Une ténacité qui a eu raison des résistances internes. « Dans l'ensemble, nous avons abouti à un consensus, concrétisé par un accord d'entreprise », se félicite Pierre Ducret. « C'est plus facile quand le projet est créateur d'emplois, reconnaît René Cessieux, DRH de CDC Ixis. Il y en a eu 100 dans l'établissement public et 50 chez CDC Ixis. »

Ce remue-ménage a, malgré tout, laissé des séquelles. C'est du moins l'avis de la CGT. « Toutes ces mutations accélérées ont généré chez le personnel, mais aussi à l'extérieur, une perte de repères importante », regrette Jean-Philippe Gasparotto, secrétaire général de l'union des syndicats CGT de la Caisse. Pour Jean-Pierre Dharne, secrétaire de la CGT Paris, « le mécanisme d'éclatement et d'affaiblissement du rôle public est enclenché ». D'autres, comme Jean-Claude Grousselle, son alter ego à FO, craignent que l'objectif recherché par la direction actuelle soit « un démantèlement de la Caisse. Le jour où l'on offrira un bon prix pour CDC Ixis, on vendra ». Et de pronostiquer que toutes les filiales connaîtront le même sort que l'ancienne sous-direction des collectivités locales, devenue Crédit local de France, aujourd'hui totalement sorti du giron de la CDC et coté en Bourse sous le nom de Dexia. Mais cette clarification risque de creuser un fossé entre l'établissement public et les filiales. « Quand on est dans l'établissement public, on pense intérêt général, souligne Daniel Bonté, de la CFDT. En revanche, dans les filiales, on pense concurrence et profit. » Deux mondes bien distincts, où cohabitent deux types d'agents, depuis que la loi autorise la Caisse à recruter des salariés de droit privé.

2 RESPECTER L'ÉQUITÉ ENTRE LES AGENTS

Cas pratique : Caroline et Michèle travaillent toutes deux au sein de l'établissement public. Elles font le même travail et partagent le même bureau. Mais l'une est fonctionnaire, l'autre bénéficie d'un contrat de droit privé. Elles ne sont pas logées à la même enseigne : convention collective d'entreprise pour l'une, statut de la fonction publique pour l'autre. « Chaque fois que nous évoquons l'idée d'un statut commun, on nous dit que c'est trop tôt ou trop tard », explique Daniel Bonté, de la CFDT.

« Le management est compliqué, reconnaît Gilles Benoist, président du directoire de la CNP. En matière de négociation salariale annuelle, l'employeur n'a aucun pouvoir pour les fonctionnaires, car c'est l'État qui décide. En revanche, on applique les règles de l'assurance aux salariés de droit privé. » Il faut donc jongler avec ce double statut, à l'avantage du privé, selon les syndicats. Même s'ils reconnaissent que les fonctionnaires de la Caisse, alignés sur Bercy, ne sont pas mal lotis. « Ils ont des traitements supérieurs au reste de la fonction publique », note Luc Dessenne. De l'ordre de 20 %. Sans compter qu'ils bénéficient, comme les privés, de l'intéressement maison. En 2000, ils ont ainsi perçu en moyenne 5 325 francs, contre 7 333 francs pour les salariés de droit privé. Un écart qui s'explique en partie par le fait que trois quarts de ces derniers ont le statut cadre, tandis que près de 90 % des fonctionnaires sont des personnels d'exécution. Autre bonus pour les fonctionnaires de la CDC : l'encouragement à la prévoyance individuelle. « Un système, aujourd'hui limité à 2 % du salaire, abondé pour moitié par les agents, que nous allons améliorer », explique Marine Dorne-Corraze, DRH du groupe Caisse des dépôts.

Cela n'empêche pas les 3 000 fonctionnaires de l'établissement public de lorgner les avantages de leurs collègues mis à disposition des filiales, environ 400 à la CNP et 800 à CDC Ixis. « À la CNP, nous avons inventé une prime reconnaissant la performance des fonctionnaires, car ils contribuent comme les autres à la croissance de l'entreprise, souligne Gilles Benoist. Cette sorte de prime de participation s'élève à 10 000 francs par an pour les fonctionnaires, contre 22 000 francs, en moyenne, pour les salariés de droit privé ; mais pour les fonctionnaires elle n'est pas bloquée, ce qui constitue une forme d'équité. » Le terme revient sur toutes les lèvres. Y compris sur celles de Daniel Lebègue, qui souhaite qu'à terme les fonctionnaires de la Caisse bénéficient d'une épargne salariale et d'un système de capitalisation pour compléter leur retraite ; ce que ne permet pas aujourd'hui le statut de la fonction publique. Le seul domaine où des différences peuvent subsister est celui de la mobilité interne et des évolutions de carrière. « On a donné un cadre législatif aux fonctionnaires pour qu'ils puissent bouger en toute sécurité au sein du groupe », remarque toutefois Daniel Lebègue, qui veut aujourd'hui mettre fonctionnaires et salariés de droit privé sur un pied d'égalité.

3 REPENSER LE MANAGEMENT

« À la Caisse, explique Stéphanie, cadre chez CDC Ixis, il n'y a pas véritablement de management. On est obligé d'être autonome. Ceci peut paraître stimulant, et alors on ne compte pas ses heures. Mais cela peut être démotivant, et on profite du système. » La CDC ne coupe pas à l'impératif d'attirer, de motiver et de fidéliser. Reprenant une vieille revendication de la CFDT, la direction souhaite bâtir un système de reconnaissance des qualifications et d'évolution de carrière propre à la Caisse. Car aujourd'hui, regrette Jean-Luc Dessenne, de l'UAI, « les évolutions de carrière sont plus faciles pour les agents de droit privé, qui n'ont pas de quota pour passer à un grade supérieur ». La DRH Marine Dorne-Corraze l'admet volontiers : « Plus on monte en grade, plus cela bouchonne. » Reste à obtenir l'aval de la fonction publique et des syndicats pour changer les choses. Daniel Lebègue est persuadé d'obtenir le soutien des syndicats, « car ils étouffent eux-mêmes dans ce système ».

Autre priorité de la Caisse : valoriser les compétences existantes. « Nous avons imaginé un mixte de politiques de rémunération, de promotion et de formation », résume Pierre Ducret. Le problème se pose avec les plus anciens, qui ont souvent des niveaux de qualification plus faibles que les jeunes actuellement recrutés. La CDC compte d'ailleurs mettre sur pied un observatoire des rémunérations pour avoir une vision globale des salaires par secteur d'activité. Ce qui ne peut que satisfaire Stéphanie : « Les rémunérations à l'embauche sont correctes, mais après, cela ne suit pas. Il y a des écarts parfois importants entre des personnes qui font le même métier… même si beaucoup réclament plus une reconnaissance du travail fourni que des augmentations de salaire. » Ce qui suppose de repenser le management. « Ce qui me frappe, dit un cadre dirigeant, c'est l'absence d'encadrement intermédiaire. Comme à la SNCF. » Pierre Ducret assume : « La Caisse est une maison assez décentralisée dans ses modes de management. C'est ce qui lui a permis d'apparaître moderne. Mais il y a des différences entre les services, avec des rythmes de travail très variables. » Les cadres dirigeants font néanmoins l'objet de toutes les attentions : chaque nouveau venu effectue un passage obligé au sein de l'université CDC, et tous adhèrent depuis février 1999 aux principes de la charte de management de la Caisse, véritable contrat moral passé entre le cadre et l'entreprise.

Plus largement, le credo de Daniel Lebègue est celui du « développement durable ». Ce qui doit se traduire par une plus grande diversité des recrutements – embaucher davantage d'étrangers ou de personnes ayant une expérience à l'international – et des parcours – 22 % des cadres dirigeants relèvent du statut de la fonction publique. « Il n'y a pas assez de personnes qui viennent du business et de l'international », constate Pierre Ducret. Féminiser les cadres dirigeants participe, enfin, de cette volonté de modernisation. Aujourd'hui, seuls 12 % des 280 cadres dirigeants sont des femmes. L'objectif est d'arriver rapidement à 20 %.

4 ENRICHIR LE DIALOGUE SOCIAL

La Caisse des dépôts version Lebègue se caractérise par une politique contractuelle très soutenue. « Notre style de négociation nous rapproche davantage des grandes entreprises du secteur financier que de la fonction publique d'État, car ici il n'y a pas de logique administrative », observe Pierre Ducret. Parmi les nombreux textes signés figure en bonne place l'accord-cadre sur l'emploi du 7 juillet 1999, conclu pour trois ans, qui prévoit une cessation progressive d'activité améliorée dès l'âge de 55 ans et un remplacement poste pour poste de tous les départs. « Cela a permis d'accélérer les départs et de recruter des plus jeunes » (1 600 embauches en 2000), explique Pierre Ducret. Et ce n'était pas du luxe. L'établissement public affiche en effet une moyenne d'âge de… 45 ans.

« C'est encore beaucoup trop élevé », estime Daniel Lebègue, mais « il faut aussi conserver les gens au travail le plus longtemps possible ». Pas question de remettre en cause l'accord de 1999, mais de l'aménager en « repensant la politique des âges à échéance de dix ans ». Pour Marine Dorne-Corraze, la DRH du groupe, « tous les dispositifs visant à faire partir les agents ont été positifs au moment où ils ont été décidés. Mais il faut songer à leurs conséquences pour l'avenir ».

Autre sujet de négociation : la mise en place d'un comité de groupe réunissant des représentants de l'établissement public et des filiales. à la fin de l'été, syndicats et direction étaient en passe de trouver un accord. « C'est un gage de reconnaissance par les syndicats du niveau d'information donné par le groupe », note Pierre Ducret. Les organisations restent, malgré tout, sur leur faim. « Depuis un an, regrette Luc Dessenne, de l'UAI, on sent les prémices d'une rupture du dialogue et un retour à des mesures unilatérales. » Illustration, à ses yeux ? L'absence d'accord sur le montant de la prime de Noël, versée aux agents en fonction des résultats financiers de 2000. Autre sujet qui fâche : la réduction du temps de travail…

5 PROFITER DE LA RTT POUR REVOIR CERTAINS ACQUIS

Le 11 juillet dernier, la négociation sur l'aménagement et la réduction du temps de travail s'est soldée par un échec. Après avoir revu sa copie à deux reprises, la direction propose aujourd'hui 135 créations de postes. « Sur l'emploi, nous avons fait ce qu'il fallait », estime Pierre Ducret. Les syndicats considèrent que le compte n'y est pas et ils revendiquent 200 emplois nouveaux, « voire un peu moins si la barre des 200 est, psychologiquement, difficile à franchir », affirme un syndicaliste.

Second blocage : le nombre de jours de RTT. Actuellement, le personnel de la Caisse effectue 37 heures 30 par semaine. Au 1er janvier 2002, comme dans toute la fonction publique, il faudra que la CDC respecte les 1 600 heures annuelles fixées par décret. La direction propose d'ajouter aux 25 jours de congés annuels 4 jours maison – qui existent déjà – et 11 jours de RTT. Il manque encore 3 ou 4 jours, estiment les syndicats. Lesquels voient aussi d'un mauvais œil la modification des horaires personnalisés qui permettent aux agents de se constituer des crédits d'heures équivalant à 20 jours par an. Or, dans son projet, la direction propose de ramener ces crédits à 15 jours, avec, à terme, la création d'un compte épargne temps. Résultat, selon Jean-Philippe Gasparotto : « Beaucoup préfèrent rester à 37 heures 30 et conserver les avantages actuels. »

La direction veut également réduire les amplitudes de travail « afin d'éviter que les personnes travaillent selon des horaires décalés », explique la DRH, qui souhaite faire badger le personnel lors de la pause du midi (82 % le font déjà matin et soir). Si les syndicats ne sont guère favorables au badgeage, c'est davantage sur les autres points que cela bloque. Tous lorgnent l'accord 35 heures signé par CDC Informatique, « bien plus avantageux ». Du coup, l'intersyndicale du groupe a appelé à la grève le 18 juin dernier. Le 17 septembre, le projet de protocole sera à l'ordre du jour du comité mixte paritaire central, l'équivalent du comité d'entreprise. « S'ils ne trouvent pas un syndicat susceptible de signer, pronostiquait Jean-Philippe Gasparotto au début de l'été, il vont choisir de passer en force. » Sans prendre d'engagement sur l'emploi, complétait la CFDT. « Ce n'est pas le style de la maison, rétorquait Pierre Ducret. Mais il faudra bien que l'on soit aux 35 heures en 2002. »

À ce jour, ni l'établissement public ni la CNP et CDC Ixis n'ont signé d'accord. « Je revendique la possibilité d'avoir un accord différent de celui de la Caisse », annonce René Cessieux, le DRH de CDC Ixis. En clair, moins favorable. Motif avancé : « Le système de l'horaire variable est déjà une machine à fabriquer des repos. Avec la RTT, on ne va pas en avoir une deuxième. » Sa référence sont les accords signés dans la banque, CDC Ixis devant troquer la convention collective de la Caisse pour celle de l'AFB. Sans conteste, à la CDC, le second semestre s'annonce mouvementé !

Entretien avec Daniel Lebègue
« Je veux en finir avec la gestion uniforme et centralisée de la fonction publique »

Sitôt sorti de l'ENA, Daniel Lebègue fait ses premières armes à la Direction du Trésor, qu'il dirigera de 1984 à 1987. Un parcours assez classique entrecoupé par un crochet à Matignon, comme conseiller de Pierre Mauroy chargé des affaires financières et économiques.

Fin 1987, « ce trésorien » au regard bleu, cerclé de lunettes métalliques, fait le grand saut dans le secteur bancaire : à la BNP, où il devient directeur général, au côté de René Thomas.

Sollicité en décembre 1997 par Dominique Strauss-Kahn, ce Lyonnais d'origine accepte de prendre la succession de Philippe Lagayette aux commandes de la Caisse des dépôts et consignations. Après avoir eu l'assurance de pouvoir mener à bien la réforme…

Le rapprochement entre la CDC et les Caisses d'épargne, annoncé en juin, est-il une menace pour l'emploi ?

L'esprit de l'Alliance est de développer ensemble des activités qui, jusqu'à présent, n'étaient pas réunies, dans l'assurance, la prévoyance, la retraite, l'épargne salariale, l'immobilier. Nos métiers s'emboîtent remarquablement, avec très peu de recoupements, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de gains d'efficacité à réaliser. Mais, grâce au développement de chiffres d'affaires et de revenus, en France et à l'international, le projet devrait être créateur d'emplois. En quantité, et plus encore en termes de niveau de qualification. Ainsi, la moitié des 1 600 embauches réalisées l'année dernière dans le groupe Caisse des dépôts étaient des emplois de cadres proposés à des diplômés de l'enseignement supérieur. Nous avons besoin de commerciaux, d'informaticiens, mais aussi de comptables, de juristes, de fiscalistes…

Vos fonctionnaires risquent de se trouver marginalisés par rapport aux activités concurrentielles.

Je veille à ce que l'on garde un bon équilibre entre salariés de droit privé et fonctionnaires. Le problème s'est déjà posé quand nous avons filialisé la Caisse nationale de prévoyance, puis CDC Ixis. Nous avons donné aux fonctionnaires toutes les garanties légitimes qu'ils demandaient, en termes de statut, de droits et de mobilité. Nous devons donner aux fonctionnaires en poste et à ceux qui nous rejoignent des perspectives de carrière identiques à celles offertes aux salariés de droit privé.

Comment comptez-vous y parvenir ?

J'ai toujours pensé que la CDC pouvait jouer un rôle d'avant-garde par rapport au monde de la fonction publique et contribuer à faire évoluer certaines règles quelque peu surannées. J'ai demandé, par exemple, que nos fonctionnaires puissent bénéficier de la participation et de l'épargne salariale. Pour l'instant, le statut de la fonction publique ne le permet pas. Il faudrait aussi permettre la mise en place de compléments de retraite. S'il y a, dans la société française, des salariés qui auraient besoin de compléter leur retraite par un effort de capitalisation, ce sont bien les fonctionnaires. En tant qu'employeur public, la Caisse serait prête à abonder le système.

Nous souhaitons également développer l'intéressement dans la mesure où il est extrêmement difficile de motiver les personnes avec les seules primes de la fonction publique. Enfin, nous cherchons à bâtir un dispositif de reconnaissance des qualifications et d'évolution des carrières spécifique à la Caisse. On ne peut plus vivre dans un système où le régime de promotion est millimétré ! Ce que nous demandons, c'est la possibilité d'introduire de la souplesse et d'en finir avec la gestion uniforme et centralisée.

L'administration, on l'a vu à Bercy, semble incapable de se réformer. Est-ce mission impossible ?

La réforme de l'État est incontournable. On a besoin d'une administration efficace qui réponde aux attentes de notre société. La réforme est moins compliquée qu'on le dit. Mais elle demande beaucoup de pédagogie, de concertation et de détermination. Pour prendre l'exemple de la Caisse, il a fallu un an d'échanges et de négociations pour filialiser nos métiers financiers et créer CDC Ixis. Au bout du compte, les syndicats ont obtenu l'essentiel des garanties qu'ils demandaient et accepté la réforme. Si nous y sommes parvenus, c'est parce que nous nous sommes donné les moyens de préparer et d'accompagner le changement. De telles conditions ne sont pas toujours réunies dans l'administration d'État.

Si les réformes échouent, c'est donc parce que les managers n'ont pas les mains assez libres ?

Dans le secteur public, France Télécom, la défense ou la Caisse des dépôts, pour ne citer que ces exemples, ont su conduire des actions de modernisation en profondeur sans explosion ni drame. Les responsables politiques ont fait confiance aux managers publics. Si le ministre des Finances m'avait demandé d'interrompre la filialisation de la CNP parce qu'il y avait un mouvement de grève, la réforme du groupe Caisse des dépôts se serait interrompue dès le départ. J'ai la chance extraordinaire d'avoir, à la CDC, une liberté d'action que n'ont pas toujours les directeurs d'administration ou les patrons d'entreprises publiques. Le passage dans le secteur privé m'a aussi appris à ne pas avoir peur de mon ombre.

En revanche, le dossier des 35 heures est bloqué…

Sur ce dossier, nous étions prêts dès 1998, mais l'État a souhaité définir un cadre commun à toute la fonction publique, ce qui a pris beaucoup de temps. Je dois également dire que je n'ai pas senti une grande appétence, ni chez les partenaires syndicaux ni au sein du personnel de la Caisse, qui bénéficie, il est vrai, d'une organisation du travail favorable, avec des horaires variables très souples…

Notre dossier RTT est considéré comme exemplaire dans la fonction publique, car il traite à la fois de l'organisation du travail, des régimes spécifiques, de l'emploi. La démarche se veut globale et réformatrice. Avec les syndicats, les points de divergence concernent le nombre de créations d'emplois. Notre proposition de 135 emplois correspond à 3 % de créations d'emplois sur deux ans ; c'est plus que la règle fixée pour la fonction publique, qui est de… zéro. L'autre divergence porte sur le décompte de la durée annuelle du travail que nous maintenons à 1 600 heures. Pour améliorer l'efficacité collective nous souhaitons encadrer la pause de midi et les plages horaires de travail… de manière à éviter que certains soient à leur bureau à un moment où l'entreprise ne fonctionne pas. Au final, les salariés disposeront de 11 à 18 jours de repos supplémentaires. J'espère que sur ces bases nous parviendrons à un accord. Si ce n'est pas le cas, le nouveau régime sera mis en place par décision de la direction générale, comme le prévoit le décret.

Plus généralement, que pensez-vous des 35 heures ?

J'aurais souhaité qu'on laisse plus d'espace à la négociation décentralisée. C'est une loi qui aura beaucoup d'impact sur la vie au travail, dans l'entreprise privée, mais aussi dans l'administration et le secteur public. Elle va changer très profondément les rythmes et favoriser une meilleure qualité de vie pour le plus grand nombre. Plusieurs grandes villes ont déjà décidé de mettre en place un bureau des temps, ce qui signifie une plus grande disponibilité des services publics, afin de mieux répondre aux besoins et aux attentes de nos concitoyens. C'est un beau défi à relever pour les fonctionnaires, faisons-leur confiance, ils y sont prêts.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Isabelle Moreau

Auteur

  • Isabelle Moreau