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Vie des entreprise

Idées loufoques pour embauches à la pelle

Vie des entreprise | ZOOM | publié le : 01.09.2001 | Sandrine Foulon

Matchs de foot au Stade de France, tours d'hélico, nuits de l'emploi… Lorsqu'il s'agit de séduire en masse les candidats, les méthodes à la papa ont du plomb dans l'aile. Pour attirer les jeunes, les entreprises rivalisent d'imagination. Et, malgré leur coût élevé, elles estiment ces opérations rentables.

En deux files indiennes, version équipes de France et du Brésil au Mondial 1998, une trentaine de jeunes ingénieurs pénètrent sur la pelouse du Stade de France en ce début juillet. Si ce n'était la clameur des 80 000 supporters, on s'y croirait. Mais les tribunes sont vides. Seuls deux écrans géants affichent une photo de la Coupe du monde de football et le logo de Coframi, société de conseil et d'ingénierie logicielle, locataire d'un jour de la mythique enceinte sportive pour une grande opération de recrutement. Sur le terrain, micro à la main, Claude Xufré, le directeur général, se démène tel le plus aguerri des GO du Club Med. Dans les tribunes, une vingtaine de salariés applaudissent les recrues potentielles. I will survive à fond de sono suivi de We are the Champions, et on termine par une ola timide avant de regagner les salons où, déjà, des candidats sont attablés avec des recruteurs. De 9 heures à 21 heures, 530 ingénieurs présélectionnés sont attendus. Accueil, diaporama sur la société, visite guidée des entrailles du stade… Puis entretien individuel avec un ingénieur commercial et un responsable RH.

Coframi, société de 1 100 ingénieurs dont l'objectif pour cette année est d'en embaucher 600 autres, est coutumière de ce type d'événement. En avril dernier, elle a déjà recruté 70 personnes de cette façon. Elle a également monté une opération au stadium de Toulouse et, en mai dernier, sur la Croisette à Cannes pendant le festival, afin de trouver des candidats pour des missions auprès d'entreprises de Sophia-Antipolis. Sur les 91 candidats retenus à Cannes, plus de la moitié poursuivent un processus de recrutement. « Ces événements ne raccourcissent pas forcément les délais, estime Michel Miet, le directeur des régions. Pas question de bâcler le processus normal. »

Ces jeunes candidats viennent de toute la France, suivant une démarche que le directeur général de Coframi qualifie de « proactive ». « Les annonces classiques ne nous permettent pas de faire passer toutes les valeurs de challenge, d'esprit d'équipe, de transparence. Par Internet, les jeunes reçoivent 20 coups de fil et ne savent plus pour qui ils postulent. Là, ils viennent pour nous », se félicite le DG, qui fait état d'un taux de réussite de 60 %. Jeune ingénieur, Michel est surtout intéressé par des missions à Toulouse, dont il est originaire. Vieux routier du recrutement, il s'est rendu à la soirée d'Altran au Planet Hollywood sur les Champs-Élysées et ne compte plus les forums et autres rencontres. À ses yeux, « ce type d'opération est assez positif. En louant un endroit prestigieux, l'entreprise montre qu'elle s'intéresse à ses futurs salariés ».

Des candidats en short

Coframi est loin d'être un cas isolé. À croire que les entreprises cherchent à décrocher la palme du recrutement le plus original. La SSII Unilog a préféré le Parc des Princes pour son trophée interécoles. « Postulez en short », proclame la campagne qui attire chaque année depuis trois ans 3 000 diplômés et jeunes expérimentés. Entre les matchs, les candidats rencontrent les organisateurs ; 500 entretiens peuvent avoir lieu en une seule journée. « Ça dépote, explique Mathieu, en poste dans une webagency et passionné de foot. Je viens surtout pour jouer. Cette année, j'ai déjeuné à trois places de Marcel Desailly. Même si on n'est pas intéressé par un poste, Unilog hérite d'une bonne image. J'ai des copains qui ont découvert l'entreprise par ce biais. »

Souvent confrontées à un turnover important, les entreprises de high-tech redoublent d'imagination. « Difficile d'attirer les candidats sur notre site d'Élancourt, concède Christine Tavares, chargée du recrutement du groupe Thales. Alors, nous avons eu l'idée de les y emmener en hélicoptère depuis Issy-les-Moulineaux. » Ainsi, 120 jeunes bac + 5, présélectionnés, ont pu bénéficier d'une vue imprenable sur Paris avant de gagner Élancourt où 100 opérationnels les attendaient. Visite, explications… À l'issue de la journée, une quarantaine d'entre eux ont dit banco et certains sont repartis avec un contrat en poche. Une cinquantaine d'embauches ont d'ores et déjà été réalisées. « L'objectif n'est pas de se montrer original à tout prix. Mais c'était le moment pour un groupe de notre importance (65 000 personnes) qui venait de changer de nom de parler de lui. On a pris un risque pour un coût somme toute raisonnable. » Autant dire que les recrutements à la papa semblent avoir du plomb dans l'aile. Entreprises et cabinets vont chercher les candidats là où ils consomment, se baladent, s'amusent. 25 % des motards internautes sont cadres ? Qu'à cela ne tienne, l'agence de recrutement Opteaman décide d'aller débusquer les bikers sur la Toile. Et vient de nouer un partenariat avec unitedmotos.com, le site préféré des accros de gros cubes. En quête d'infos sur la nouvelle bicylindre en V de 1 000 cm3, l'aficionado peut également faire un détour par la rubrique jobs. « Difficile de mesurer le nombre de motards qui postulent par ce biais, concède Philippe Cirier, le P-DG d'Opteaman. Mais cela joue sur la qualité de la relation avec les candidats. On croit beaucoup au bouche-à-oreille. Un internaute qui surfe pour ses loisirs ne cherche pas un emploi, mais c'est à nous de déclencher un coup de cœur. »

Plus de répit non plus pour les consommateurs. Les recruteurs prennent d'assaut les hypers. En mai dernier, à l'initiative de l'AFT-Iftim, l'organisme de formation du transport et de la logistique, les Routiers bretons ainsi qu'une dizaine de transporteurs ont investi la galerie marchande Grand-Quartier de Saint-Grégoire en Ille-et-Vilaine. L'objectif de ce forum emploi atypique ? Pallier la pénurie de conducteurs. La Bretagne doit recruter 1 000 professionnels chaque année. Sur les 160 chauffeurs recrutés en 2001 par les Transports d'Ille-et-Villaine, 6 l'ont été lors d'une manifestation au centre commercial de Cleunay.

Prendre un verre sans penser à son CV devient également ardu. Les entreprises n'hésitent plus à draguer piliers de bar et nightclubbers. La chaîne de prêt-à-porter Pimkie diffuse des spots télé pour cibler jeunes vendeuses et responsables de magasin et distribue des « cartes com » dans certains bars et brasseries d'Ile-de-France. Au dos de celles-ci, chacun peut remplir un mini-CV. « Nous avons plus de difficultés à recruter en Ile-de-France qu'en province. Nous devons nous montrer plus innovants, plus tournés vers les jeunes », analyse Francine Crudnaire, la DRH de cette entreprise du Nord qui enregistre un turnover de 40 % chez les vendeuses et de 16 % parmi les cadres. Les lieux culturels aussi sont dans la cible. Au printemps, la SSII Steria a organisé son événementiel au Centre Pompidou.

Parfois, nul besoin de chercher des lieux d'exception. Le cabinet Opteaman vient d'avoir l'idée de commercialiser des films sur l'environnement de travail de la future recrue. En marge de l'annonce Internet, un candidat clique sur une vidéo et pousse virtuellement les portes de sa future entreprise. Pour recruter 300 personnes à Paris uniquement, la chaîne suédoise de prêt-à-porter H & M a organisé en novembre une « nuit de l'emploi » dans ses magasins de la rue de Rivoli et du boulevard Haussmann. « Nous n'avons pas l'habitude de ce type d'opération mais nos besoins étaient considérables. Il nous fallait donc trouver une opération extraordinaire », explique Chris Decat, le DRH France. Au total, 1 500 personnes ont défilé dans les deux magasins. « L'idée était que les candidats puissent rencontrer des vendeurs, responsables de rayon et étalagistes de H & M. Ceux qui le souhaitaient pouvaient laisser un CV et, ensuite, on les recontactait pour passer par notre système plus classique d'assessment centre, poursuit le DRH. Ce qui nous permet, en dépit d'un recrutement de masse, de trouver des candidatures de qualité. »

Ces recrutements en nombre sont, en effet, en contradiction avec les caractéristiques habituelles d'une embauche de qualité, censée reposer d'abord sur une relation individuelle. « On postule en short, on se fait aborder en boîte… Pourquoi pas ? Si on innove en gardant du sens, cela peut payer, mais si on pense la communication de recrutement en termes d'achat de produit, cela devient dangereux. Or les publicitaires ont pris le pouvoir », estime Stéphane Wahnich, directeur de SCP Communication. Au-delà des shows, « il s'agit surtout de penser l'image de recruteur de ces entreprises de l'amont jusqu'à l'aval : la phase d'intégration, sans oublier les politiques de rémunération », estime Agnès Rambaud, directrice du cabinet-conseil Mix RH. Mais ces recrutements par vagues ne plaisent pas à tout le monde. « C'est un peu la foire aux bestiaux, critique un jeune candidat de Coframi. Je préfère les entretiens au calme avec les managers. En plus, tout paraît trop idéal. À chaque question on nous répond : “OK, on a la mission qu'il vous faut.” »

Ces méthodes innovantes ne seraient-elles que poudre aux yeux ? « Absolument pas, s'insurge Didier Pitelet, directeur de l'agence de communication Guillaume Tell. Avec ce type d'événement, les entreprises sont tenues d'avoir une transparence totale. De plus en plus, en accueillant les candidats dans leurs propres locaux, elles leur donnent l'occasion de croiser employés et cadres opérationnels. »

Jusqu'à 2 millions l'événement

Toujours est-il que ces événements ont le vent en poupe. D'autant que les recruteurs ne semblent plus freinés par leur coût. « Par rapport à une journée de recrutement dans un grand hôtel avec cocktail, le supplément n'est que de 150 000 francs, constate Claude Xufré, de Coframi. Et une journée au Stade de France équivaut à cinq participations à un salon spécialisé. » Matthieu Gabai, directeur de l'agence de communication Frégates, chiffre un événementiel entre 50 000 francs et… 2 millions de francs par jour. « Mais difficile de dire où commence et où finit l'événement. En termes d'image, les retombées sont énormes. » Un passage au « 20 heures » de France 2 avec de jeunes ingénieurs en short au Parc, et Unilog a connu son heure de gloire.

Chez H & M, Chris Decat s'estime satisfait. La nuit de l'emploi lui a coûté 1 million de francs, mais il a pu recruter rapidement 300 personnes. « Si nous avions dû procéder par annonce, notre budget aurait été sensiblement le même. » Quant à Pimkie, elle entend bien maîtriser les retours sur investissement. Elle dépense entre 10 000 et 15 000 francs pour 1 000 cartes com et 20 000 francs environ pour un spot télé. Reste à savoir si ces campagnes de séduction tiendront sur la durée.

Didier Pitelet se veut résolument optimiste. « Le marché du recrutement reste porteur pour dix ans, ne serait-ce qu'à cause du boom démographique. Rien que dans les banques, 40 % de l'effectif va partir à la retraite. Le recrutement ne sera plus jamais comme avant. Les entreprises devront toujours créer des relations intimes, originales, exceptionnelles avec les publics visés. » À voir. Si le ralentissement économique se confirme, les hélicos pourraient bien rester cloués au sol et les stades n'accueillir plus que des vrais footeux.

L'armée de terre drague les jeunes dans les cafés

« Vous faites quoi ces trois prochaines années ? » Impossible d'échapper aux campagnes médiatiques de l'armée de terre. À la télé, au cinéma, sur des « cartes com » distribuées dans les lieux publics, l'armée de terre nous fait savoir qu'elle recrute pour 400 métiers différents. Et n'hésite plus à rajeunir son image. En mai dernier, des gradés du Centre d'information et de recrutement de l'armée de terre (Cirat) de Bordeaux sont descendus place de la Victoire et ont poussé la porte du Cassolette Café et du Café des sports, à la rencontre de candidats potentiels. Un ordinateur portable sur la table de bistrot et en avant pour un exposé sur les carrières et les métiers de l'armée. « Il faut sortir des sentiers battus. Nous avons répondu à la sollicitation d'un jeune étudiant de l'Iseg à l'initiative de ce forum pour l'emploi, explique le lieutenant-colonel Philippe Bourdon, chef du Cirat de Bordeaux. L'idée est de venir trouver les jeunes dans leurs lieux de prédilection. C'est pour nous l'occasion de recruter mais aussi de faire de l'image. Et de montrer à ces jeunes que l'armée n'est plus celle de leurs grands-pères. Ils sont souvent surpris des actions humanitaires entreprises au sein de l'armée. »

La police, France Télécom, Manpower participaient également à l'opération. « On se retrouve aussi bien face à des jeunes sans diplôme qu'à des bac + 5 à qui on peut expliquer qu'il existe désormais des passerelles pour entrer à Saint-Cyr, poursuit le lieutenant-colonel »… Une trentaine de personnes se sont montrées intéressées. Le Cirat attend les retombées. Quant à l'addition, elle reste légère. « Entre la diffusion des “flyers” et les annonces publicitaires auxquelles nous avons participé, l'opération s'avère de toute façon moins onéreuse qu'une participation au Salon de l'Étudiant. »

Auteur

  • Sandrine Foulon