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Repères

La conversion tardive de Lionel Jospin

Repères | publié le : 01.09.2001 | Denis Boissard

Rénovation social à la mode Jospin ou refondation sociale à la sauce Seillière… il y a de quoi y perdre son latin. Conscient de prêter – à quelques encablures du scrutin présidentiel – le flanc à l'accusation d'étatiste à tous crins, le Premier ministre a pris en effet, avant la trêve estivale, son bâton de pèlerin pour tenter de recoller les morceaux avec les partenaires sociaux.

À cette fin, il leur a proposé d'ouvrir un chantier qui a un furieux air de concurrence avec le round de négociations lancé par le patronat, il y a bientôt deux ans. Mais Lionel Jospin aura sans doute quelque mal à convaincre ses interlocuteurs de sa conversion aux vertus du dialogue social. Car celle-ci arrive bien tard. Généralement mis devant le fait accompli, souvent cantonnés à jouer les faires-valoir des décisions gouvernementales, parfois même désavoués patronat et syndicats ont été traités avec une grande désinvolture par l'équipe au pouvoir depuis 1997. En outre, les événements de l'été donnent aux sceptiques quelques raisons de douleur de la sincérité du ralliement du gouvernement à une vision plus équilibrée des rapports entre l'État et les partenaires sociaux.

Première illustration : l'élaboration du projet de loi de modernisation sociale

Dans son souci de se ménager les bonnes grâces d'un allié communiste particulièrement coriace, le gouvernement a tout simplement… oublié de consulter patronat et syndicats sur les nouvelles mesures d'encadrement des licenciements économiques. Ces dispositions qui concernent au premier chef les entreprises et leurs salariés ont été bricolées dans un marchandage surréaliste entre Élisabeth Guigou, dûment chapitrée par Matignon, et le groupe communiste du Palais-Bourbon. L'« omission » du gouvernement est doublement coupable. Tout d'abord parce que le droit du licenciement économique est d'origine conventionnelle : résultant de l'accord national interprofessionnel de 1969 sur la sécurité de l'emploi, signé dans la foulée de Mai 1968, il a été réaménagé depuis par deux autres accords en 1974, puis en 1986. Ensuite parce que, là où une concertation poussée avec les partenaires sociaux, voire l'ouverture d'une véritable négociation, aurait sans doute permis d'élaborer un texte de compromis entre la recherche d'une plus grande sécurité des salariés et les exigences de compétitivité des entreprises, les amendements échafaudés à la va-vite à l'Assemblée débouchent sur un texte de circonstance éminement contestable. Et d'ailleurs critiqué dans les rangs même de la majorité, notamment par Laurent Fabius, le numéro deux du gouvernement. En définissant le licenciement économique de façon très restrictive –  il devra à l'avenir être justifié par la « sauvegarde de l'activité de l'entreprise » –, le législateur a franchi la ligne jaune. Sauf interprétation souple du juge, une entreprise bénéficiaire aura désormais le plus grand mal à se restructurer pour s'ajuster aux évolutions du marché, améliorer sa productivité, rester compétitive face à ses concurrentes. De surcroît, le recours désormais possible à un médiateur risque d'allonger encore les délais d'une procédure déjà complexe, en empiétant un peu plus sur le temps qui devrait être consacré au reclassement des salariés licenciés. Enfin, le nouveau dispositif place plus que jamais les licenciements collectifs sous le contrôle du juge, ouvrant ainsi une nouvelle période d'incertitudes pour les entreprises. À trop charger la barque, le législateur risque d'atteindre le résultat inverse de celui recherché : inciter les entreprises soit à moins recruter, soit à contourner le dispositif en multipliant les licenciements ou les transactions individuelles, soit encore à sous-traiter et délocaliser tout ou partie de leur activité.

Seconde illustration de la détérioration des relations entre État et partenaires sociaux :

la sortie annoncée du Medef de la gestion de la Sécurité sociale. Motivée par la ponction de l'État dans les caisses de la Sécu pour financer les 35 heures, mais aussi par la persistance d'un enchêvetrement de plus en plus illisible des missions, responsabilités et financements dans le « pilotage » des comptes sociaux, la décision du patronat sera irrévocable à la fin du mois. D'ici là, Ernest-Antoine Seillière a toutefois laissé une porte de sortie au gouvernement, en lui proposant une sorte de Yalta social, de remise à plat du fonctionnement de la Sécu. Lionel Jospin saisira-t-il cette opportunité ? À l'heure où nous bouclons ce numéro, le gouvernement semblait plus préoccupé de bricoler une solution de rechange au départ du Medef, en permettant par exemple à l'Union professionnelle artisanale (UPA) de désigner seule ses administrateurs, que de saisir la perche que lui tend l'organisation patronale. Il faut espérer que la raison l'emporte. Car la clarification réclamée par le Medef, mais aussi par la CFDT, est aujourd'hui indispensable.

Auteur

  • Denis Boissard