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Politique sociale

Comment nos voisins encadrent les plans de licenciements

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.09.2001 | Sandrine Foulon avec nos correspondants

Les restructurations et leur cortège de licenciements n'épargnent pas nos voisins en Europe. S'ils ne connaissent pas le plan social à la française, aucun d'entre eux ne laisse les mains libres aux cost-killers. Même le Royaume-Uni s'apprête à durcir sa législation, pour se conformer à la future directive Vilvorde.

À qui le tour ? La rafale de plans sociaux annoncés depuis le printemps dans l'Hexagone ne semble pas près de s'arrêter. Tous les secteurs sont désormais touchés : les transports (AOM-Air liberté ou Sernam), la distribution (Marks & Spencer ou Bata), l'agroalimentaire (Danone), l'électroménager (Moulinex-Brandt), l'automobile (Valeo), l'aéronautique (EADS), le textile (Hellemmes), la chimie (Rhodia) et les nouvelles technologies (Philips, Alcatel, Lucent Technologies ou Flextronics). Si aucun pays européen n'est épargné par cette nouvelle vague de dégraissages, les salariés ne sont pas tous logés à la même enseigne. Mais qu'est-ce qui différencie une charrette chez Danone de licenciements collectifs chez Siemens en Allemagne ou Ericsson en Suède ? Essentiellement le verrouillage législatif et jurisprudentiel des plans sociaux en France.

Au grand dam des entreprises, la future loi de modernisation sociale s'apprête à donner un nouveau tour de vis à la réglementation hexagonale. Non seulement la procédure devrait encore s'allonger avec l'intervention éventuelle d'un médiateur, mais, surtout, les amendements communistes adoptés en juin ont sérieusement restreint la définition même du licenciement économique. L'entreprise devra justifier que la restructuration qu'elle envisage est indispensable à la sauvegarde de son activité. Les licenciements visant à accroître la compétitivité de l'entreprise seront du même coup plus difficiles. Et les observateurs craignent une judiciarisation accrue du droit du licenciement, le juge devant se prononcer sur la nature de ces difficultés économiques.

Accélération des plans sociaux

« Quand une entreprise a commencé la procédure, l'expérience montre qu'elle parvient toujours à ses fins, constate Rose-Marie Van Lerberghe, directrice générale d'Altedia Ressources humaines et ancienne directrice générale des relations humaines chez Danone. Je crains que ce nouveau durcissement ne se retourne contre les salariés. Inquiets de l'allongement des procédures et devant la difficulté et l'incertitude liées à la nouvelle définition du licenciement économique, les employeurs seront tentés de contourner la loi. D'abord on risque d'assister à une accélération des plans sociaux avant janvier, date d'application de la nouvelle loi. Ensuite, ils pourraient multiplier les transactions individuelles ou recourir au dépôt de bilan après filialisation des activités peu productives. Ce qui serait beaucoup moins protecteur pour les salariés. » Car lorsqu'il y a liquidation judiciaire ou redressement, plus question de mettre en place un plan social.

Qu'on ne s'y trompe pas : les employeurs n'ont pas le licenciement économique facile chez nos voisins européens. En l'absence de plan social, spécificité française, la loi y encadre également les licenciements collectifs. Même la très libérale Grande-Bretagne s'apprête à durcir sa législation en acceptant de transposer la future directive Vilvorde sur l'information et la consultation des salariés. Mais, à la différence de la France, la majorité des pays européens font confiance à leurs partenaires sociaux. Les licenciements collectifs se décident sur le terrain entre représentants des salariés et employeurs. Et, dans la plupart des cas, les accords signés s'imposent aux juges et à l'administration. Nos voisins savent aussi se montrer ingénieux : en Autriche, en Allemagne ou en Suède, des sociétés d'emploi sont créées en cas de restructuration. Ces structures juridiques permettent aux salariés licenciés, jusqu'à ce qu'ils soient reclassés, de voir leur contrat de travail et leur salaire maintenus. Inventaire de ces dispositifs novateurs.

Grande-Bretagne Une réglementation acceptée sous la pression européenne

Haro sur Marks & Spencer ! Dans l'esprit des syndicats britanniques, les méthodes, bien connues de ce côté-ci de la Manche, du groupe de distribution sont bien celles que doit permettre de combattre la réglementation européenne. « Marks & Spencer s'est comporté en France comme il l'aurait fait ici, car la consultation n'est pas dans les traditions au Royaume-Uni », souligne Sarah Veale, du Trades Union Congress (TUC), la grande centrale britannique.

Pour sa défense, Marks & Spencer, qui ne reconnaît pas de syndicat outre-Manche, affirme mener « une procédure de consultation ouverte et honnête », comme l'explique Richard Stansfield, le directeur de la branche britannique de vente de vêtements par correspondance dont Marks & Spencer a annoncé la fermeture en même temps que celle de tous ses magasins européens, hors Royaume-Uni. « Marks & Spencer a certes procédé à certaines procédures de consultation. Mais c'est plus proche de la notification que d'un réel dialogue ! » proteste Bill Connor, le secrétaire général de l'Usdaw, le principal syndicat du secteur de la distribution.

Défenseur inconditionnel de la directive sur la consultation et l'information dans les entreprises, le TUC n'a d'ailleurs cessé de dénoncer dans Marks & Spencer le contre-modèle à éradiquer pendant les débats autour du projet de directive. Une réglementation européenne dont le Royaume-Uni a fini par avaliser le principe, malgré l'hostilité du candidat Blair pendant la campagne électorale, lequel affichait alors sa préférence pour une solution « nationale ». Un argument que reprend aujourd'hui à son compte la CBI (Confederation of British Industry, la principale organisation patronale). « Nous sommes déçus… Nous croyons au principe de subsidiarité : les relations industrielles doivent relever du gouvernement national et non de l'Union européenne », affirme Dominique Johnson, spécialiste du droit du travail au CBI.

Le TUC ne cède cependant pas à l'euphorie. « C'est un progrès, reconnaît Sarah Veale. La réforme de la réglementation sur le licenciement dépendra désormais de la transcription de la directive européenne dans la loi britannique. » Mais la centrale s'inquiète des délais négociés par le gouvernement Blair : c'est dans trois ans seulement qu'une entreprise de plus de 150 salariés sera obligée de consulter ses employés sur les décisions clés (notamment les plans de licenciements), dans cinq ans pour une entreprise de plus de 100 salariés, et dans sept ans pour une entreprise de plus de 50 salariés.

Selon la réglementation actuelle, toute entreprise qui souhaite licencier plus de 100 employés doit prévoir une consultation pendant quatre-vingt-dix jours – trente jours entre 20 et 99 employés. Si elle ne respecte pas la procédure, l'entreprise doit verser des pénalités, dont le montant maximal correspond à treize semaines de salaire. Cette somme s'ajoute aux indemnités de licenciement dont le montant peut être fixé dans les accords d'entreprise. Des minimaux légaux existent cependant : une semaine de salaire par année de présence entre 22 et 41 ans, une demi-semaine pour les 18-22 ans et une semaine et demie pour les 41-65 ans. Mais ce montant est plafonné à 240 livres (quelque 380 euros) par semaine et les années prises en compte sont plafonnées à vingt ans.

« Les grandes entreprises comme Marks & Spencer peuvent se permettre de payer ces sommes », proteste Sarah Veale. « Le problème des plans sociaux au Royaume-Uni est double : non seulement la réglementation obligeant les entreprises à consulter est pour le moment succincte, mais les pénalités qu'elles doivent payer en cas de non-respect le sont également. Du coup, les entreprises n'ont peur de rien ! » Une critique que ne rejette pas entièrement David Bradley, avocat spécialiste du droit du travail au cabinet DLA. « C'est vrai que, par rapport à la France, l'Italie ou la Belgique, c'est sans doute moins cher de licencier au Royaume-Uni… Mais la culture est très différente. En France, vous avez un concept de plan social qui est la base pour les négociations. Ici, il n'y a pas d'obligation formelle d'obtenir un plan social. Le marché de l'emploi britannique est beaucoup plus proche du modèle libéral américain : les entreprises paient un salaire en échange d'un service. Il n'y a donc pas vraiment de responsabilité sociale. D'où l'absence de plan social… Par exemple, contrairement à d'autres pays européens, les entreprises britanniques ne font pas varier les indemnités de chômage selon la situation familiale de leurs employés… »

« Il est faux de dire qu'il y a peu de consultation au Royaume-Uni, insiste Dominique Johnson, du CBI. Bien souvent les indemnités de licenciement versées par les entreprises sont bien plus généreuses que les minimaux requis. Les entreprises doivent consulter les employés sur les raisons justifiant les licenciements. Tout se fait au fil des négociations avec les syndicats ou les représentants de salariés, sans obligation d'aboutir à un plan social. Du coup, les procédures sont plus rapides – et moins chères. Et cela fonctionne bien. » Inutile de dire que les syndicats britanniques ne partagent pas cet optimisme…

Benjamin Quénelle, à Londres

Allemagne Sociétés d'emploi et dialogue social

Plus de 7 000 emplois supprimés à la Deutsche Post, 8 000 chez Siemens, 6 000 à la Deutsche Bahn… L'Allemagne n'a pas été épargnée par les licenciements collectifs en 2001. Mais, comme à leur habitude, patrons et syndicats allemands ont préféré le dialogue à la confrontation. Les plans sociaux se sont toujours passés ainsi outre-Rhin. Le meilleur exemple est celui de la Deutsche Bahn, qui a réussi à supprimer 120 000 postes en sept ans sans une seule grève. Une réforme de la loi sur les licenciements collectifs n'est donc pas à l'ordre du jour. « Personne n'a l'intention d'évoquer le sujet », confirme Helga Nielebock, experte en droit du travail à la Confédération unitaire des syndicats allemands (DGB).

La notion de licenciement collectif (Massenentlassung) est d'ailleurs peu utilisée. « La protection des salariés est la même quel que soit le nombre de personnes concernées », remarque Thomas Prinz, expert en droit du travail à l'Union fédérale du patronat allemand (BDA). « La seule obligation supplémentaire pour l'employeur est d'informer l'Office fédéral pour l'emploi. C'est tout », ajoute-t-il. Le licenciement collectif est néanmoins défini par la loi. Entre 21 et 59 employés, le licenciement collectif est avéré à partir de 6 départs ; entre 60 et 499, à partir de 26 départs ou de 10 % de l'effectif ; au-delà de 500, à partir de 30 départs. L'employeur est tenu d'informer le comité d'entreprise au moins deux semaines avant l'Office fédéral pour l'emploi. Il doit indiquer la raison des licenciements, le nombre et la qualification des employés, les critères de sélection.

Après la réunification de 1990, les licenciements collectifs ont constitué un grand sujet d'actualité en Allemagne. Car, dans l'ex-RDA, des milliers d'entreprises ont fermé leurs portes du jour au lendemain. Pour ne pas abandonner les salariés de l'économie planifiée à leur sort et leur offrir une chance de reclassement, les Allemands ont imaginé le concept de société d'emploi (Beschäftigungsgesellschaft). Une formule originale consistant à créer une société indépendante (souvent une SARL) financée par les pouvoirs publics et par l'Office fédéral pour l'emploi. L'entreprise qui licencie peut naturellement participer au financement de la nouvelle société, si elle en a encore les moyens. La société d'emploi n'est pas inscrite dans le droit du travail. « C'est une initiative entièrement privée même si les pouvoirs publics jouent un rôle prédominant », précise un expert du ministère du Travail.

Dans l'ex-RDA, les salariés ont pu ainsi être employés à des tâches utiles, comme le démontage de leur propre usine et l'assainissement des terrains, qui auraient pu être effectués par d'autres. Cela a notamment été le cas dans l'industrie charbonnière. L'entreprise Jenotik à Jena (Thuringe), spécialisée dans les technologies avancées, a utilisé cette méthode lors de sa restructuration en 1996 (20 000 emplois supprimés). Selon les syndicats, la formule s'est révélée bonne dans la majorité des cas. « C'était souvent l'unique solution pour redonner des perspectives d'avenir aux gens de l'Est », remarque Helga Nielebock, l'experte du DGB. « Les employés sont restés actifs. C'est important pour retrouver un travail », ajoute-t-elle. « Mais plus de dix ans après la réunification, l'Allemagne n'a plus besoin des sociétés d'emploi », remarque-t-on au ministère du Travail. Il n'empêche que la ville de Brême a repris l'idée, en 1996, à la suite de la faillite des chantiers navals. Les employés ont ainsi participé à l'achèvement des commandes tout en suivant une formation professionnelle de reclassement. Et, dans la chimie, BASF et Bayer ont utilisé une formule qui se rapproche de la société d'emploi. Baptisées « sociétés de transfert », elles sont souvent des filiales créées par les entreprises elles-mêmes.

Christophe Bourdoiseau, à Berlin

Suède Un minimum de règles pour un maximum de consensus

Difficile de licencier en Suède ? Ce n'est pas l'avis d'Ericsson. « On discute, et on arrive toujours à un compromis… évidemment », note Pia Guideon, responsable de l'information chez le géant des télécommunications, qui a annoncé, au printemps dernier, qu'il devrait supprimer 4 000 emplois en Suède. Alors qu'il comptait encore 107 000 employés dans le monde l'an dernier, Ericsson arrivera ainsi à un effectif de moins de 90 000 salariés cet automne. Dans le royaume scandinave, la procédure est relativement simple et peu contraignante. « En Suède, le gouvernement se contente de donner un cadre. On estime ensuite que le patronat et les syndicats sont mieux à même de négocier entre eux, sans l'intervention des pouvoirs publics », explique Christer Persson, délégué au syndicat Metall.

Le législateur n'impose que deux principes : le respect du préavis de licenciement, qui varie entre un et… douze mois, selon les secteurs, le type d'emploi et l'ancienneté ; et le respect de la règle « dernier embauché premier licencié », règle au besoin élastique. Depuis cette année notamment, les entreprises de moins de 10 employés ont droit à deux licenciements dérogeant à cette règle mécanique. Quant aux moyennes et grandes entreprises, elles mettent souvent en avant la notion de « compétence suffisante » pour contourner la règle du « dernier embauché ». On sort alors du domaine couvert par la loi. Deux solutions se présentent alors : soit les partenaires sociaux parviennent à se mettre d'accord, ce qui semble être la règle commune en Suède, car, comme le rappelle Pia Guideon, d'Ericsson, « les syndicalistes suédois sont moins revendicatifs que leurs collègues français », soit les employés peuvent avoir recours aux tribunaux, processus long, incertain et qui reste rare, volonté de consensus oblige…

Quand une entreprise annonce son intention de licencier, elle doit d'abord préciser de combien de personnes elle compte se séparer. Syndicats, agences de l'emploi et conseils généraux sont informés. Ensuite, libre à l'employeur de faire ce qu'il veut. « Mais il doit au moins y avoir une négociation entre patronat et syndicats », indique Kjell Bergman, délégué SIF (employés de bureau) d'Ericsson à Kista, où 630 licenciements sont en cours. « Les responsables d'Ericsson sont venus ensuite nous dire quelles personnes ils voulaient licencier. Et il est vite apparu que leurs propositions ne respectaient pas la règle “dernier embauché, premier licencié”, à laquelle tiennent les syndicats. En même temps, nous sommes bien conscients que l'entreprise a besoin de compétences. En principe, nous poursuivons tous le même but : que l'entreprise marche. »

Pour mieux faire passer la pilule et faire oublier qu'il dérogeait à la loi, Ericsson a mis en place un Framtidsforum (« forum de l'avenir »). Le géant des télécoms verse pendant un an leur salaire aux employés licenciés qui sont pris en charge par des spécialistes du reclassement d'Empower (filiale de Manpower), avec force profils de compétence, formations, périodes d'essai, etc. Selon la loi, rien n'obligeait Ericsson à faire le moindre geste. « Quelques entreprises font plus, la plupart font moins », note Kjell Bergman. « Les grandes sociétés sont traditionnellement plus généreuses, souligne Pia Guideon. C'est plus dur dans les petites. » « La notion de responsabilité sociale n'est pas réglementée par la loi, souligne Christer Persson, de Metall, mais la négociation locale permet d'adoucir les effets des licenciements. »

Dans le cas d'Ericsson, le gouvernement avait bien sûr insisté pour que l'entreprise prenne ses « responsabilités sociales », nommant même un médiateur pour gérer le choc de cette vague de licenciements. « Histoire d'amuser la galerie », observe-t-on chez Ericsson, qui estime ne pas avoir attendu les bons offices du gouvernement pour assumer ses responsabilités.

« Les gros plans de licenciements se passent plutôt bien en Suède, admet Bo Carlsson, responsable des questions politiques liées au marché du travail à LO, la confédération syndicale des ouvriers. Le gros problème, aujourd'hui, c'est moins le licenciement des salariés en CDI que la multiplication des CDD. Car, pour ces derniers, il n'est plus question de négocier quoi que ce soit. Ils doivent s'en aller d'eux-mêmes. Au début conjoncturel, le phénomène devient structurel, et il touche essentiellement les femmes de 25 à 35 ans, avec des effets, sur la natalité par exemple, que l'on n'appréhende pas encore. »

Olivier Truc, à Stockholm

ItalieUn filet de sécurité minimal lors des licenciements collectifs

Les salariés de l'usine de machines à laver San Giorgio (groupe Moulinex-Brandt) de La Spezia auraient bien aimé être fixés sur leur sort avant les vacances. Dans un premier temps, le groupe franco-italien avait décidé de fermer purement et simplement l'usine. Sous la pression des syndicats et des collectivités locales, Brandt a revu sa position : il est prêt à sauver le site, mais il entend également améliorer le plus vite possible la rentabilité de l'usine… en supprimant 120 postes. Les négociations directes avec les syndicats se sont interrompues fin juin et devaient reprendre, sous l'égide cette fois du gouvernement et des collectivités territoriales, dans le courant de l'été.

L'objectif des syndicats – trouver une solution pour chaque salarié – n'est pas facile. Car si les licenciements individuels sont pratiquement impossibles en Italie, la procédure de licenciements collectifs est assez souple. Aucune autorisation ministérielle n'est requise, aucun plan social ne doit être formulé. Les contraintes en termes de formation et de reclassement sont minimes, et les aides que les Italiens appellent les « amortisseurs sociaux » ne concernent pas toutes les catégories de salariés.

C'est une procédure définie par la loi de 1991 qui régit les suppressions d'emplois pour cause de crise ou de restructuration. Dès qu'elle constate qu'elle devra réduire ses effectifs, l'entreprise est obligée d'informer les salariés, par l'intermédiaire des syndicats. Une première phase de négociations démarre alors, pour quarante-cinq jours. « Mais, dans la quasi-totalité des cas, les partenaires n'arrivent pas à un accord », estime Renato Rollino, du département industrie du premier syndicat italien, la CGIL. Les négociations se poursuivent alors, durant trente jours, avec la médiation des services départementaux du travail, ou des services du ministère du Travail, suivant les cas. L'idée est de réduire au maximum les licenciements secs, en proposant des alternatives : requalification des personnes vers d'autres secteurs du groupe, utilisation plus intensive des machines, recherche d'autres entreprises de la région disposées à reprendre le personnel, aide aux salariés qui veulent se mettre à leur compte, « accompagnement » jusqu'à la retraite pour les salariés les plus âgés…

La phase des négociations terminée, l'entreprise prend sa décision – en général, plus généreuse que sa position de départ – et définit la liste des salariés concernés suivant des critères préétablis. Si leur secteur bénéficie de la Cassa integrazione, les salariés peuvent ne pas être licenciés tout de suite : pendant une certaine période, leur salaire est pris en charge par l'État. Mais l'entreprise n'est nullement obligée d'y recourir, et la Cassa integrazione n'est souvent qu'un prélude au licenciement définitif. Le salarié ne touche, au moment de son départ de l'entreprise, aucune indemnité : juste son dernier salaire et le TFR (trattamento di fine rapporto, épargne forcée prélevée au cours de ses années de travail sur son salaire). L'équivalent de l'allocation des Assedic peut être versé sur une durée maximale de cinq ans, mais pas au-delà de six mois pour les licenciés des plus petites entreprises.

Le système a été conçu pour les grandes entreprises industrielles. Dans le tertiaire et les PME, les garanties sont moindres et les travailleurs peuvent fort bien se retrouver à la rue en l'espace de quelques mois. « Les entreprises ne sont pas obligées de présenter des plans sociaux, notre ANPE n'est pas du tout efficace pour reclasser les chômeurs, et les “amortisseurs” ne concernent, formellement, qu'un quart des salariés », déplore Livia Ricciardi, du département marché du travail du deuxième syndicat italien, la CISL.

Les grandes entreprises publiques ont souvent réussi à réduire fortement le personnel sans recourir à des licenciements secs : à la Poste, par exemple, les effectifs ont été ramenés de 220 000 environ en 1994 à 172 000 l'an dernier. Mais les 9 000 nouvelles suppressions d'emplois annoncées par l'administrateur délégué Corrado Passera en juin ont soulevé un tollé chez les organisations syndicales. D'autres situations se sont révélées plus dramatiques, notamment dans l'industrie lourde, comme la sidérurgie. « Difficile aussi de trouver des solutions pour les travailleurs lors de la fermeture d'usines par des multinationales qui préfèrent délocaliser », explique Renato Rollino, de la CGIL.

Marie-Noëlle Terrisse, à Milan

Mieux vaut être licencié en Europe qu'aux États-Unis

« Vilvorde « : le nom de code de la future directive cadre européenne porte les stigmates de la fermeture passionnelle de l'usine Renault en Belgique. Bientôt votée par les Quinze, elle rend obligatoire l'information et la consultation des salariés. Si elle ne devrait rien changer en France, elle devrait en revanche bouleverser le paysage anglais et irlandais. Car elle pose un principe général et oblige les États à mettre en place toutes les structures – instances représentatives du personnel – pour permettre cette consultation. Or, jusqu'à présent, en l'absence de partenaires sociaux, la consultation passait tout bonnement à la trappe. Désormais beaucoup plus protecteur en matière de droits des salariés, le législateur communautaire n'entend toutefois pas faire obstacle aux restructurations.

Des considérations qui n'ont pas encore gagné les États-Unis où rien n'empêche un employeur de licencier si ce ne sont les lois sur les discriminations et certains accords prévoyant un ordre des licenciements. Souvent selon le principe du « last in, first out » (dernier arrivé, premier dehors). Le versement d'indemnités de licenciement et des délais à respecter après que les délégués syndicaux ont été informés peuvent néanmoins être prévus. En amont, rares sont les accords, à l'instar de celui signé entre les trois principaux constructeurs automobiles et le syndicat United Autoworkers, à « renforcer la sécurité de l'emploi en contrepartie d'un engagement à augmenter la productivité et à améliorer la qualité », comme le précise un récent document d'information de l'Unedic sur les licenciements collectifs dans l'UE, au Japon, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis. En clair, ces constructeurs renoncent à licencier et s'engagent à offrir des formations aux salariés en sureffectif, voire à les transférer dans d'autres établissements. Mais, dans la plupart des cas, les entreprises se contentent de licenciements secs, voire provisoires – « temporary layoff « – avec rappel possible de ces salariés lorsque l'activité reprend.

Auteur

  • Sandrine Foulon avec nos correspondants